Chikungunya : recul de l’État sur les aides économiques

Inacceptable

14 mars 2006

Les acteurs économiques, institutionnels et les parlementaires locaux contestent la circulaire interministérielle annoncée vendredi par le préfet. Les modalités d’attribution des aides financières ne correspondent pas aux attentes du tissu économique et social. Les Chambres consulaires, la CGPER, le CESR, l’ADIR, l’AD, le MEDEF devraient cosigner ce soir un courrier destiné au Premier ministre, lui demandant de revoir sa copie, de revenir aux propositions faites localement pour sortir l’économie de la crise sanitaire.

Ils croyaient leurs propositions entendues par le chef du gouvernement qui, lors de son passage à La Réunion, a tenu des propos rassurants, propices à instaurer un climat de confiance et patatras... “Hold up technocratique” ? Frein de Bercy submergé par les dossiers d’aide ? Ou désengagement du Premier ministre ?... Le résultat est le même, les conditions ne sont pas réunies pour permettre aux petites entreprises de se relever de la crise.

Entre les annonces...

Dès le 6 février, à la demande de la CCIR, les acteurs économiques étaient reçus dans l’hémicycle de la Région. Cette première réunion marquait le début d’une large collaboration entre les acteurs locaux pour élaborer un plan d’urgence et présenter des propositions au chef du gouvernement. Le Conseil économique et social régional (CESR), rapporteur au sein de ce groupe de travail, a sollicité les avis de chacun de ses membres pour une réflexion élargie et cohérente. Ces propositions ont ensuite été soumises à la cellule de veille économique de la Préfecture. Les réunions de travail se sont succédé pour qu’émergent rapidement des solutions en adéquation avec les difficultés des entreprises, pour leur permettre de surmonter la crise mais aussi de se remettre à flot dans les mois à venir.
Lors de sa visite, le chef du gouvernement déclarait s’être inspiré des propositions des partenaires locaux pour présenter son plan d’aide au secteur économique. Les différents partenaires affichaient alors leur satisfaction, se sont félicités que plus de 60% des mesures soient reprises par le chef du gouvernement et que ce dernier prenne en compte leur caractère évolutif en fonction de la situation et des besoins. Après le départ du Premier ministre, le travail de concertation a continué en relation avec les services de la Préfecture, chargés des modalités d’application des mesures.

... et la "douche froide"...

Tout laissait penser à un respect des annonces formulées, mais après un va-et-vient de documents entre les services ministériels et les groupes de partenaires, alors que "nous pensions à juste titre que nos propositions allaient revenir en l’état", commente le président du CESR, Jean-Raymond Mondon, la circulaire ministérielle annoncée vendredi a suscité l’indignation générale. Pour le président de la CCIR, Éric Magamootoo, cette circulaire a fait "l’effet d’une douche froide". "Elle ne représente absolument pas les espérances du monde économique et social", déplore le président du CESR qui rappelle que La Réunion, soudée, organisée pour affronter la crise, est aujourd’hui déçue. "Les réactions ne font que débuter et doivent montrer à terme l’unité de La Réunion, montrer qu’elle n’est pas satisfaite".
Le CESR est déjà intervenu au plan national, il a interpellé les présidents des CESR de France qui seront reçus jeudi soir par le Premier ministre pour faire entendre la déception de La Réunion, le fait qu’elle ne puisse accepter les choses en l’état, comme des plafonds d’aide semestrielle allant de 4.000 à 8.000 euros.

... la balle est à droite

Initialement, le MEDEF organisait une conférence de presse pour la venue de son représentant national, vice-président du MEDEF France, Antoine Hugues Mayer. Vu que "depuis vendredi soir, nous sommes à nouveau en état de vigilance", son président local François Caillé, jusque-là plutôt discret sur l’analyse de la crise économique et les moyens d’en sortir, a profité de l’occasion pour rendre public le mécontentement partagé par les acteurs locaux. Comme pour le maintien de la loi Girardin, les forces économiques et politiques se soudent face à l’adversité. Si un nouveau comité interministériel s’est réuni hier pour réexaminer la circulaire, c’est bien parce que les voix s’unissent contre elle dans l’intérêt local.
Le président du MEDEF Réunion estime qu’il faut néanmoins rester vigilant, voir si les attentes seront entendues. Éric Magamootoo, plus ferme et direct, soutient : "Nous restons sur une application des propositions émises par le groupe de travail, de A à Z, et nous ne reviendrons pas dessus". Entre annonces et désaveux, la crise sanitaire engendre une crise de confiance que seul un respect des engagements initiaux pourrait certainement réinstaurer. Balle à droite et petites entreprises toujours au milieu !

Estéfani


Embargo sur les entreprises locales

"La Réunion n’est pas pestiférée"

Certaines entreprises réunionnaises sont confrontées à un véritable embargo de la part de leurs homologues métropolitaines. De grands groupes français interdisent en effet à leurs cadres et collaborateurs de se déplacer à La Réunion, invoquant l’application du principe de précaution pour raison de sécurité sanitaire. Pour le président du MEDEF Réunion, La Réunion n’est pas pestiférée. "Nous avons les moyens de faire fonctionner correctement nos entreprises. Arrêtez de vous faire peur". "Effectivement, il y a une crise sanitaire, mais nous avons les moyens de nous protéger, de travailler normalement. La Réunion n’est pas pestiférée", rejoint Éric Magamootoo qui, au vu de la baisse du trafic commercial civil à l’aéroport Roland-Garros, dont la CCIR est gestionnaire, se dit inquiet. Si en janvier, la baisse du nombre de passagers n’est pas significative, en revanche en février, elle chute de 15,8% soit 15.117 passagers de moins qu’en février 2005. La destination Réunion est boycottée. Le vice-président du MEDEF France, Hugues Arnaud Mayer, appellera dès son retour en métropole les entreprises, les politiques et les médias à ne pas briser la croissance économique locale. Il parle d’une menace maîtrisée, d’une épreuve que La Réunion est en train de surmonter grâce à "l’union sacrée des forces vives, un exemple pour la nation".


Réactions

o Guy Derand, président de la Chambre d’agriculture

"C’est déplorable, il n’y a pas d’autres mots"

Les acteurs économiques n’ont malheureusement pas attendu la crise sanitaire du chikungunya pour faire appel aux fonds d’urgence (exonérations de charges, chômage partiel), déjà en place. Ce qui choque Guy Derand, c’est que les agriculteurs ne savent pas s’ils pourront bénéficier des fonds exceptionnels, dont les critères d’attribution ne correspondent pas d’ailleurs à la réalité économique des petits exploitants. "Il n’y a rien pour les agriculteurs". "Les petites entreprises du secteur de l’agrotourisme seront-elles concernées ?". Guy Derand demande une ouverture des aides à la profession qui, entre chikungunya et fortes pluies, est aussi malmenée qu’oubliée. "On est en totale contradiction avec les annonces. La solidarité nationale a deux poids, deux mesures. C’est déplorable, il n’y a pas d’autres mots".

o Guy Dupont, président de l’Agence de développement

"Il faut rebondir très vite"

C’est son taux de croissance annuel (+3%) qui permet à La Réunion de compenser son retard avec la métropole. Cette croissance est tirée par la consommation, en lien avec la démographie, et par l’intégration des novations. On est à "un moment où cette mécanique risque de se casser. Si l’on perd 1 ou 2% de notre taux de croissance, on ne rattrapera jamais le GAP (trou de croissance). Il faut rebondir très vite, il faut la volonté et un dispositif suffisamment efficace. Ce que l’on peut reprocher à cette foutue circulaire, outre la nature des interventions pas très claire et les taux de financement et d’intervention, c’est qu’elle va générer des pesanteurs et des délais incompatibles avec cet enjeu de rapidité. Le train de mesures qui doit être en adéquation avec cette volonté de rebondir risque d’arriver après la bataille. On voit bien avec la grippe aviaire qu’il faut une mise en œuvre rapide, pour ne pas perdre le moral".

o Pascal Thiaw-Kine, président de la CGPME

"Il faut restaurer la confiance"

Pour gérer la crise, "il faut restaurer la confiance". Le Premier ministre avait vraiment amorcé "un départ de reconstruction de confiance. Un faux départ ? En tout cas, nous sommes vraiment déçus de la déconsidération portée au monde économique", soutient Pascal Thiaw-Kine, faisant référence aux plafonds d’aide de 4.000 et 8.000 euros. L’union du monde économique et social traduit un engagement fort qui doit être soutenu par la mise en cohérence rapide des propos du Premier ministre pour sortir de la crise.

Estéfani


Précision sur Laurent Médéa

Dans notre d’édition d’hier, nous avons noté par erreur que Laurent Médéa est professeur alors qu’il est en réalité post-doctorant de sociologie à l’Université de La Réunion, il travaille sur la violence urbaine et la délinquance à La Réunion au sein du Département CIRCI. Il n’est pas professeur mais intervenant extérieur à l’Université.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus