Assouplissement de la loi Évin

J’intoxique et je soigne

19 octobre 2004

La publicité sur les vins, jusque là réglementée par la loi Évin de 1989, vient d’être assouplie.
Le vin n’est pas moins dangereux qu’un autre alcool, mais malgré cela, l’intérêt économique d’une minorité prend le pas sur l’intérêt général.

Qui a-t-il de bien méchant à boire un verre de temps en temps ? Entre amis, après une dure journée, partager un moment de convivialité ou de détente autour d’un verre ne peut pas faire de mal. C’est comme griller une cigarette après un bon repas, cela fait partie des petits plaisirs de la vie.
Sous l’angle de la pondération, de la consommation raisonnable et occasionnelle, l’alcool ne représente certes pas de danger. C’est pourquoi au même titre que la cigarette, il n’est pas interdit. Mais la frontière entre l’inoffensif et le dangereux est bien mince. Si le corps médical dans son ensemble s’accorde à dire qu’il n’y a pas d’alcool moins dangereux que d’autres, comme il n’y a pas d’incidence positive d’une certaine consommation sur la santé, le constat est unanime : l’alcoolisme est un véritable problème de santé publique.
Malgré cela, au nom de l’intérêt financier de quelques-uns, la loi Évin, seul compromis entre la prohibition et l’incitation à la consommation d’alcool, vient d’être assouplie par le vote des députés des régions viticoles en faveur de la publicité des vins dits du terroir. Le docteur Catherine Gaud, vice-présidente du Conseil régional et présidente du groupe de travail sur l’alcoolisme mis en place au sein de la collectivité, a accepté de réagir.

L’alcoolisme est une maladie

"Cela n’est pas acceptable", soutient le docteur Catherine Gaud. "Il faut perdre cette idée mythique qu’il y a des alcools moins dangereux. Le rhum conduit à des troubles neurotoxiques destructeurs et le vin à des cirrhoses". Et La Réunion n’est pas épargnée par ce fléau. Au même titre que la région Nord-Pas-de-Calais, elle enregistre le plus fort taux de syndrome fœtal lié à la consommation d’alcool chez les femmes enceintes. Il faudra compter entre 1 et 2 millions d’euros pour les traitements à vie de ces enfants qui souffriront de malformations, de troubles psychologiques... Mais il y a "négation du problème, et parler de l’alcoolisme chez la femme est très mal vu".
Pourtant, femme ou homme, la personne alcoolique est malade, prisonnière de sa dépendance et a besoin d’être déculpabilisée pour s’en sortir et être prise en charge. "La personne alcoolique n’est pas coupable mais malade", réaffirme le docteur Gaud. Cependant, "l’alcoolisme n’est pas encore considéré comme une maladie. C’est un vrai problème politique auquel il faut s’attaquer".
Et si le problème de l’alcoolisme a des conséquences médicales, les conséquences sociales sont tout aussi ravageuses, avec des personnes vivant dans la précarité ou souffrant de difficultés sociales plus fragiles. "Il conduit à une déchéance physique, sociale avec des personnes dépendantes qui dilapident leur argent dans l’alcool, au détriment du reste, avec des familles disloquées car une personne alcoolique est très difficile à vivre", précise le docteur Gaud qui ajoute que le coût des traitements est très élevé pour la société - il faut compter 600 euros par jour pour un patient hospitalisé et qui souffre d’un cancer ou de problèmes psychologiques liés à l’alcool.

Une tolérance anormale

Si l’on veut réfléchir au problème de l’alcool, comme le fait actuellement le groupe de travail présidé par Catherine Gaud et composé de représentants des deux collectivités, de l’État, du corps médical (pédiatres, addictologues), de la DRASS, de la Sécurité Sociale, de la justice, de la gendarmerie..., il faut le considérer dans son ensemble.
La prévention et l’information apparaissent là encore comme des outils indispensables pour diffuser en amont l’étendue des risques liés à l’alcool. Mais d’autres réflexions s’imposent car "l’on assiste à un phénomène de tolérance profondément anormal", soutient le docteur Gaud. Faut-il taxer l’alcool, comme ce fut le cas pour le tabac ? Sur ce point, le secteur économique des producteurs et distributeurs d’alcool s’insurge et crie à la catastrophe pour l’emploi. Alors que selon les chiffres détenus par le docteur Gaud, ce sont 200 personnes qui travaillent à la distillation du rhum à La Réunion contre 1.500 à 2.000 personnes qui traitent les conséquences de l’alcool !
Quoiqu’il en soit, acheter certains alcools moins chers que de l’eau minérale impose le questionnement, tout comme laisser les boîtes de nuit vendre de l’alcool aux mineurs en toute impunité. Certaines pratiques de la grande distribution interpellent aussi. Comme les grandes surfaces qui disposent les alcools à portée des enfants et proposent occasionnellement des offres promotionnelles et des dégustations. Faut-il procéder à une répression plus importante ? Pour le docteur Gaud, l’alcoolisme est disséminé. Entre les pile-plates qui permettent un transport facile de l’alcool, les distributeurs sans licence IV qui rendent l’alcool accessible aux plus jeunes, il y a des points sur lesquels agir : "on ne peut accepter que l’intérêt général et la santé publique passent après l’intérêt financier de quelques-uns."

Estéfany


Les chiffres de l’alcool à La Réunion

- Un accident routier mortel sur deux est du à l’alcool au volant.

- Il y a 7 fois plus de psychoses alcooliques chez les hommes réunionnais, contre 5 fois plus chez les femmes, avec 6 fois plus de décès dus à ces psychoses à La Réunion qu’en Métropole.

- 41% de la population déclare ne pas consommer d’alcool, ce qui équivaut à dire que ceux qui boivent consomment deux fois plus. 60.000 sont des buveurs réguliers, 20.000 sont dépendants.


Petit rappel

"Le Sénat a inséré dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux un amendement proposé par un sénateur de l’Hérault, Gérard César, modifiant le Code de santé publique. À noter que l’amendement César a été voté, dans la nuit du mercredi 5 au jeudi 6 mai, aux alentours de minuit, par les députés des régions viticoles qui se sont installés sur les bancs de l’Assemblée à ce moment précis.
Cet amendement tend à modifier le champ des indications autorisées pour la publicité des boissons alcooliques, afin que les produits bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée ou d’une indication géographique puissent évoquer leurs terroirs de production, leurs caractéristiques sensorielles et organoleptiques. Au vu de la subjectivité de ces dernières notions, l’on peut déjà appréhender un assouplissement législatif étendu à tous les vins".

(Source : “Témoignages” du 12 août 2004)


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