Regard d’un philosophe sur la crise du chikungunya

Jean Lombard plaide pour le mariage de la sagesse et de la santé

12 août 2006

Ancien cadre de l’Éducation nationale revenu dans son île d’adoption - il y était arrivé en 1965 - et heureux d’avoir échappé jusqu’à présent au virus du chikungunya, Jean Lombard n’a pas été insensible ni indifférent aux souffrances endurées par ses compatriotes à travers cette épidémie. Son analyse de cette crise d’un point de vue philosophique permet d’en avoir une vision globale, avec des leçons à en tirer sous différents aspects... pour essayer d’éviter qu’elle ne remonte en flèche en été. Il rappelle, à partir de l’unité originelle de la médecine et de la philosophie, la nécessité de rechercher à la fois la sagesse et la santé.

"Témoignages" a déjà présenté le livre que vient de faire paraître Jean Lombard aux Éditions L’Harmattan sous le titre : "L’épidémie moderne et la culture du malheur (Prix éditeur : 12 euros). Petit traité du chikungunya". Un ouvrage d’une centaine de pages publié dans la collection "Hippocrate et Platon : Études de philosophie de la médecine". Logique : il semble qu’une des passions de Jean Lombard soit d’aider l’amour de la sagesse (la philosophie, au sens étymologique) et la quête de la santé (la tâche de la médecine) à marcher la main dans la main. Pour le plus grand bien de l’humanité.
En effet, pour ce philosophe, ancien inspecteur d’académie à La Réunion, dans le Pacifique et en métropole, il n’est pas acceptable que la sagesse et la santé ne se rencontrent pas. Et tout au long de son livre il démontre que cela n’est pas toujours facile. Comme le prouve l’histoire de la médecine et des grandes épidémies.
L’épidémie de chikungunya à La Réunion n’a pas fait exception à cette règle non écrite : "elle a surgi sur fond de pouvoir médical triomphant et au milieu du rêve d’un monde sans risque, entièrement soumis à l’autorité du savoir. Or, au contraire, la crise du chikungunya a été d’abord une défaillance de ce savoir, une plongée dans l’univers oublié de l’ignorance, une éclipse inattendue et cruelle de la médecine". C’est pourquoi, si nous voulons nous en sortir, "la médecine et la philosophie ont à se retrouver autour de la rationalité", écrit Jean Lombard.

Des enseignements à tirer de la crise

Quand on lui demande quels sont les principaux enseignements à tirer de cette crise, de ses causes et de ses conséquences, il souligne, au-delà de la sous-estimation par les autorités sanitaires et politiques des risques d’une telle épidémie, et de l’insuffisance des moyens de prévention et de traitement, les effets de la défaillance du savoir, le dérèglement de la pensée, de l’action et du discours et le caractère profondément moderne de la globalité et de la complexité de l’évènement : l’ignorance, l’irrationalité voire l’irresponsabilité qui se sont manifestées avant et pendant la crise expliquent en grande partie l’ampleur de la catastrophe et de ses effets sur la vie économique et sociale de l’île.
"On n’avait jamais pensé que La Réunion puisse basculer dans ce malheur", explique Jean Lombard. D’où peut-être la réduction des moyens et l’incapacité des services publics destinés à lui faire face en termes de prophylaxie, de recherche, de réactivité et de mobilisation citoyenne par l’administration. D’où également les fantasmes surgis dans la population et cultivés par certains médias, qui ont eux aussi parfois sous-estimé le problème. L’auteur fait une analyse approfondie de tous ces facteurs. Avec des comparaisons très intéressantes avec des épidémies survenues depuis l’antiquité.

Des questions fondamentales

Tout cela donne beaucoup de pertinence à cet ouvrage, même si l’étude ne vise pas à être exhaustive et si certains aspects n’ont pas été traités. Comme par exemple les campagnes de "Témoignages" et de Kanal Océan Indien pour alerter les autorités sur les moyens à mettre en œuvre pour combattre l’épidémie et éradiquer les moustiques avec des moyens biologiques. Ou les actions menées dans le même sens par les élu(e)s et responsables de l’Alliance, avec tous les procès d’intention politiciens de certains de leurs adversaires, aux effets désastreux qui ont suivi.
Sur le premier point, Jean Lombard reconnaît "un oubli non volontaire", lié aux conditions dans lesquelles il a suivi l’épisode dans la presse. Concernant le refus des autorités d’écouter la parole des Réunionnais ou le rôle joué par tel média ou encore l’action conduite par tels élus, il indique que son analyse ne porte pas sur cet aspect de la problématique, dont l’examen philosophique vise au contraire nécessairement à se détacher.
Malgré cela, le public et les décideurs se doivent de lire ce livre très riche en informations. Car il nous fait réfléchir sur des questions fondamentales posées par cette crise et sur quelques concepts majeurs : la causalité, le règne annoncé de l’émergence, la culture du malheur dans le monde de la modernité.
En effet, comme l’écrit Jean Lombard, "la maladie nous révèle à nous-mêmes, nous interroge sans cesse - et au prix de notre souffrance - sur la validité de nos pensées, sur le bien-fondé de nos actions et sur la vraie valeur de ce qui a été et de ce qui advient. Plus que jamais, la sagesse apparaît comme ce que voyaient en elle les anciens".

L. B.


Lutte contre le chikungunya

La région mobilise les associations

Dans notre prochaine édition, nous reviendrons sur la rencontre qui a eu lieu le 9 août dernier, à l’Hôtel de Région, entre d’une part les élus responsables du Conseil Régional, Catherine Gaud, Vice-Présidente déléguée à la Prévention et à la Solidarité, Emmanuel Lemagnen, délégué à la Vie Associative, Yvon Virapin, Vice-Président délégué au Développement Local, et d’autre part les animateurs d’une dizaine d’associations (parmi lesquelles Fondation Abbé Pierre, Secours Populaire, Arts et Traditions, Emmaüs, Association de lutte contre le chikungunya, Réseau Périnatal, Vigie Chik, ARAST/ARFU, PANDANUS, FEDAR, Fédération Régionale des Associations d’Education Populaire, AREP, PASS’PORT, CEMEA).
La Région présentait, dans le cadre d’une opération d’envergure, son projet de fabrication et de distribution de moustiquaires. D’ores et déjà, est apparu un intérêt des participants pour œuvrer en commun dans la lutte contre le chikungunya.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus