Un médecin confirme les inquiétudes et les demandes de Gélita Hoarau

’L’État doit s’impliquer beaucoup plus dans la lutte contre le chikungunya’

14 novembre 2005

Après l’intervention de Gélita Hoarau, jeudi dernier au Sénat, pour alerter le gouvernement sur la gravité du chikungunya à La Réunion et pour lui demander de prendre d’urgence les mesures adaptées au fléau, “Témoignages” a interrogé un médecin réunionnais sur ce problème. Celui-ci exerce ses fonctions dans l’Est de l’île. Il a demandé que l’on préserve son anonymat.

Docteur, quelle analyse générale faites-vous du problème du chikungunya qui sévit depuis plusieurs mois à La Réunion ?

- De mon point de vue, la situation est extrêmement préoccupante et je regrette que malgré les multiples interventions de responsables politiques comme ceux de l’Alliance et d’élus comme la sénatrice Gélita Hoarau, l’État n’a toujours pas pris les mesures qui s’imposent pour éviter une catastrophe sanitaire, économique et sociale à La Réunion.
En effet, selon les statistiques officielles, déjà 4.000 à 5.000 personnes ont été contaminées par le chikungunya depuis le mois de mars dernier. Mais là nous entrons dans une deuxième phase : celle d’une extension encore plus importante de l’épidémie en saison chaude. Cette phase risque d’être particulièrement dangereuse en raison de la prolifération des moustiques durant l’été tropical, à cause des fortes chaleurs et des pluies abondantes. En effet, ces changements climatiques saisonniers favorisent la multiplication du moustique “aedes aegypti”, qui transmet le virus du chikungunya aux êtres humains par piqûre.
Or les moyens employés jusqu’à présent et ceux annoncés par le gouvernement pour alerter les Réunionnais et pour combattre ce fléau sont relativement dérisoires par rapport aux besoins.

En dehors des chiffres officiels et de ceux cités par Gélita Hoarau, jeudi dernier au Sénat (20.000 personnes seraient contaminées, dit-elle), selon vous, quelle est l’ampleur atteinte actuellement par la maladie ?

- Effectivement, différents chiffres circulent, et dans “Le Quotidien” de ce dimanche, un confrère écrit même : "ce ne sont pas 4.000 cas mais bien 10 fois ou 20 fois plus, à la veille de l’été austral !" (voir encadré)
Moi je pense personnellement qu’au-delà des 4.500 personnes contaminées selon la DRASS, il doit y en avoir beaucoup plus, car la maladie n’a pas de symptômes exceptionnels et ne peut pas être affirmée avec certitude. On n’a aucun moyen d’être certain si des dosages spécifiques ne sont pas effectués sur les patients.

Quelle est l’importance des risques encourus ?

- C’est surtout le risque épidémique. Ce risque est considérable quand on voit la vitesse à laquelle un grand nombre de personnes ont été atteintes à travers l’île. En moins de 9 mois, près de 5.000 personnes ont été contaminées. Les conditions climatiques de la saison chaude qui arrivent vont encore accentuer cette vitesse de la contamination en raison de la prolifération des moustiques. Cela veut dire qu’il faut accélérer et amplifier les mesures de santé publique pour enrayer puis éradiquer l’épidémie.

Quels sont les signes de la maladie ?

- C’est la fièvre, accompagnée de courbatures, d’une fatigue importante, de douleurs musculaires et articulaires qui peuvent être réellement invalidantes et clouer les personnes au lit, les empêchant de porter des objets lourds, de conduire une voiture etc...
Il ne faut surtout pas prendre ces signes à la légère, car il y a des conséquences gravissimes qui peuvent apparaître comme la transmission du virus de la mère à son enfant et qui a été à l’origine d’une encéphalite du nouveau-né révélée la semaine dernière.
C’est une maladie nouvelle pour laquelle nous n’avons aucun recul, aucune connaissance particulière.

Quelle devrait être l’attitude des pouvoirs publics et en particulier celle de l’État ?

- La seule façon de limiter la prolifération du moustique est de traiter chaque cour, chaque flaque, chaque réceptacle d’eau stagnante. Pour cela, l’État doit donner aux collectivités (Département, communes...) les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour accomplir ce travail de nettoyage et vaincre cette maladie.
Les moyens mis en œuvre jusqu’à présent et ceux qui ont été annoncés par le ministre de la Santé sont nettement insuffisants : il faudrait avoir les moyens de passer et de repasser dans chaque maison, chaque cour, chaque lieu public et agir sur chaque gîte larvaire potentiel, avec une masse d’agents formés à cela et se déplaçant partout pour expliquer aux personnes ce qu’il convient de faire pour tuer toutes les larves. Il faudrait plus de gens sur le terrain. Les moyens des communes, de la DRASS, de l’intercommunalité sont loin du compte.
Le moustique du paludisme était relativement plus facile à éradiquer : il n’était présent que dans quelques endroits plus ou moins faciles à repérer et à atteindre, comme par exemple des bras de ravines ou certaines mares ; par contre, le moustique du chikungunya se trouve partout dans les villes, autour de nos maisons, sur nos balcons et nos varangues, dans les soucoupes de pots de fleurs et les vases etc. Il faut savoir aussi que le moustique a un rayon d’action d’au moins 100 à 150 mètres.

Comment se soigne-t-on ?

- Il s’agit d’un virus et nous ne disposons pas de médicament ni de vaccin antiviral pour soigner efficacement les personnes malades ou pour prémunir la population.
Toutefois, la prise en charge précoce des patients par les médecins avec des anti-inflammatoires et des antalgiques est indispensable car elle permet de soigner les symptômes et de moins souffrir. Il faut aussi consulter un médecin pour bénéficier d’une surveillance, d’une aide à domicile temporaire pour les personnes âgées devenues très invalides par la transmission du virus.
Mais le plus important, comme je le disais tout à l’heure, c’est que l’État s’implique beaucoup plus et d’urgence dans la lutte contre le chikungunya, sinon les conséquences seront dramatiques pour les Réunionnais.

Entretien : L. B.


Un autre médecin

“Dans l’attente d’une encéphalite aiguë mortelle”

Sous le titre : "Dans l’attente d’une encéphalite aiguë mortelle", “Le Quotidien” d’hier a publié dans son courrier des lecteurs la lettre d’"un médecin révolté" (c’est ainsi qu’elle est signée), qui dénonce les carences voire les graves fautes du gouvernement dans le traitement de l’épidémie de chikungunya. Cette lettre confirme l’analyse et les revendications de Gélita Hoarau et du médecin interrogé par “Témoignages”. On lira ce texte ci-après dans sa version intégrale.

"Au début de l’hiver, la DRASS, alertée par les médecins, a volontairement minimisé le problème ; les médecins ont reçu des responsables de cet institution le conseil de “ne pas déclarer les cas” !
Ces responsables ont failli et devraient avoir le courage de le dire. Ce ne sont pas 4.000 cas mais 10 fois ou 20 fois plus à la veille de l’été austral !
On parle déjà d’encéphalites et demain nous aurons une population par dizaine et centaine de milliers immobilisée, prostrée ou hospitalisée en réanimation à cause de cette incompétence.
Il y a quelques dizaines d’années, le paludisme a été éradiqué à La Réunion de façon draconienne parce que les moyens ont été mis en œuvre par des gens efficaces.
Que faut-il donc penser des “moyens” lorsque l’on voit 2 pauvres bougres en tenue de cosmonaute pulvériser les vases des cimetières alors qu’à côté, les stations d’épuration à ciel ouvert offrent, sur les centaines de mètres carrés, des foyers de développement pour les moustiques, ou lorsque les ravines déversoires de ces stations laissent leurs eaux nauséabondes à l’air libre ?
La démoustication doit se faire avec tous les moyens par quadrillage des régions et intervention sur l’habitat de chaque cas enfin déclaré !
Aujourd’hui, l’économie de La Réunion est en train de subir cette incompétence : les arrêts de travail entre 10 jours et 3 mois, le surcoût à la Sécurité sociale et les hospitalisations nombreuses.
La canicule en métropole a écarté les responsables incompétents ; on peut espérer que lorsque le département comptera au sortir de l’été la moitié de sa population touchée, on réfléchira à s’occuper des responsables. Et si d’aventure une encéphalite plus aiguë emporte malheureusement un nourrisson ou un vieillard, alors on espère que les pouvoirs judiciaires auront une autre mentalité que “responsable mais pas coupable” !"

Chikungunya

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