Enquête au lycée de Vue-Belle

La C.I.A. sur la piste de la prochaine attaque albopictée

9 août 2006

Comment profiter de l’hibernation de notre ennemi préféré - l’aedes albopictus - pour : 1) apprendre à mieux le connaître et diffuser les connaissances ; et 2) se préparer à sa prochaine attaque ? Car à n’en pas douter - c’est la cellule de la Chikungunya Intervention Agency (CIA) au lycée de Vue-Belle qui l’affirme - il y aura une prochaine attaque ! Aussi, pas de trêve pendant les vacances !

D’un point de vue citoyen, on rêverait d’enquête semblable dans tous nos établissements scolaires. L’initiative est venue, à Vue Belle, du proviseur de l’établissement et de deux professeurs d’EPS. Cela se conçoit : de tous les enseignants, ils ont été ceux mis le plus radicalement au "chômage technique" par les raids aériens de l’aèdes albopictus. La réaction collective a été de créer une cellule Chikungunya Intervention Agency qui s’est d’abord fixé comme objectif de mener deux enquêtes auprès de la population “chikungunyée” de l’établissement, élèves et adultes.

Un lycée microcosme révélateur

Le résultat, élaboré avec une classe de Seconde MDS (métiers du secrétariat), est un document d’une quarantaine de pages, pas du tout morose malgré la gravité du sujet, doublement intitulé (puisqu’il y a deux approches) : "Etat sanitaire du lycée Vue Belle au 20 mai 2006" et "Représentation et connaissance de la communauté scolaire sur l’épidémie".
Il s’agit de deux enquêtes sociologiques internes et complémentaires, menées avec les moyens du bord, et d’autant plus sérieusement qu’une connaissance approfondie de la situation sanitaire du lycée a paru indispensable pour préparer la riposte.

Une enquête exceptionnelle

Sans entrer dans le détail des chiffres de l’enquête - qui pour l’essentiel recoupent ceux donnés sur la situation de l’île entière - il faut relever d’abord que les lycéens se sont plus prêtés au jeu du questionnaire que leurs professeurs : les jeunes ont répondu à plus de 77%, les profs à moins de 29%, dû au fait que les élèves ont répondu aux questions comme ils auraient fait un devoir en classe ; chez les profs, le retour relevait davantage du volontariat.
Sur l’ensemble des réponses, 36% des élèves et des profs ont déclaré avoir eu le chikungunya, contre 63% - profs et élèves toujours - qui y ont échappé. La moyenne régionale donnée par la Préfecture en mai 2006 était de 34% rappelle le document lycéen, qui ajoute "Nous pensions être très au-dessus de cette moyenne".

Mieux comprendre pour mieux combattre le chikungunya

L’autre surprise est que la proportion d’adultes et de jeunes malades a été la même, à des moments différents : 22 profs atteints contre 38 qui ne l’ont pas été (et 60 réponses sur 210 adultes), tandis que 279 jeunes parmi les 771 qui ont répondu ont déclaré avoir été malades, contre 492 qui ne l’ont pas été. L’analyse de la période où a été contractée la maladie fait apparaître que près de 10% des lycéens atteints l’ont été depuis 2005, alors que 95,5% des professeurs “chikungunyés” l’ont été durant les mois de janvier-février-mars 2006.

On peut trouver les conclusions "pessimistes" ou simplement prudentes : les responsables du lycée pensent qu’après avoir essuyé deux attaques de l’aedes - en 2005 et au début 2006 - il doivent se préparer à une "troisième attaque", d’ici la fin 2006-début 2007. "Il est plus que probable qu’il n’y aura aucun médicament possible sur le marché en 2007", estiment encore les auteurs du document, en invitant le Rectorat, leur tutelle, à "anticiper de façon plus dynamique...". L’enjeu ? Mieux comprendre et analyser les réactions socioculturelles devant la maladie, pour mieux adapter les messages.
P. David


Joyeusetés de l’entomologie lycéenne

La première enquête a été construite sur un échantillon et s’apparente à un sondage destiné à faire mieux connaître l’extension de la maladie dans l’établissement scolaire de Vue-Belle.
Ce qui rend l’étude de la cellule “chik” de l’établissement particulièrement vivante et utile pour la connaissance de la maladie, c’est la grande variété des approches et des descriptions. On y apprend que "le chikungunya ne frappe pas tous les milieux (sociaux, Ndlr) avec la même égalité" : les élèves de BEP sont moins touchés (35%) que les bacheliers (39%) et les plus atteints sont les élèves de classes de CAP (44%), "qui proviennent des milieux les plus défavorisés". Les enquêteurs ont cherché à savoir si les jeunes et les adultes avaient consulté un médecin, quels ont été leurs symptômes et la durée de leur indisponibilité, s’ils ont fait des "rechutes" et s’ils étaient plusieurs malades par famille. Ils ont aussi testé les connaissance des jeunes sur la transmission du chikungunya : comment l’attrape-t-on ? Cela peut-il arriver plusieurs fois ? Comment se protéger ?
Comment démoustiquer ? etc... Aux termes de la première enquête, la cellule "chik" conclut que, puisqu’il nous faut "vivre avec le chikungunya", il faut aussi "d’autres modes de lutte plus efficace pour lutter contre la banalisation de l’épidémie, et son corollaire, le fatalisme..."

La deuxième enquête a eu lieu en mai, sous forme de jeu mettant des lots à portée des gagnants : il s’agissait de cerner davantage "la représentation de l’épidémie et la connaissance du moustique". Arbovirus, arthropode, bactérie, pic de contamination... Ces notions n’ont peut-être plus de mystère pour les lycéens... aujourd’hui. Mais lors de l’enquête, il y eut quelques moments de franches rigolades. Ainsi lorsque 11% des élèves ont désigné "l’aedes tiroquitu" - "un moustique qui n’existe pas encore" notent les enquêteurs, toujours optimistes - comme vecteur de la maladie ; 3% le croient "attiré par la musique" et ils sont aussi 3% (pas forcément les mêmes !) à lui prêter "un régime alimentaire varié" !

P. D.


C’est bon à savoir

Dans les faits, le moustique n’est pas un rapide, ce qui est bon à savoir pour adapter ses moyens de lutte : il peut mettre 50 secondes à rechercher le vaisseau sanguin de sa victime, le temps de "pompage" peut durer jusqu’à 3 minutes et lorsqu’une femelle est pleine comme un canadair, elle double son poids ! Ce qui donne largement le temps de la claquer. Cela peut faire jusqu’à 300 œufs en moins pour la propagation du virus.

P. D.


Absentéisme

Au nombre des enseignements qu’il est intéressant de faire ressortir, les auteurs du document soulignent que l’étude d’une population scolaire apporte "une mine de données" : elle est facile d’accès et permet, selon eux "de se faire une idée plus réaliste de l’implantation de l’épidémie selon les lieux". Par exemple, ils relèvent que le critère de l’absentéisme "ne peut être un élément déterminant" dans l’analyse de l’importance de l’épidémie. "36% de victimes du chikungunya ne s’est pas traduit par 36% d’absentéisme en plus..." (on notera l’ironie subtile du "en plus"...) On en déduit donc que "l’absentéisme scolaire n’est pas un élément suffisant d’appréciation". Soit. Mais que donnerait le même critère dans une entreprise réglée sur le marché ?


Vaincre le fatalisme

Un autre point notable qui ressort de l’enquête est le fait qu’à travers les réponses livrées, les enquêteurs ont décelé une réelle "passivité" dans la population. C’est l’une des données culturelles sans doute les plus stimulantes à analyser. "Il existe une sorte de fatalisme montré par l’enquête : si l’on pense que l’on peut attraper le chikungunya plusieurs fois, si l’on pense que les protections ne sont pas si efficaces que cela, on ne se situe pas dans un état d’esprit dynamique pour lutter contre le chik. Probablement que les établissements scolaires ont un rôle à jouer dans la formation des jeunes et par ricochet de leur famille afin de modifier cet état d’esprit". L’objectif reste toujours d’adapter les réponses aux saisons et aux comportements des jeunes et de leurs familles.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus