Grève des chirurgiens le 30 août : le système de santé français va mal

La chirurgie du secteur 1 refuse de passer au scalpel

24 août 2004

La grève annoncée des chirurgiens du 30 août au 5 septembre n’est pas une surprise pour le corps médical. Elle révèle une crise des spécialités à haut risque qui touche autant le secteur libéral que l’hôpital public. Les remèdes législatifs de la réforme ’Hôpital 2007’ ne soigneront pas la sclérose de l’hôpital français, tout comme une revalorisation de la chirurgie ne suffira pas à stopper le déraillement de la chaîne de soins.

En Angleterre, au Canada, en Suède, les patients sont inscrits sur des listes d’attentes, pouvant atteindre les trois mois, avant d’obtenir une consultation chez un spécialiste. Démissions ministérielles, procès contre le système de santé sont le quotidien de ces pays. La France, en asphyxiant la médecine libérale et en laissant l’hôpital public s’enliser, suit le même chemin.
Après les syndicats hospitaliers, les urgentistes, les chercheurs, la chirurgie du secteur 1 monte au créneau et dénonce les incohérences du système de santé français et particulièrement les atteintes portées à l’encontre de leur profession. Les chirurgies obstétrique, gynécologique sont sous-payées, tout comme les actes pédiatriques. La tarification de leurs actes conventionnée par la Sécurité sociale n’a pas été revue depuis 15 ans.
La référence globale de tous les actes est inscrite dans le CCAM (Catalogue commun des actes médicaux), un véritable piège qui prévoit une diminution de l’ordre de 20 à 30% de chiffre en moins par ratio de soins. Les chirurgiens du secteur 1 refusent d’avoir à travailler plus longtemps au rendement pour compenser cette dévalorisation de leurs tarifs, et pour parvenir à assumer leurs frais, comme cette prime d’assurance annuelle de 17.000 euros.
À cela s’ajoute une crise démographique des médecins annoncée depuis en 1968. Le métier n’est plus attractif. L’année dernière, sur les 4.000 places d’internes ouvertes à toutes les spécialités, 300 étaient proposées en chirurgie. Cinq candidats se sont présentés.

L’hôpital public sclérosé

Cette crise des spécialités à haut risque englobe tous les secteurs, y compris l’hôpital public, surchargé, qui accompli un tiers des actes chirurgiens du privé, selon le rapport Domergue livré en début d’année. Départs à la retraite non remplacés, passage aux 35 heures, mesures d’hygiène de plus en plus drastiques, bureaucratisation des services : en plus de s’être déshumanisé, l’hôpital public a perdu de son efficience. Les jeunes diplômés ne veulent plus subir des cadences de travail infernales et qui valorisent peu leur savoir. De plus en plus, ce sont les diplômés étrangers, venus de Biélorussie, d’Afrique du Nord qui font tourner la machine hospitalière, à une cadence de 60 heures par semaine. Les cerveaux français s’exilent pour trouver la reconnaissance et la rémunération qu’ils n’ont pas en France.
Même dans les grands hôpitaux qui ont fait la renommée internationale de la chirurgie française, cette dernière est amenée à disparaître d’ici 5 à 6 ans. Il n’y a plus de thèses, plus de travaux de recherche, plus de transmissions de savoirs. Contrairement aux générations antérieures, les chirurgiens d’aujourd’hui ne sont plus les notables d’antan. Les 14 années de sacrifices et de longues études n’assurent plus ni le salaire, ni la sécurité auxquels les jeunes diplômés pourraient prétendre. Entre le rachat de la clientèle, l’acquisition du matériel, la prime d’assurance, un jeune chirurgien qui souhaite s’installer doit débourser entre 25 et 30.000 euros rien que pour accéder à la profession.
C’est pourquoi, face à des négociations entre syndicats des spécialités et le gouvernement tenues secrètes, face à des intentions de revalorisation de la chirurgie annoncées par le ministre de la Santé et qui ne semblent pas à la hauteur des enjeux de la profession, à compter du 30 août jusqu’au 5 septembre, les chirurgiens de France et de La Réunion seront aux abonnés absents. Ils quitteront le territoire pour ne pas être réquisitionnés et espèrent ainsi être entendus. Professionnels des chirurgies vasculaire, thoracique, orthopédique vont se mobiliser localement. Peut-être restera-t-il quelques spécialistes ORL, mais sans les obstétriciens qui pensent déjà à rejoindre le mouvement, l’on peut déjà présager une situation catastrophique à La Réunion. L’Ordre des médecins de La Réunion apporte son soutien au mouvement.

Estéfany


Secteurs 1 et 2 de la médecine

Auparavant, la médecine possédait plusieurs filières de spécialités, ce qui justifiait qu’avec un titre d’interne ou d’ancien chef de service, un spécialiste soit inscrit dans le secteur 2, où il peut compenser son offre de soins par un dépassement autorisé de ses tarifs. Aujourd’hui, cette classification en deux secteurs n’est plus justifiée, attendu que toutes les spécialités passent par l’internat et non plus par des filières propres. À noter que seuls les titres français ouvrent au secteur 2. Que se passera-t-il, si la chirurgie libérale du secteur 1 claque la porte ? Soit le patient qui en aura les moyens financiers s’adressera à un spécialiste du secteur 2, avec l’attente que cela comprend, soit il s’adressera à l’hôpital public, en espérant que sa pathologie sera bien prise en compte et en charge par la nouvelle tarification des soins de la réforme "Hôpital 2007", et que lits et personnels seront disponibles.


Le docteur Boden sera de la grève

"Nous souhaitons une solution économique viable, claire et transparente des actes, une clarification des assurances professionnelles. La responsabilité civile chirurgicale est mal définie. Le Bureau central des tarifications propose des tarifs d’autorité et une prime d’assurance obligatoire. Si l’on se réfère à une moyenne d’un procès tous les 10 ans, disons un litige, la prime d’assurance passe aussitôt à 30.000 euros, et les aides que le gouvernement est en train de monter, à savoir un pourcentage à l’activité, sont immédiatement rayées". Bernard Boden, chirurgien en orthopédie et traumatologie du secteur 1 participera au mouvement annoncé par les chirurgiens.
Depuis son arrivée en 1995 à La Réunion, il nous confie avoir assisté à l’arrivée puis au départ de 13 chirurgiens orthopédiques. Aujourd’hui notre île en compte entre 14 et 15 pour une population de plus de 750.000 habitants. "Ils ont certainement été déçus. Ils ne s’attendaient pas à une majoration de 30% sur le matériel, à un coût de vie aussi élevé, tout en appliquant des tarifs identiques à la Métropole", explique le docteur Boden. Il déplore ne plus avoir le statut de ses pères et parle d’ici 10 ans, d’une crise qui "risque d’être brutale". Les 8.000 médecins à diplômes étrangers qui font fonctionner l’hôpital public ne bénéficient pas du même niveau de formation, et par manque de titre ne peuvent exercer à l’extérieur.
Le docteur souligne également la crise de la vocation et la féminisation à 80% de la profession, avec les adaptations familiales que cela comprend, la nécessité de crèches, d’écoles, à proximité de leur lieu de travail. La diminution de 22% des généralistes d’ici 2010 ne le surprend pas. En France tous les médecins sont concentrés en PACA ou en Île-de-France, alors qu’ils désertent les petites villes, les campagnes moins attrayantes. La médecine de proximité se meurt et l’incapacité de l’hôpital à assumer sa mission de service public n’est pas nouvelle.


Grève des chirurgiens : Le point de vue de Paul Vergès

Dans la revue de presse du lundi 16 août sur RFO, le journaliste a interrogé Paul Vergès au sujet d’un courrier des lecteurs d’un chirurgien orthopédique qui annonce qu’il va se mettre en grève à compter du 30 août tout comme la majorité de ses confrères. "Le système médical français qui était performant est actuellement atteint dans tous ses secteurs, les chirurgiens ont sur ce point parfaitement raison. Et il faut traiter le problème avant de faire face aux conséquences. Si vous avez une évasion des chirurgiens qui vont dans les autres pays d’Europe, qui va payer les pots cassés ? Ce sont les malades. Donc il y a des priorités à maintenir : l’Éducation nationale, la Santé... et la classe politique a le devoir d’appuyer ce mouvement qui commence à prendre de l’ampleur".


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