Inégalités et discriminations flagrantes dans les soins

La Défenseure des droits dénonce des « discriminations systémiques »

7 mai

La Défenseure des droits a rendu public son dernier rapport, intitulé "Prévenir les discriminations dans les parcours de soins : un enjeu d’égalité", afin d’alerter sur les discriminations dans les parcours de soins qui peinent à être identifiées, reconnues et sanctionnées.

Ce rapport est basé sur plus de 1 500 témoignages de patients, mais aussi de personnels soignants, ayant été reçus sur le site internet de l’institution. Suite à un appel à témoignages lancé auprès du grand public ; entre le 8 novembre 2024 et le 6 janvier 2025, la Défenseure s’étonne de l’engouement, mais cela "constitue en lui-même le signal d’une double attente de la part des personnes concernées : être entendues et être respectées dans leurs droits".

De nombreux patients rapportent avoir été victimes de préjugés et de stéréotypes qui conduisent à des comportements discriminatoires émanant de professionnels et établissements de santé, commence le communiqué de presse de la Défenseure des droits.

Selon elle, "ces discriminations sont susceptibles d’intervenir à chaque étape du parcours de soins : lors de l’accès à un service d’urgence, lors de la prise de rendez-vous - dans un cabinet, un centre de santé ou au sein d’un hôpital -, au cours de la consultation, du retrait d’un traitement thérapeutique ou encore dans le cadre d’actes de prévention".

Le code de la santé publique atteste qu’"aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne pour l’un des motifs visés au premier alinéa de l’article 225-1 […] du code pénal ou au motif qu’elle est bénéficiaire de la protection complémentaire en matière de santé (CSS) […] ou du droit à l’aide [médicale de l’État] […]".

Pourtant, les discriminations sont nombreuses et très racisées. En 2022, 224 plaintes "seulement" ont été déposées devant les ordres professionnels et l’assurance maladie et 31 réclamations ont été envoyées à la Défenseure des droits Claire Hédon.

Mais l’"ampleur des discriminations dépasse largement » ces chiffres, précise l’institution et « les actes discriminatoires dans les parcours de soins peinent encore à être identifiés ». « Les voies de recours des patients sont ainsi peu mobilisées", a déploré le rapport.

Divers critères de discriminations dans les soins

Les témoignages adressés au Défenseur des droits indiquent également une sous-évaluation, par les
services d’urgence, de la douleur et de la gravité des symptômes exprimés par les femmes, notamment lorsqu’elles sont jeunes, d’origine étrangère ou perçues comme telles.

Concernant l’accès aux soins urgents et aux soins sans rendez-vous, les témoignages attestent
- d’une prise en charge différenciée des personnes, en particulier selon leur sexe, leur origine, leur nationalité26 et leur vulnérabilité économique : un homme blanc aurait 50 % de chance supplémentaire qu’une femme noire d’être considéré comme une urgence vitale quand il consulte dans un service d’urgence pour une douleur thoracique.
- d’un traitement différent des femmes se présentant aux urgences, en disqualifiant leur parole ou en minimisant leur souffrance : une sous-évaluation de la gravité des symptômes, une mauvaise interprétation des signes cliniques et des erreurs de diagnostic. Selon le rapport, les mères célibataires apparaissent particulièrement exposées à ces refus discriminatoires, en raison à la fois de leur sexe et de leur situation de famille.
- d’un "syndrome méditerranéen" : préjugés sur les personnes d’origine nord-africaine ou noire qui exagèreraient leurs symptômes ou douleurs. Cela a pour effet une minimisation des souffrances exprimées par les patients et/ou un refus de prise en charge, aux conséquences parfois fatales.
- d’un refus discriminatoires de prise en charge aux urgences, motivés par la particulière vulnérabilité économique et/ou l’état de santé du patient : les agents de l’accueil des Urgences refusent parfois les patients vivant à la rue ou usagers de drogues, en raison de leur apparence physique, de leur odeur corporelle ou au motif de l’alcoolisation.

Concernant la prise de rendez-vous, les refus se basent sur des critères variés : le refus de soins en raison de la fragile situation économique de la personne ; le refus explicite de donner un rendez-vous
à un patient bénéficiaire de la CSS (complémentaire santé solidaire) ou de l’AME (aide médicale de l’État) ; le lieu de résidence est aussi une discrimination, car les professionnels de santé ou des membres du personnel, notamment du secrétariat, se réfèrent au fait qu’une personne vive en habitat précaire ou informel. Ainsi, le fait de ne pas bénéficier d’un logement stable ou de vivre à la rue - constitue également un marqueur de vulnérabilité résultant de la situation économique de la personne, ce qui justifie selon eux un refus de rendez-vous.

Viennent ensuite, le refus de prise de rendez-vous en raison de l’origine. Exemple d’un témoignage d’une patiente de 54 ans, dans le département 95, rapportant le refus de sa gynécologue de la recevoir en consultation, "car elle est noire et grosse et qu’elle ne verra rien" à l’examen. Il y a aussi le refus en raison de l’état de santé de la personne qui aurait une maladie durable, passagère ou chronique, physique, mentale, plus ou moins invalidante, engageant ou non le pronostic vital.

L’autorité indépendante s’est basée sur 1500 témoignages de patients et personnels soignants, et a auditionné acteurs associatifs, autorités sanitaires, ordres des professions de santé réglementées et principales fédérations d’établissements de santé. Si les situations recensées ne prétendent pas être représentatives, elles "révèlent des obstacles récurrents et profonds, contraires au principe fondamental d’égalité d’accès aux soins", rappelle l’autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits.

Le rapport détaille également l’impossibilité de prendre rendez-vous sur les plateformes numériques dédiées, notamment pour les personnes handicapées, les créneaux horaires spécifiques. "Les acteurs associatifs ont également relevé d’autres pratiques comme le fait d’attribuer un rendez vous dans un délai plus long que pour un autre patient, ou encore le fait d’exiger des documents particuliers (document d’identité pour accéder à une permanence d’accès aux soins de santé par exemple)", a écrit la Défenseure des droits. De plus, "les mineurs non accompagnés doivent répondre à des conditions supplémentaires pour accéder à des soins", où ils sont obligés d’être accompagnés d’un adulte.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, pointe aussi les réorientations abusives vers les permanences d’accès aux soins, la généralisation des consultations sur rendez-vous uniquement sur les personnes en situation de précarité ("taxe lapin"), le refus d’accès à une consultation est une discrimination fondée sur une diversité de critères de discrimination : les témoignages adressés au Défenseur des droits pointent l’état de santé, le handicap, la situation de famille, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique95, etc., a noté la défenseure.

L’accès aux soins des personnes en situation de handicap est toujours un problème, en raison de l’absence d’accessibilité des lieux et d’adaptation des dispositifs de soins ; de la non prise en charge des personnes présentant des troubles du neurodéveloppement ; le manque de matériel ; le refus de faire des efforts de communication ; et le manque de transport jusqu’aux soins.

Enfin, le rapport note les discriminations dans l’accès aux médicaments, avec le refus, explicite ou implicite, de se voir délivrer un traitement thérapeutique par les professionnels de santé ou les pharmaciens.

Selon le rapport, "les discriminations dans les soins ont des conséquences délétères immédiates et durables sur le parcours de soins des patients, ainsi que sur leur santé physique et mentale". En effet, les discriminations subies poussent les personnes à reporter voir renoncer à leurs soins, d’autres se retrouvent dans une situation de retard dans la prise en charge et une perte de chance en santé. Et "de peur d’être stigmatisées ou moins bien traitées, les personnes vivant avec le VIH, les personnes transgenres suivant un traitement hormonal ou les personnes souffrant d’addictions notamment limitent leurs rendez-vous médicaux uniquement aux consultations nécessaires à la poursuite d’un traitement qui leur est indiqué".

Les préconisations de Défenseure des droits

"Les discriminations dans les soins constituent une atteinte fondamentale à l’égal accès aux soins de toutes et tous", a assuré Claire Hédon. D’autant plus que ces discriminations "constituent un problème d’ordre systémique, en raison de leur ampleur, de leur banalisation et des inégalités qu’elles engendrent".

Cette dernière préconise une stratégie d’ensemble, coordonnée avec les différentes professions de santé et les structures de soins, pour assurer l’effectivité du droit de la non-discrimination. Elle propose l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre les discriminations dans les soins.

"Des politiques proactives doivent être déployées pour lutter contre les préjugés et les logiques institutionnelles à l’origine de discriminations et pour objectiver les pratiques professionnelles. Elles doivent mobiliser l’ensemble des acteurs du champ de la santé", a indiqué la Défenseure.

Il faut aussi, selon elle, prévenir les discriminations et garantir l’égalité dans les soins. Il s’agit aussi de faciliter les recours et prononces des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives contre les personnes discriminantes. Enfin, elle propose d’adapter le système de santé aux besoins des patients.

La Défenseure des droits recommande de :
- renforcer les actions de sensibilisation des patients à la non-discrimination (dans l’accès aux soins mais également lors de la prise en charge), notamment par la généralisation des affichages en la matière dans tous les lieux de soins264, et à leurs droits, par une information facile à comprendre et adaptée également aux personnes mineures ; • Développer les actions d’information sur le système de soins et d’éducation à la santé, notamment à travers une approche globale de la santé ;
- rendre obligatoire l’affichage dans tous les lieux de soins et la mention sur les plateformes de prise de rendez-vous en ligne, de la liste des associations d’usagers du système de santé agréées, susceptibles d’accompagner les patients victimes de discrimination.
- renforcer le soutien aux acteurs associatifs, notamment à ceux intervenant auprès des publics vulnérables, afin de garantir la pérennité et l’indépendance de leurs actions en matière de non- discrimination.
- étendre les formations proposées par les ordres aux conseillers ordinaux à l’ensemble des élus (conseillers régionaux, interrégionaux et nationaux) et de les systématiser, notamment à l’occasion de chaque début de mandat des conseillers nouvellement élus ;
- développer et diffuser des outils et supports pédagogiques dédiés pour accompagner les professionnels dans leurs pratiques (guides de bonnes pratiques, fiches thématiques, outils d’objectivation des pratiques, protocoles de soins, etc.).
- construire des supports de communication à destination des patients, majeurs et mineurs, portant sur l’interdiction de la discrimination et précisant l’ensemble des voies de recours ouvertes ;
- faciliter le dépôt de plainte devant les ordres professionnels et l’assurance maladie, notamment en proposant un modèle de plainte, à l’exemple de ce que propose l’Ordre national des pédicures-podologues ou l’Ordre national des pharmaciens.
- concevoir des formations à destination des représentants des usagers de santé portant sur l’accompagnement des victimes dans le cadre de la procédure prévue à l’article L.1110-3 du code de la santé publique ;
- modifier la composition de la commission mixte telle que définie à l’article R.1110-9 du code de la santé publique, en vue de prévoir l’intégration de deux représentants d’associations de patients agréées.
- former systématiquement les conseillers ordinaux des ordres des professions de santé amenés à siéger dans les instances disciplinaires, à la non-discrimination, notamment concernant les aspects procéduraux ;
- construire un référentiel des sanctions afin d’assurer la cohérence nationale des sanctions prononcées ;
- accroître l’engagement de poursuites disciplinaires par les ordres professionnels lorsque des faits susceptibles d’être discriminatoires ont été portés à leur connaissance, quelles qu’en soient les modalités (signalement, voie de presse, etc.), y compris lorsque les faits concernent des personnes mineures ;
- communiquer sur les sanctions prononcées, notamment en veillant à ce que les éventuelles sanctions prononcées – dont les suspensions d’exercice - , donnent lieu à une information claire du public, par voie d’affichage au sein des lieux d’exercice du professionnel de santé et sur le site internet de l’Ordre ;
- prévoir la publication de l’ensemble des décisions rendues par les juridictions disciplinaires, le cas échéant de façon anonymisée, dans un répertoire public ;
- renforcer les moyens financiers et informationnels des trois commissions chargées de l’évaluation des refus de soins placées auprès des ordres nationaux des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.
- proposer plusieurs modalités de prise de rendez-vous médicaux afin qu’aucune consultation ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée ;
- mettre en place des mesures facilitant l’accès et l’entrée dans le parcours de soins par le biais des plateformes numériques.
- garantir l’accès de toutes les personnes en situation de handicap aux soins de santé sur la base de l’égalité avec les autres.
- faciliter l’accès aux personnes en situation de vulnérabilité économique et/ou vivant en habitat précaire.
- instaurer un droit à l’interprétariat pour toutes les personnes qui en ont besoin.
- considérer les mineurs non accompagnés, ayant exercé un recours pour faire reconnaître leur minorité, comme mineurs jusqu’à décision judiciaire définitive.
- garantir l’accès aux soins de toutes les personnes, indépendamment de leur religion.
- développer des dispositifs d’« aller-vers ».
- développer, à travers tout le territoire, la profession de médiateur en santé.
- fusionner les dispositifs de l’assurance maladie et de l’AME. En simplifiant le processus administratif et de remboursement.
- mettre en place une carte numérique facilitant l’émission de feuilles de soins électroniques et ouvrant l’accès aux mêmes facilités que pour les personnes affiliées à l’assurance maladie.


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