Santé publique ou priorités économiques : il faut choisir

La loi Évin mise à mal

12 août 2004

Le gouvernement assouplit la loi Évin au détriment des impératifs de la politique sanitaire et sociale de la population. Rappelons que cette loi limite la publicité en faveur du vin. An misouk, les députés de la majorité ont voté dans la nuit du 5 au 6 mai dernier - sous la pression de leurs collègues des régions viticoles - un amendement sur le développement des territoires ruraux, autorisant la publicité collective pour le vin. Les associations et médecins luttant contre l’alcoolisme sont indignés.

Depuis le Salon de l’agriculture et le retrait d’une publicité des vins de Bordeaux et de Bourgogne considérée trop incitative à la consommation d’alcool selon la loi Évin, les grands exploitants viticoles français se sont montrés très insistants auprès de Matignon. Baisse des ventes, difficultés d’exportation : le secteur viticole est en crise, disent-ils pour justifier une remise en cause de cette loi. Les concepts de patrimoine et de terroir sont les arguments mis en avant par les viticulteurs pour dénoncer ce qu’ils appellent l’"insécurité juridique" de la loi Évin, qui est un compromis entre la prohibition et l’incitation à la consommation.
Le Sénat a inséré dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux un amendement proposé par un sénateur de l’Hérault, Gérard César, modifiant le Code de santé publique. À noter que l’amendement César a été voté, dans la nuit du mercredi 5 au jeudi 6 mai, aux alentours de minuit, par les députés des régions viticoles qui se sont installés sur les bancs de l’Assemblée à ce moment précis.
Cet amendement tend à modifier le champ des indications autorisées pour la publicité des boissons alcooliques, afin que les produits bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée ou d’une indication géographique puissent évoquer leurs terroirs de production, leurs caractéristiques sensorielles et organoleptiques. Au vu de la subjectivité de ces dernières notions, l’on peut déjà appréhender un assouplissement législatif étendu à tous les vins.
L’ensemble des producteurs de boissons alcoolisés demandent quant à eux une application des mêmes règles à tous, avançant que ce ne sont pas les catégories de produits qui sont en cause mais certains de leurs usages.

Régression sociale

Colère et incompréhension des acteurs de la santé en France, méthodes ultra-libérales montrées du doigt : cet amendement est en totale contradiction avec les objectifs de la loi de santé publique appelant à "une réduction de 20% sur cinq ans de la consommation d’alcool".
Le ministère de la Santé tient un double discours : selon lui, il faut continuer une politique de baisse de la consommation d’alcool, mais néanmoins être tolérant à l’égard du vin, un alcool doux, comparé aux alcools durs. Pour justifier cet assouplissement, le gouvernement voudrait faire entendre les "bienfaits" du vin, l’assimilant à l’alimentation et lui conférant des vertus médicinales, en dépit des mises en garde des professionnels de santé.
Pourtant, dans son rapport public de 2003, la Cour des Comptes soulignait : "L’alcoolisme est, en France, un problème majeur de santé publique", ajoutant que les dispositions initiales de la loi Évin, datant de 1991, ont "largement été vidées de leur sens par des amendements ultérieurs", en dépit des avis contraires. Le Premier ministre estime, quant à lui, qu’il y a des "possibilités pour mettre en avant l’exigence de prévention et l’exigence de modération". Difficile à imaginer lorsque l’on connaît les subtilités et stratagèmes de la publicité.
Enfin, la maladie alcoolique n’est toujours pas reconnue, en France. La personne souffrant de comportements addictifs liés à une surconsommation d’alcool ne reçoit pas les traitements adaptés. L’on estime toujours, au même titre que le tabac, qu’il suffit de volonté pour s’arrêter. La dépendance physique, la souffrance et ses origines sont occultées.

Estéfany


Un problème de santé publique

Avec 45.000 décès par cirrhoses, cancers et accidents dus à l’alcool, chaque année en France (soit 10% de la mortalité), l’on est en plein paradoxe. Le vin contient entre 10 à 12% d’alcool et représente 60% de l’alcool pur consommé en France. Une dose de whisky de 3 centilitres à 40% et un ballon de vin de 10 centilitres à 12% contiennent la même qualité d’alcool pur, soit environ 10 grammes.
Prétexter que le vin est moins nocif que les autres alcools, c’est jouer impunément avec la santé publique, et principalement avec celle des plus fragiles. Ceux qui vivent dans le désarroi social, la précarité, l’isolement, la violence, ceux qui souffrent déjà de comportements addictifs, au détriment de leur entourage, seront un peu plus incités à la consommation d’alcool, leur morbide échappatoire. Il incombe au gouvernement, à la loi, de les protéger et non de faire d’eux des outils de consommation favorables à la croissance.


L’alcool tendance

À aucun moment, l’explosion du marché des boissons alcoolisés n’a été abordée. Pourtant de nouvelles gammes de produits très bien marquetés, attractifs pour la jeunesse sont en vente libre dans les grandes surfaces, à côté des limonades et autres boissons sucrées. Ces alcools tendances remportent un vif succès, mais personne n’en parle.


Loi Évin : l’esprit et la lettre

Le 22 juillet dernier, le Premier ministre recevait les représentants de l’alcoologie, associations se battant sur le front de l’alcoolisme, et défendant mordicus la loi Évin qui interdit l’accès du vin à la publicité. Jean-Pierre Raffarin a promis alors à ses visiteurs que le gouvernement ne touchera pas à la loi "dans son esprit".
Une semaine plus tard, le Premier ministre reçoit des parlementaires venus lui remettre un “livre blanc” sur le vin. Ceux-ci réclament explicitement la possibilité de faire la promotion du vin. Jean-Pierre Raffarin promet alors aux rapporteurs UMP de ce groupe qu’il ne "laissera pas lettre morte" ce livre blanc.
Le Premier ministre s’apprêterait donc à changer la lettre de la loi Évin sans en toucher l’esprit. Quel sera le résultat d’un tel recul sur la consommation d’alcool ?


Quelques chiffres sur l’alcool, le tabac et les autres drogues à La Réunion

o Plus de 300 décès annuels en moyenne directement liés à l’alcool sur la période 97-99 ; les hommes sont 4 fois plus touchés.
o L’alcool est responsable d’1 mort sur 2 sur nos routes en 2002.
o Près de la moitié des victimes des accidents de la route avec alcoolémie positive en 2002 sont des usagers de moins de 25 ans.
o La consommation de vin et de bière se renforce ; la consommation des alcools forts est en recul.
o Plus de 500 décès annuels en moyenne sont imputables au tabac sur la période 97-99, les hommes sont les plus touchés.
o Augmentation des décès par tumeurs malignes de la trachée, des bronches et du poumon, surtout chez les femmes.
o De nombreuses procédures judiciaires liées aux stupéfiants en 2002 concernant surtout des saisies de cannabis (et dérivés) et d’Artane.
o Baisse des ventes d’Artane, de Subutex, de Rivotril et de Rohypnol. En revanche, augmentation des ventes de méthadone.
o Selon l’étude TREND, il est mis en évidence la précocité, la féminisation et l’hétérogénéité des usagers. La poly-consommation est vraiment la tendance prégnante des usages à La Réunion avec l’alcool et le cannabis, avec ou sans des médicaments détournés de leur usage.
(Source : Observatoire Régional de la Santé de La Réunion - Années 97-99)


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