Point hebdomadaire de la Préfecture sur le chikungunya

’La population comprend tout si on lui explique’

10 février 2006

Au lendemain de la conférence de presse des ministres de la Santé et de l’Outre-mer visant à dresser le bilan de la stratégie de lutte contre le chikungunya à La Réunion, le mot d’ordre du préfet pour cette semaine est ’un engagement total au service de tous’, ’un engagement d’action, de transparence et de solidarité’. Lutter contre le vecteur, soulager les souffrances, informer les citoyens et être solidaires sont les prérogatives affichées par les autorités locales. L’épidémie progresse, le discours officiel aussi.

S’il n’y pas eu hier d’éléments nouveaux quant aux chiffres - 70.000 cas et un rythme de 20.000 nouveaux contaminés par semaine - en revanche, l’attitude du représentant de l’État est toute nouvelle. Après une dépréciation obstinée de l’ampleur de l’épidémie soutenue par des certitudes irrationnelles, des propos contradictoires, Laurent Cayrel commence après plusieurs semaines de crise à parfaire sa communication. Posé et ouvert aux questions, qui ne laissent pas toujours sans gêne, le préfet nouveau est arrivé. Mais quel moustique l’a piqué ?

"La guerre totale"

Pour lutter contre le moustique vecteur, l’exterminer, le préfet a sous son commandement un dispositif qu’il qualifie de "véritable état major". Techniciens et spécialistes, une troupe armée de 500 hommes qui sera renforcée dans les jours qui viennent de 300 militaires supplémentaires, des personnels des collectivités locales et des communes formés pour le front : c’est "la guerre totale". Laurent Cayrel n’oublie pas la mobilisation du corps médical et paramédical, des professionnels hospitaliers et de ceux en charge des soins à domicile qui évitent la saturation des hôpitaux, accompagnent les personnes isolées. Il faut proposer "une réponse adaptée sur le plan médical", mais aussi tenter d’"atténuer la souffrance physique" des malades, et les échanges de pratiques et de thérapeutiques anti-douleurs entre professionnels vont dans ce sens.
Laurent Cayrel, succinct et précis dans son exposé, n’oublie pas la "souffrance morale", faisant référence au "problème des décès". Sur cette question, "il faudra concilier douleur du deuil et amélioration de la connaissance". Le préfet rappelle que l’on ne connaît pas la maladie et que sur le plan local, toutes les possibilités de recherche sont envisagées.

"La démoustication est prioritaire"

L’engagement de la transparence passe par l’information. D’une part sur la nécessité de se protéger pour chaque citoyen, mais aussi de détruire dans son environnement immédiat tous gîtes de prolifération des larves. Pour la première fois, le préfet souligne "la mobilisation complète des Réunionnais" et va beaucoup plus loin. "Le respect des Réunionnais exige que la population soit correctement informée. La population comprend tout si on lui explique". Une déclaration pleine de bon sens, inattendue, mais comme le dit la sénatrice Gélita Hoarau, "c’est un peu tard, très tard, mais pas trop tard".
Transparence également sur la toxicité des produits. Sur ce point, le préfet rappelle que "la démoustication est prioritaire" et qu’"il est plus dangereux d’arrêter de démoustiquer que d’utiliser un adulticide". Message au Conseil général et au maire de la commune de Saint-Paul ? Pour la collectivité, vu la faiblesse de "sa responsabilité opérationnelle", le retrait de ses personnels pourra être suppléé sans problème par l’armée. Par contre la décision de stopper les opérations de désinsectisation dans les écoles de Saint-Paul est plus préoccupante pour Laurent Cayrel qui a offert au maire de réengager la lutte, mais avec les mêmes produits. Ce souci de transparence dans la toxicité des produits n’apporte cependant pas de réponse claire. Il s’agit pour le préfet d’un débat technique sur le changement de molécule. "C’est une question de résistance et pas de financement". La DIREN aura à charge d’évaluer l’impact sur l’environnement, alors que le chef de service de préfecture rencontrera les acteurs du monde rural. Aucune donnée n’est apportée sur les risques sanitaires engendrés par les produits chimiques (voir encadré) .

Liste des hommages

Enfin, très au point dans sa présentation, Laurent Cayrel en vient à l’aspect solidaire de la lutte. Il rend "hommage à la solidarité exemplaire des Réunionnais" et affirme que "celle de l’État est acquise". Il n’oublie pas de rendre hommage à la solidarité des acteurs, aux présidents des 2 collectivités, mais surtout aux maires, "qui sont mobilisés depuis le début sans faille" pour le renforcement de la lutte et qui aident encore à l’action sociale. Enfin, digne d’une remise officielle de récompense, un dernier hommage est rendu à la solidarité nationale "qui a immédiatement mobilisé des renforts à tous les échelons" et qui engage des mesures d’urgences pour soutenir les acteurs économiques.

Estéfani


Quel est l’impact des produits toxiques sur la population ?

"Aucun produit chimique n’est inoffensif"

C’est une question majeure qui inquiète l’opinion et les élus et puisque la transparence est de mise, l’on attend une réponse claire. Mais là encore, la laconique attitude fait force, les limites de la connaissance s’imposent à nouveau. "L’étude de l’impact sanitaire est la première priorité", soutient le préfet avant de passer la parole à Jean-Paul Boutin, médecin en chef du service des armées, conseiller pour la santé au sein de la cellule de crise de la Préfecture.
Mais ce dernier ne répond pas à la question. Il nous explique qu’une évaluation de la densité des gîtes larvaires, des populations de moustiques, avant et après traitements, va permettre, dès que le nombre de zones traitées et analysées sera suffisant, d’estimer l’efficacité de la lutte. Très bien, mais quels sont les risques sanitaires encourus par la population suite aux épandages massifs ? "Les employés ? Quelle population ?". La question est pourtant claire. L’on utilise des produits chimiques en milieu urbain, dans les écoles, quels sont les risques sanitaires pour la population ? Exacerbé, Jean-Paul Boutin, pressé par cette question, affirme alors qu’"aucun produit chimique n’est inoffensif". "L’impact sur le grand public est négligeable et si des cas d’intoxication étaient observés, ce serait accidentel, chez les employés" qui font d’ailleurs l’objet d’un suivi médical. Selon le médecin, si les produits sont laissés hors de portée de la population et que ses règles d’utilisation sont respectées, il ne devrait pas y avoir de problème. L’on peut donc laisser nos enfants aller à l’école sans risque ? Oui, 6 heures après la désinsectisation, il n’y a aucun risque d’autant que "les doses répandues sont légèrement inférieures au maximum préconisé".
On peut donc constater que l’étude sur l’impact sanitaire, dit prioritaire, ne laisse pas place à l’étude scientifique et médicale des conséquences de l’utilisation des produits toxiques sur la santé de la population. La fiche de toxicologie des produits utilisés transmise par la Préfecture nous dit seulement que "le téméphos est reconnu comme non toxique par les experts", que le "fénithrotion est modérément toxique. À forte dose, des effets pourraient être observés sur la faune" et qu’il est recommandé "d’éloigner les personnes des pulvérisations en nébulisation".

Estéfani


An plis ke sa

o Impacts sur l’environnement
Actuellement en cours de mise en place, la DIREN, en charge du volet environnement de la cellule de crise préfectorale, va vérifier l’absence des produits de traitement dans les eaux de captage, rechercher leur présence éventuelle dans certains organismes marins, mener des opérations “avant-après” sur un site à traiter. Les associations de protection de la nature sont sollicitées pour signaler toute mortalité anormale, alors que l’Office de l’eau devrait assurer la surveillance des cours d’eau et de la faune piscicole.

o Premier arrivage de BTI le 14 février
Pour procéder à une lutte anti-vectorielle efficace, Jean-Paul Boutin nous dit qu’il faut alterner 2 molécules pour éviter toute résistance du moustique. Selon lui, la molécule utilisée par la Commune du Port est la deltaméthrine, qui vient se substituer à celle du fénitrothion pour la lutte contre les moustiques adultes. Dès le 14 février, un premier arrivage de produit biologique de type BTI viendra se substituer partiellement au téméphos dans la lutte contre les larves.

o Expertise des décès
Demain, le Comité scientifique arboviroses (CSA), composé de spécialistes en infectiologie, virologie, gynécologie, pédiatrie néonatale, réanimation... des 4 établissements hospitaliers publics, du médecin-conseil de la l’ARH, de l’Observatoire régional de santé (ORS), du Centre d’investigation clinique, de l’hémovigilance, de la lutte anti-vectorielle et de la veille sanitaire de la DRASS formulera son premier avis. Mis en place depuis le 3 février, ces spécialistes se réuniront tous les jeudis pour expertiser les dossiers cliniques relatifs aux décès, pour établir le niveau d’imputabilité du virus et relatifs aux cas de complications. Cette cellule a également pour mission d’apprécier la situation épidémiologique et ses indicateurs de surveillance. Enfin, elle identifiera les axes de recherches prioritaires et proposera des études complémentaires.

o Et en cas d’un éventuel cyclone ?
Xavier Bertrand, ministre de la Santé, déclarait encore mercredi en direct du ministère de l’Outre-mer que les 2 piliers de la lutte contre le chikungunya sont l’action et l’anticipation. Alors que nous sommes en période cyclone, l’on peut se demander si un dispositif particulier post-cyclonique est envisagé. Franck Olivier Lachaud, en charge du volet social au sein de la cellule de crise, dit qu’en raison du vent et des changements de pressions engendrés par un cyclone, les moustiques adultes seraient décimés, alors que les dégâts potentiellement occasionnés par le phénomène provoqueraient la démultiplication des gîtes larvaires et rendraient les opérations de désinsectisation beaucoup plus compliquées. Il souligne à raison que l’on ne maîtrise pas la météorologie et qu’un cyclone serait "une mauvaise chose". Et puisque cela n’est pas à exclure, des mesures sont-elles d’ores et déjà envisagées ? "Je me préoccuperai de le demander", prend alors note le préfet.

o 1.500 euros d’amende
C’est le montant qu’auront à payer les personnes qui déposent encore des ordures sur les sites nettoyés et 35 euros pour celles qui déposeraient leurs encombrants sans respecter les dates de ramassage. Les particuliers qui ont des dépôts et véhicules hors d’usage sont mis en demeure de les nettoyer. Actuellement, le volume journalier de déchets livrés au centre d’enfouissement de Sainte-Suzanne est supérieur à 70%. L’objectif de l’État reste un nettoyage complet de l’île au 20 février. Il a pour cela triplé l’enveloppe des aides aux intercommunalités (1,5 millions d’euros) et a décidé de suspendre pour 2 mois la taxe applicable à l’enfouissement des déchets, soit un allégement de 650.000 euros pour les collectivités.

o "Communication ouverte et responsable..."
"Nous sommes face à trop de rumeurs, il faut mieux informer", explique le préfet. L’une des rumeurs lui a soufflé qu’il y aurait une pénurie de produits répulsifs. Le préfet dément et annonce, à compter d’hier et jusqu’au 11 mars, l’arrivage de 19 containers. Pour que la presse se fasse écho de la juste, la vraie information, "la cellule de crise est à la disposition des journalistes, n’hésitez pas". Formidable à condition que les interlocuteurs auxquels nous souhaitons nous adresser ne soient pas sur la liste des privés de déclaration, des temporairement “bâillonnés” ! Le préfet appelle à une "communication ouverte et responsable dans l’intérêt de nos concitoyens", mais pour notre part, en tant que journalistes, notre travail c’est l’information.

o Protocole contre la douleur
Le préfet n’a pas signalé que les Comités de lutte contre la douleur de tous les hôpitaux de l’île vont se réunir le 15 février, pour que professionnels hospitaliers et médecins traitants élaborent un protocole de soins en fonction des douleurs variables selon les patients. Il permettra de définir les degrés de prescriptions, à commencer par le plus faible, le Paracétamol. Certains malades ne se médicamentent qu’au moment des douleurs, alors que la posologie des antalgiques est de toutes les 4 heures. Lorsque la douleur resurgit, ils ont tendance à se sur-médicamenter ou à concilier leur traitement avec des tisanes.

o Le chikungunya : "cause associée" dans les décès
Philippe Quénel, médecin entomologiste venu en renfort de Martinique, nous explique en quoi consiste l’écriture d’un certificat de décès pour tenter de nous éclairer sur le terme de “cause associée”, mentionnant le chikungunya sur les 29 certificats à l’étude à ce jour. Sur le certificat, le médecin doit mentionner la cause du décès, le terrain pathologique du patient et les causes associées. Il prend pour exemple le cas d’une personne qui souffre du diabète (terrain). Elle est atteinte d’une infection X (cause associée) qui engendre une septicémie (cause de décès). Le chikungunya est généralement mentionné comme cause associée, d’où l’intérêt d’une expertise médicale pour comprendre la réalité des faits et mieux cerner les causalités du décès. Il est assuré pour le spécialiste que plus l’épidémie va toucher de personnes, plus de formes de décès ou d’expressions pathologiques vont être signalées.

Estéfani


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