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Regard sociologique sur le chikungunya
13 mars 2006
Laurent Médéa, professeur à l’Université de Saint-Denis, a bien voulu nous apporter son éclairage sociologique sur la crise chikungunya. Entre rumeurs et théorie du complot qui trouve ses sources dans l’histoire de l’île, les Réunionnais ont du mal à adhérer aux messages officiels véhiculés par des autorités décrédibilisées. La communication a du mal à s’établir. Pourquoi ?
Dans les années 70, les Réunionnais ont connu le paludisme, également transmis par un moustique. Comment expliquez-vous ce sentiment de méfiance aujourd’hui à l’égard de ce virus ? Y a-t-il une “culture” de la rumeur qui empêche toute adhésion à un message ou est-ce le message qui ne sait pas désamorcer la rumeur ?
- Laurent Médéa : Dans la réaction de la population réunionnaise face à l’épidémie, on observe des mécanismes universaux (désignation d’un bouc émissaire, peur d’une menace extérieure, théorie du complot) qui se déclinent dans un contexte culturel spécifique. Les personnes les plus vulnérables socialement accusent les Comoriens : le virus nous arrive des Comores, les Comoriens sont donc responsables de l’épidémie. Ce qui poussent les populations les plus défavorisées de La Réunion à des discours xénophobes sur fonds de racisme ordinaire lié au contexte économique et social difficile (fort chômage, logement précaire).
Autre rumeur ou interprétation : le châtiment divin. Une partie de la population très croyante et désemparée se tourne vers Dieu pour implorer son pardon. Mais surtout, c’est la théorie du complot qui me semble être la rumeur la plus répandue, la plus persistante et la plus révélatrice de la représentation de soi de la population réunionnaise, française et à 10.000 kilomètres de la métropole.
La théorie du complot revêt plusieurs dimensions : on a pu entendre à un certain moment que c’était les Américains qui avaient fabriqué le virus. Plusieurs explications à cela : le contexte international de menaces de guerre chimique relayé par les médias télévisés ou encore l’existence d’un vaccin américain contre le chikungunya. Mais la théorie du complot repose de manière plus significative sur une association entre 3 entités : l’État (représenté par le préfet et les ministres qui défilent), les médecins et les médias. L’État est accusé de ne pas avoir réagi à temps, les médecins de dissimuler des éléments importants à la population de manière délibérée et les médias de se rendre complices de ces 2 méfaits.
Comment éclairer cette théorie du complot à la lumière de l’histoire de La Réunion et comment se manifeste-t-elle aujourd’hui ?
- Soulignons tout d’abord que le passé de la population réunionnaise est marqué par l’esclavage, la colonisation et la départementalisation.
Trois périodes qui ont laissé des traces, notamment le fait qu’il subsiste de manière consciente ou inconsciente l’idée que toutes les décisions ont toujours été prises et le sont encore aujourd’hui par une certaine catégorie de la population qui serait composée de la bourgeoisie blanche locale et des métropolitains, et contre laquelle on ne peut rien. À cela s’ajoute un sentiment qui date de l’esclavage et qui persiste aujourd’hui que l’île est dirigée par un pouvoir extérieur sur lequel la population n’a pas de réelle emprise. D’où l’expression d’un certain fatalisme ou défaitisme et d’impuissance par rapport au destin de l’île.
Ce sentiment d’un pouvoir extérieur se nourrit d’une constatation au quotidien : un grand nombre de représentants de l’État et d’institutions publiques interrogés par les médias sont des métropolitains - le préfet et ses collaborateurs, les représentants de la DRASS et de l’ARH, l’armée, les scientifiques et médecins locaux et extérieurs, une grande majorité des journalistes locaux et nationaux, les ministres qui défilent, les conseillers des ministres, la garde rapprochée, les policiers etc... Le discours officiel et scientifique qui rassure et qui explique provient toujours des mêmes catégories de personnes, et dans un contexte local, des mêmes individus. Les détenteurs de la “vérité” scientifique et politique se résument donc à une poignée de personnes qui défilent en boucle sur les médias ; d’où l’idée d’un complot. Les interlocuteurs officiels ne sont pas représentatifs aux yeux de la population, donc on assiste aussi à un sentiment d’incompréhension de la part de la population qui a pu dire à un certain moment : "Si les représentants des autorités étaient touchés, ils auraient agi autrement". La grande conséquence de cette théorie du complot, c’est que les messages d’information et de sensibilisation qui émanent des autorités sont décrédibilisés.
Cela pourrait expliquer que encore aujourd’hui, tout le monde ne soit pas convaincu que le moustique soit le vecteur de la maladie ? Domoun i di sa lé dan lèr.
- Plusieurs éléments expliquent que la population réunionnaise n’arrive pas à accepter cette idée. Les Réunionnais ont toujours vécu avec des moustiques dans leur entourage proche, et depuis plus de 30 ans, il y a eu éradication du paludisme. Le moustique ne présente plus de danger et du jour au lendemain, un insecte jugé aussi inoffensif qu’une mouche devient l’ennemi public numéro 1. D’autre part, la cohabitation avec le moustique reflète également un mode de vie : les Réunionnais ont la main verte, ils aiment s’entourer de plantes et de fleurs y compris dans les immeubles car cela fait référence pour eux à un mode de vie dans les campagnes avant d’arriver en ville. Tout le monde veut sa kour. De part le climat, on vit beaucoup dehors lorsqu’on est dans le quartier. Il y a une vie à l’extérieur des maisons surtout en fin d’après-midi et en début de soirée lorsque le moustique attaque. Pour lutter contre cette épidémie de chik, on demande à la population de changer son mode de vie du jour au lendemain, jusqu’à sa manière de s’habiller.
À La Réunion, de part l’histoire et les discours officiels, la population a été assimilée à la culture française. Dans nos têtes, on est en France et Français, et non pas en Afrique, alors que géographiquement, on est en Afrique. En quelques semaines, La Réunion est redevenue un pays du Tiers-monde ou en voie de développement, elle est redevenue un pays tropical.
On demande aux Réunionnais de changer leur mode de vie, par exemple d’apprendre à gérer leurs déchets. Mais pourtant la population a toujours été proche de la nature, de son environnement.
- Ce qui semble intéressant de souligner à ce sujet c’est que la population réunionnaise, confrontée à cette crise, réagit en faisant appel à des solutions traditionnelles comme la consommation de tisanes qui apaisent la douleur mais aussi d’utilisation de plantes pour se protéger contre les moustiques (géranium, citronnelle). On a beaucoup parlé à ce sujet des remèdes de gramounes (équivalent des recettes de grands-mères) pour se protéger contre les moustiques, ce qui a fait resurgir une connaissance traditionnelle peut-être oubliée sur certaines questions.
Certains Réunionnais vont effectivement se tourner vers des remèdes magiques ou vers la sorcellerie quand les médecins seront jugés incompétents (pour mettre fin aux atroces douleurs par exemple). On remarque aussi la consommation de tisanes de plantes qui font allusion aux religions : les rameaux, les nymes, etc... On est pour l’instant dans un champ irrationnel car il n’y a pas de remèdes, et les scientifiques “occidentaux” avouent ne pas tout savoir au sujet de cette maladie. Ces comportements irrationnels peuvent paraître irraisonnés, mais au contraire, on utilise des moyens de défense et de résistance tous azimuts pour préserver sa santé. C’est un comportement intentionnel et alternatif de ce que peut proposer la norme médicinale occidentale et rationnelle en ce moment.
La perception que la société réunionnaise peut avoir de la maladie, qui plus est d’une maladie qui peut s’avérer mortelle, peut-elle expliquer son rapport à l’épidémie ?
- Les Réunionnais ont bien-sûr un rapport spécifique et culturel relatif à la mort, mais il ne me semble pas éclairant dans cette réaction à l’épidémie.
Dans le passé, les grandes épidémies arrivaient par bateaux comme la grippe espagnole dans les années 20 qui a fait plus de 25.000 morts et qui a marqué la mémoire collective pendant des dizaines et des dizaines d’années à La Réunion et on en parle encore un peu aujourd’hui.
Si l’épidémie perdurait et qu’elle fait beaucoup plus de morts, elle pourrait rester gravée dans la mémoire collective et revêtir le statut d’une grande catastrophe qui marque l’inconscient collectif au même titre que les grandes coulées volcaniques comme celle qui a évité l’église de Sainte-Rose en 1977.
Comment le sociologue que vous êtes interprète-t-il la communication qui a été faite autour de l’épidémie, dans sa forme, son mode et son contenu ?
- Les campagnes de communication autour de l’épidémie me semblent à la fois tardives et inadaptées à la population locale. Soulignons en premier lieu le problème du choix des médias. Il s’est porté sur le média écrit pendant longtemps alors que La Réunion compte 120.000 illettrés. Si la radio a servi de support, la télé, très regardée à La Réunion, ne l’a été qu’au plus fort de la crise. Ce média aurait pourtant du être le premier sollicité (utilisation de l’image, messages oraux).
Quant au choix de la langue, il est également regrettable que la majorité des messages soit en français ; les rares messages en créole ont été écrits alors que le créole réunionnais est avant tout une langue orale à l’heure actuelle (aucune graphie officielle, très peu de lecteurs en créole : bon nombre de créolophones se disent rebutés par la lecture d’un message en créole). Ceux qui ne comprennent pas les messages écrits en français ne comprendront pas non plus ceux écrits en créole.
Enfin, les clips télévisés mettant en scène des Réunionnais (en français) et reconstituant un échange autour du chikungunya paraissent peu vraisemblables. D’une part, les dialogues ne sont pas spontanés et sonnent faux ("le moustique adore pondre dans l’eau qui dort ..." ; d’autre part, le message véhiculé me paraît culpabilisant ("moi, le chikungunya je n’en veux pas, je fais tout pour l’éviter, etc...", sous-entendu ceux qui l’ont eut n’ont pas tout fait pour l’éviter). Ces messages sont culpabilisants et infantilisants, avec en arrière-plan des messages officiels qui n’ont cessé de souligner la saleté de l’île, culpabilisant encore un peu plus la population.
On parle de guerre contre le moustique, d’opérations commandos, de militaires. Quelle portée ces mots peuvent-ils avoir chez la population, dans l’inconscient ou le conscient des Réunionnais ?
- La peur est historique chez les Réunionnais. Dans cette épidémie, on est accaparé par ses émotions et fasciné par l’apparence que présentent les médias de cette maladie. Par conséquent, il y a une perception de danger potentiel que l’organisme anticipe naturellement de manière craintive. Ajouter à cette actualité internationale que sont les guerres, le terrorisme et de scénarios catastrophes, on imagine tout dans la formation de cette perception du danger et la peur de mourir. La peur avertit les individus de la présence d’un danger et cette information permettra de prendre les mesures pour se protéger. À l’opposé, il y a ceux qui minimisent les faits du danger en le considérant pas comme réel et négligent de prendre les précautions nécessaires pour minimiser les dangers potentiels de cette épidémie.
De l’extérieur, on voit La Réunion comme un pays tropical, donc comme sous-développé, et les médias doivent choquer et faire peur, c’est ce qui marche en ce moment. C’est simple, établissez une enquête auprès des Réunionnais sur la représentation de la grippe aviaire en Chine ou en Turquie. Ils auront peur. Donc, on fait tout pour que la grippe aviaire n’arrive en France avec toutes les précautions possibles. Ces craintes sont des représentations issues des médias d’une épidémie “virtuelle” car elle n’est pas palpable en France. On extrapole ces informations par de l’inquiétude sur un événement futur possible pour anticiper la situation appréhendée : celui de contracter la maladie qui conduit aux annulations massives des touristes vers la destination Réunion.
Cela me fait penser au temps de la première guerre contre l’Irak en 1991 où les Réunionnais se sont rués dans les supermarchés pour acheter du riz pour 2 ans. Aujourd’hui les consommateurs achètent des produits (serpentins, bombes, pommades) pour 5 ans et il n’y a plus en stock : les Réunionnais sont obsédés pour se protéger et chacun pour soi. Aujourd’hui on ne s’aperçoit plus de l’individualisme galopant chez les Réunionnais où l’organisation et la structure sociales et les valeurs évoluent et s’occidentalisent. Cette "solidarité" réunionnaise est à reconsidérer au début de ce nouveau siècle.
Entretien réalisé par Estéfani
Merci et bon rétablissement à Laurent Médéa qui, bien qu’atteint par le virus ce week-end, a accepté de répondre à nos questions.
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