Le bouclier sanitaire pour « une meilleure protection des ménages modestes »

24 janvier 2008

Le bouclier sanitaire consiste à établir un plafond du reste à charge des dépenses de santé, plafond qui peut être modulé en fonction du revenu des ménages. D’après un rapport de Bertrand Fragonard et Raoul Briet, cette mesure pourrait contribuer à plus d’équité dans notre système de santé qui se veut solidaire. Ce bouclier peut être appliqué dès 2010. Mais en attendant, les ménages modestes vont devoir composer avec les franchises médicales et espérer que l’Etat tienne compte des conclusions de ce rapport. Ce que la Ministre de la Santé Roselyne Bachelot n’a toujours pas confirmé.

Dans la lettre de mission adressée à Bertrand Fragonard (Président du Haut Conseil pour l’Avenir de l’assurance maladie), et Raoul Briet (Président de Périmètre des biens et services remboursables de la Haute autorité de Santé), les ministres de la Santé, du Budget et le Haut commissaire aux Solidarités actives expliquent la situation de l’assurance maladie. « Depuis 45 ans, la prise en charge des dépenses de santé par l’assurance maladie a évolué de manière paradoxale et peu juste » marquée par des évolutions contrastées.
Le nombre de personnes intégralement couvertes augmente, notamment les personnes en affection de longue durée (ALD) et celles qui bénéficient de la CMU (Couverture maladie universelle). Mais pour d’autres assurés, le taux de remboursement baisse, conséquence des nombreux niveaux de tickets modérateurs. Pour ceux-ci, le reste à charge des dépenses est 4 fois supérieur en moyenne aux assurés qui bénéficient de l’exonération du ticket modérateur.
Le rapport réalisé par Bertrand Fragonard et Raoul Briet en septembre dernier avait pour objectif d’évaluer la pertinence d’un “bouclier sanitaire” pour rétablir plus d’équité dans le système de prise en charge des dépenses de santé et les conditions de faisabilité. La mesure n’est pas inconnue car elle est déjà utilisée en Belgique et en Allemagne.

Une protection pour 5 millions de personnes exclus de la CMU

Malgré la CMUC, qui permet aux plus pauvres d’être assurés, des ménages modestes se retrouvent exclus du système. Ces ménages ne sont pas souvent exonérés du ticket modérateur et de participation forfaitaire comme les franchises. Et ils ne bénéficient pas d’assurance complémentaire. En chiffres, cette catégorie de ménages correspond à 8,5% de la population, soit 5 millions de personnes. Ce qui n’est pas rien. Le rapport établit le profil de ces personnes : ménages modestes [17,1% pour les ménages ayant moins de 550 euros/uc ; 19,4% pour les chômeurs ; 18,6% pour les “autres inactifs” ; 15,4% pour les ouvriers non qualifiés (contre 11,5% pour les ouvriers qualifiés)] pour qui un reste à charge élevé peut se révéler excessif, personnes très âgées (13,6% au-dessus de 80 ans ; 8,1% en dessous de 80 ans), de personnes exonérées (11,2% des ALD contre 8,1% des non ALD), donnée cohérente avec l’âge.
Pour les personnes qui dépassent de 20% le seuil qui donne droit à la CMUC, ce qu’on appelle le “chèque santé”, ou aide complémentaire de santé, permet de financer de moitié la mutuelle complémentaire, mais souvent en “théorie”, précise le rapport, car il est difficile à mettre en œuvre.
A La Réunion, la Sécurité sociale n’est pas en mesure de communiquer le pourcentage de la population qui ne bénéficie pas de complémentaire. D’après Philippe Ferdinand, responsable du Département des Relations avec l’offre de soins, 40% des Réunionnais (exactement 296.442 au 31 décembre 2007) ont la CMUC et 84.000 personnes sont en affection de longue durée (ALD). On peut en déduire que le nombre de ménages réunionnais sans complémentaire est faible. Mais le bouclier pourrait s’avérer efficace pour les personnes qui ont droit au chèque santé, et le remplacer de façon plus efficace. Et donc, sur ce point, le bouclier sanitaire n’aurait que peu d’incidence à La Réunion. Quoi qu’il en soit, pour ces ménages modestes (5 millions de personnes), le bouclier sanitaire pourrait mettre fin à la renonciation aux soins.

Meilleure prise en charge des maladies chroniques

D’un autre point de vue, la mesure semble plus intéressante : garantir une meilleure prise en charge des maladies chroniques. C’est que les personnes en ALD n’ont pas toutes besoin d’une prise en charge à 100% de leurs dépenses, alors qu’un nombre important d’assurés doit assumer un reste à charge élevé des dépenses en soins. « Dans les personnes qui ont un reste à charge supérieur à 600 euros, on trouve 1 million d’assurés en ALD (11,8% de l’effectif) mais aussi 3,3 millions d’assurés non ALD (6,1% de l’effectif). Et dans les personnes qui ont un reste à charge inférieur à 100 euros, on trouve 25,8 millions d’assurés non ALD (47,5% de l’effectif) mais aussi 3,4 millions d’assurés en ALD (39,3% de l’effectif) », informe le rapport.
Par maladies chroniques, il faut entendre les personnes souffrant de diabète, d’asthme,cd’hypertension artérielle, d’insuffisance cardiaque, etc...
Faut-il supprimer le système de ALD ? C’est ce qui pourrait être une conséquence du bouclier sanitaire puisqu’il propose de « cibler la prise en charge à 100% des restes à charge très élevés et non plus seulement les ALD ». Il est « envisageable », ajoute le rapport, « de revoir le régime des ALD dans ses aspects discutables, ne serait-ce que pour stabiliser à son niveau actuel le taux de prise en charge global des dépenses par l’assurance maladie qui augmente spontanément avec la poussée des dépenses exonérées de ces assurés ».

Financer grâce à l’augmentation des cotisations

Comment financer le bouclier sanitaire ? Pour les 92% d’assurés (CMUC compris), la mise en place du bouclier aurait des conséquences sur la cotisation, allant de quelques euros à (exceptionnellement, précise le rapport) 30 ou 35 euros. « Comme le plafonnement du reste à charge est coûteux et qu’il faut gager la charge qu’il implique par une augmentation du taux du ticket modérateur, leur reste à charge (des assurés) augmentera légèrement. Les effectifs concernés et le montant de l’effort qui leur sera demandé (et qui, dans la plupart des scenarii analysés, ne devrait pas dépasser quelques euros par mois ; exceptionnellement 30 euros) dépendront des choix des paramètres financiers de la réforme ».
Au niveau des mutuelles, les effets du bouclier sont limités, il est possible qu’il « améliorera toutefois le niveau de la prise en charge pour les assurés dont le contrat de complémentaire couvre mal le forfait journalier pour des séjours de longue durée, notamment en médecine, psychiatrie et soins de suite. C’est une situation qui n’est pas rare », ou qui contribue à faire baisser les cotisations des personnes âgées.

Les effets pervers du bouclier sanitaire : surconsommation des soins ?

Au lieu de contribuer et non de remédier à lui seul à la réduction, du moins à la stabilisation des dépenses de santé, le bouclier ne va-t-il pas provoquer un « surcroît de consommation » ? Réponse des commissions : « Objectivement, la “gratuité” existe déjà pour la grande majorité des assurés avec leur couverture complémentaire adossée au tiers-payant ainsi que pour les assurés en ALD pour les dépenses en rapport avec leur pathologie. On ne saurait toutefois exclure qu’une partie des assurés ait une perception différente : en visualisant qu’on est arrivé “en terre promise” avec gratuité totale, ils auraient une tentation de consommer plus.
On pourrait aussi enregistrer quelques consommations supplémentaires pour les assurés non couverts en complémentaire, mais il n’est pas sûr qu’en l’espèce, il faille le regretter, compte tenu des analyses sur le renoncement aux soins des personnes sans complémentaire ».
Bref, le risque de surconsommation est faible, d’autant plus que le bouclier sanitaire n’exclut pas les participations forfaitaires, ou encore les dépassements d’honoraires. La Belgique et l’Allemagne, où ce type de mesure est appliqué, n’ont pas constaté de surconsommation de soins.

Edith Poulbassia


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