De l’importance d’évaluer l’efficacité des insecticides

Le moustique : une menace mondiale

26 juin 2006

Le professeur Paul Reiter, Chef de l’Unité Insectes et Maladies Infectieuses à l’Institut Pasteur, attend l’aval de l’Agence Nationale pour la Recherche pour entamer une étude sur le comportement et le mouvement de l’Aèdes Albopictus qui permettrait d’expliquer la dispersion du virus. Sceptique quant à l’efficacité des insecticides, il estime que les OGM pourraient permettre de stopper la transmission du virus. Mais plus qu’un débat scientifique, on touche là aux peurs et à l’éthique.
Nous versons au dossier cette contribution. Toutefois, sans préjuger des décisions des scientifiques, il nous paraît primordial de disposer le plus tôt possible à La Réunion d’une unité de fabrication de l’insecticide Bti, et d’en faire une distribution massive à chaque Réunionnais.

Après 22 ans de recherche aux US Centers for Disease Control and Prevention (CDC), en 2003 le professeur Paul Reiter a intégré l’Institut Pasteur. Spécialiste en biologie, écologie, comportement et contrôle des moustiques, il étudie la dynamique de la transmission et l’épidémiologie des maladies transmises.

Depuis combien de temps vous intéressez-vous aux OGM des moustiques ? Et en quoi consiste ces recherches ?

- Nous avons un projet en collaboration avec l’Université d’Oxford en Angleterre et une petite compagnie attachée à l’Université. Le groupe Oxford a commencé il y a 5 ans et nous sommes en liaison depuis 2 ans. Nous pratiquons des expérimentations en laboratoire à partir des différents étages aquatiques du moustique. L’idée, c’est de continuer à travailler sur cet aspect génétiquement modifié, de relâcher des mâles porteurs d’un gène modifié qu’ils pourront ainsi transmettre aux femelles sauvages qui elles-mêmes le transmettront après fécondation aux moustiques mâles. On pourrait ainsi stopper la transmission du virus. Ces méthodes sont déjà explorées sur les moustiques vecteurs du paludisme et la Fondation Bill Gates a d’ailleurs investi 5 millions d’euros dans ces recherches. Mais cela demande beaucoup plus de financements.

Comprenez-vous que cet aspect de la recherche suscite des réticences ?

- Pour moi, les gens ont peur, mais il n’y a aucun risque. Le problème reste l’ignorance. On pense que parce que c’est fait par l’homme, cela doit être dangereux. On a peur que cela s’étende à d’autres espèces, mais si l’on regarde par exemple la diversité des espèces de chiens, on se rend compte qu’ils sont tous génétiquement modifiés. Pour le cas du blé, on craint que les OGM se transmettent à d’autres plantes de même origine par la pollinisation et que cela élimine d’autres espèces. La vérité avec le moustique, c’est qu’il y a toute une série de mécanismes qui rentrent en jeu et qui font que des espèces différentes ne copulent pas entre elles. La fertilisation n’est pas possible. L’Aegypti ne copule pas avec l’Albopictus et s’il y parvenait, ils n’auraient pas d’enfants. A-t-on déjà vu une vache s’accoupler avec un cheval ? Pour l’Anophèle Gambiae, on peut distinguer 7 espèces morphologiques par des méthodes moléculaires. On peut retrouver plusieurs sous-espèces dans un même endroit mais qui ont des comportements différents, des heures d’activités différentes. Même très proches, il n’y pas de croisement entre elles.

Pourrait-on envisager que cette approche soit exploitée dans le cadre de la recherche sur le chikungunya ?

- Beaucoup de pays acceptent cette recherche car cela permet de pallier l’utilisation des insecticides d’une part très toxiques et d’autres part parce que les moustiques développent des résistances à ces produits. Avec les OGM, on peut trouver des solutions à la transmission des virus. C’est très bien pour la santé publique et cela permet d’éliminer l’utilisation des insecticides. Pour le cas de La Réunion, il serait déjà intéressant d’évaluer les méthodes de contrôle et d’efficacité des insecticides. Le travail que j’ai engagé avec l’OMS en Amérique Latine, au Venezuela, en Equateur a montré que les insecticides n’étaient pas très efficaces. Et pourtant c’est la méthode la plus utilisée. A Rome où j’étais il y a deux jours pour un meeting et partout en Italie, on retrouve des Albopictus. Au Vatican, les gardiens m’ont dit que chaque mois, des insecticides sont répandus dans les jardins du Pape.

Si ce n’est sur la question des OGM, allez-vous être impliqué dans la recherche sur le chikungunya ?

- Cela dépend des Réunionnais. Plusieurs équipes de l’Institut Pasteur sont déjà impliquées. Nous avons fait une proposition avec l’IRD pour travailler sur l’éthologie du moustique, mais nous attendons l’accréditation de l’Agence nationale pour la Recherche. Nous, scientifiques, nous sommes comme des mendiants, nous essayons de trouver de l’argent partout pour poursuivre nos recherches. Nous souhaitons en apprendre plus sur le mouvement du moustique. Pour l’Aegypti, les recherches ont démontré que pendant la phase de ponte, la femelle ne met pas tous ses oeufs dans le même panier, elle en dissémine par ici et par là. C’est un aspect très important à étudier car il explique la dispersion du virus et permet de mettre en place des focus de contrôle au niveau des maisons.

Nous serions à 500 nouveaux cas de chikungunya par semaine. On appréhende une nouvelle flambée épidémique au retour de l’été austral. Qu’en pensez-vous ?

- Comme 35% de la population a déjà été “vaccinée” par le moustique, on peut espérer que la transmission sera moins importante que l’été passé. Ce qui est plus préoccupant c’est que le chikungunya n’est qu’une des maladies transmise par le moustique. C’est une grande surprise que l’Albopictus soit un vecteur aussi efficace.

Est-ce qu’on peut alors imaginer qu’un autre vecteur soit en cause ?

- Cela n’est pas impossible. C’est même possible que d’autres animaux fassent partie du cycle de transmission. On est face à une mondialisation, globalisation des moustiques. La première fois que j’ai vu un Albopictus en dehors de l’Asie, c’était à Memphis dans le Tennessee. J’ai essayé de comprendre, et c’est deux ans plus tard, au Texas, face à une énorme quantité d’Albopictus disséminés dans un petit comté que j’ai compris. Deux hommes qui ramassaient les pneus usés m’ont dit que ce monticule allait être exporté au Mexique. Finalement le commerce du pneu usé a répandu le moustique à travers le monde. Du Mexique en Amérique centrale, en Amérique du Sud, au Gabon, en Europe : le problème c’est qu’il est partout.

Entretien Stéphanie Longeras


OGM : renforcer l’accès à l’information du public

Lors du Conseil des ministres qui s’est tenu le mercredi 8 février 2006 à l’Elysée, la question des OGM a fait l’objet d’un projet de loi, présenté par le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, visant à encadrer l’utilisation des OGM en milieu ouvert ou confiné à des fins de recherche ou de mise sur le marché. Le projet de loi s’appuie largement sur les propositions de la mission d’information parlementaire sur les enjeux des essais et de l’utilisation des OGM, rendu en avril 2005. Suivant les recommandations de la mission, le Gouvernement a notamment décidé d’assurer une plus grande cohérence de l’expertise scientifique et de renforcer l’accès à l’information du public. Il appartiendra ainsi au Conseil des biotechnologies (fusion de trois instances consultatives : la Commission de génie génétique, la Commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire et le Comité de biovigilance), outre sa mission d’évaluation, de procéder à des analyses sur les conséquences économiques et sociales que présente l’usage des OGM. 

S. L.


Insister sur le contrôle des densités de moustiques

Il est actuellement difficile de juger de l’efficacité des actions de lutte anti-vectorielle mises en place à La Réunion pour deux raisons : l’absence de données sur la sensibilité de l’Aèdes Albopictus aux insecticides utilisés et l’insuffisance de la surveillance entomologique. Même si la DRASS a vu ses moyens humains renforcés avec le soutien du Département (environ 100 personnes constituent le service de prophylaxie), le suivi des densités de vecteurs est-il suffisant ? Selon le professeur Reiter, il est aujourd’hui important de trouver des méthodes de démoustication efficaces et sans danger pour l’environnement, comme les produits biologiques. Dans cette optique, les OGM constituent une piste, actuellement étudiée en laboratoire pour éradiquer à l’avenir, les moustiques vecteurs. De la même manière, il est envisagé de lâcher des mâles stériles qui ne transmettent pas le virus dans les zones infestées pour limiter puis éliminer la source de contamination. Mais on parle déjà d’une efficacité des OGM de 10 ans sur le moustique. Une chose est sûre, une éradication totale de l’Aèdes Albopictus semble utopique avec les méthodes chimiques et mécaniques actuelles, c’est pourquoi le contrôle des densités apparaît plus réaliste. Quoi qu’il en soit, si l’on a pu déplorer une baisse de vigilance locale face à la menace moustique, les chercheurs comme le professeur Reiter déplorent également qu’au niveau de la recherche même, cette problématique ait été délaissée.


Éclairage

Pour évaluer la densité des populations de moustiques, les autorités sanitaires agissaient sur les zones de traitements suivant le protocole mis en place en février et qui prévoyait, comme suggéré par l’OMS, de procéder à quatre passages sur une même zone. Ces relevés se poursuivent aujourd’hui sur 250 quartiers du littoral sur la base de l’indice de Breto qui évalue le nombre de gîtes potentiels sur 100 maisons. Dès 2004 et l’épidémie de dengue, ces relevés avaient été mis en place. Ils permettent lorsque l’indice dépasse 50, soit un indicateur d’explosion épidémique, d’engager de façon ciblée une lutte adulticide.

S. L.


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