Campagne exceptionnelle

Le Port se mobilise contre le chikungunya et son vecteur

21 octobre 2005

La collectivité portoise sait qu’elle ne viendra pas à bout, seule, de la maladie du chikungunya transmise par piqûre de moustique. Mais elle veut donner un exemple de mobilisation contre la maladie et l’insecte qui la propage. Des moyens exceptionnels et un programme d’actions, sur un périmètre élargi, sont déployés à partir de cette semaine. La population est vivement invitée à se joindre à la mobilisation.

Dans une lettre à la population distribuée ces jours-ci, le maire du Port, Jean-Yves Langenier indique que la cité portuaire est une des villes les plus atteintes par la maladie du chikungunya, puisqu’elle abriterait un quart du total des Réunionnais atteints par le virus, selon les chiffres officiels communiqués par la DRASS.
Les services de la mairie ont recensé plus de 6000 consultations médicales, pour 604 cas révélés positifs. "Ces données n’incluent pas le nombre de Portois qui seraient allés consulter directement à l’hôpital Gabriel Martin et elles ne sont certainement pas exhaustives ; d’autant plus qu’au bout de cinq mois de contamination, il n’est plus nécessaire de faire des analyses pour diagnostiquer la maladie", a commenté hier Jean-Yves Langenier, selon qui le nombre de cas serait plutôt à situer entre 900 et 1000.
À l’approche de l’été austral, la ville a donc décidé de mesures de lutte exceptionnelles, auxquelles la population est appelée à apporter son soutien en se mobilisant contre les foyers à larves de moustique et en se protégeant des piqûres.
Depuis mai 2004 et l’épidémie de dengue qui a alors touché certaines parties du territoire de la cité portuaire, un dispositif de lutte a été déployé, avec des passages d’employés communaux chargés de répandre les traitements : une fois par semaine dans les cimetières et une fois par mois dans les écoles, crèches, parcs, squares et jardins, aux abords des sites sportifs et autour des lavoirs et autres niches à moustiques. Ces traitements, destinés à freiner la prolifération des moustiques, ont déjà coûté la bagatelle de 50.000 euros (plus de 300.000 francs), sans pouvoir éviter à la ville la situation qu’elle connaît depuis cinq mois.
D’où la campagne exceptionnelle et l’appel à la population pour supprimer les nids de prolifération.
"Il faut mobiliser plus de moyens pour lutter contre le chikungunya" a constaté le maire du Port, en interpellant l’Etat et le Conseil général, qui ont compétence en matière de santé publique.

“Coût social”

Les actions complémentaires, pour renforcer le dispositif existant, consistent d’une part en des traitements préventifs anti-moustiques dans tous les quartiers de la ville, doublés d’une information de proximité ; d’autre part en l’éradication des gîtes potentiels par l’enlèvement des dépôts sauvages, le nettoyage et le traitement des sites abandonnés, etc...
La ville va devoir faire appel à des sociétés spécialisées dans la lutte contre les insectes et contre divers vecteurs potentiels de maladies.
Le coût global de cette nouvelle campagne est estimé à 50.000 euros. Et c’est sans compter le “coût social” de la maladie : ce que la sécurité sociale a déjà payé, ce qu’elle risque de payer encore si l’épidémie progresse et le manque à gagner économique des milliers de défections pour cause de chikungunya.
Tous ces éléments conduisent le maire du Port à penser qu’il serait plus judicieux de chercher à faire émerger un traitement, même si son élaboration aura elle aussi un coût. "Nous pouvons faire tout notre possible pour diminuer la population des moustiques - a dit Jean-Yves Langenier - mais il y a un scientifique qui a dit que “la Terre est un monde d’insectes”. Nous n’en viendrons pas à bout et il vaut mieux chercher un traitement". Ce discours, malheureusement, n’est pas encore entendu par ceux que guide la “rationalité” des gains et des pertes, pas seulement économiques, mais humains (voir encadré).

Enjeu départemental

Les Portois vont néanmoins s’acharner à obtenir une plus grande implication de la DRASS et du Conseil général. Le maire du Port entend saisir le Conseil de l’ordre des médecins et l’Etat sur le plan curatif, pour qu’ils activent la validation de remèdes dont les effets auraient été notés positifs. "Certains médicaments anti-paludéens s’avéreraient efficaces dans le traitement du chikungunya", a révélé hier le maire du Port en faisant état d’informations transmises par des médecins et pharmaciens.
Mais, en l’absence d’une validation émanant de la DRASS et du centre parisien - voire londonien - il ne peut y avoir de généralisation d’un traitement dont la valeur est jugée “empirique”.
Dans l’état actuel des choses, il faudra beaucoup d’énergie pour ébranler sur ce plan les certitudes de ceux qui dirigent dans l’île la politique de santé publique au niveau du Département et de l’Etat.
"C’est un enjeu départemental ; l’action d’une ville seule ne peut suffire", argumente pour sa part le maire du Port.

P. David


Un traitement contre le chikungunya ?

Il n’y a "pas assez de malades" et "on n’en meurt pas"

Toutes les informations obtenues du corps médical et des responsables de la santé publique indiquent que le moyen le plus sûr d’obtenir des résultats spectaculaires est d’accentuer les actions de prévention.
Car pour ce qui est du traitement curatif, ceux qui l’évoquent se heurtent immanquablement à une avalanche d’objections toutes plus “rationnelles” les unes que les autres.
La première met en avant que les antiviraux sont des médicaments "à effet assez modéré", observe Jean-Yves Perron, pharmacien inspecteur à la DRASS. Il existerait assez peu de traitements de ce type, à l’exception de celui du Sida.
Met-on en avant les conséquences sur les parties de population les plus fragiles, personnes âgées ou nouveaux-nés ? Le maire du Port a estimé hier que ces conséquences "peuvent être extrêmement graves".
Des cas d’encéphalites ont été recensés dernièrement, chez des nouveaux-nés présentant une sérologie positive, c’est-à-dire la présence d’anti-corps formés par réaction à la maladie de la mère. "Coïncidence", répond-on à la Drass, "il aurait fallu mettre en évidence la présence du virus chez l’enfant, ce que le corps médical n’a pas constaté".
S’il n’est pas possible d’établir un lien direct, on sait que le virus peut donner des symptômes ORL, digestifs ou méningés, entre autres ; que la maladie est très invalidante et qu’elle peut appeler des pathologies entraînant pour conséquences divers handicaps.
"Les symptômes persistent très longtemps", admet Jean-Yves Perron, "mais on s’en sort et il n’existe pas de cas qui, après plusieurs mois de maladie, ne débouche sur une guérison spontanée". Autrement dit : le traitement n’est pas recherché par ceux qui ont le pouvoir d’activer les instances nationales - l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS), à Paris - ou l’agence européenne du Médicament, à Londres.
"Il est très compliqué de sortir une molécule efficace et il faut ensuite s’assurer qu’elle ne présente pas d’effets secondaires à risque plus grand que le virus lui-même", poursuit le pharmacien de la DRASS, selon qui, pour toutes sortes de raisons, il est logique que l’essentiel des moyens de recherche soit orienté contre le Sida, épidémie mortelle, plutôt que contre le chikungunya, qui ne concerne en Afrique "qu’une poignée de personnes". "Entre le paludisme et le Sida, l’Afrique a des problème autrement plus graves à résoudre".
Sans doute. Mais en l’absence de traitement médical, l’attitude actuelle des autorités sanitaires ne va-t-elle pas faire manquer à l’Etat l’occasion d’expérimenter l’éradication de la maladie à petite échelle ?

Jus de fruit miracle

C’est aussi laisser la porte ouverte à des “remèdes miracles” tels que le jus de noni (morinda citrifolia), fruit maladorant d’un arbuste appelé malay à La Réunion - et aussi morinde ou moriendier ou encore “mûrier de Java” - dont un jeune Tamponnais affirme qu’une auto-médication de cet élixir l’a guéri du chikungunya. Effet placebo ou propriété véritable ? Si aucune vérification n’est entreprise, comment le savoir ?
Depuis que la Commission européenne a donné en 2003 une autorisation de commercialisation consécutive à une évaluation de l’autorité européenne de sécurité alimentaire, les produits à base de jus de noni connaissent un développement croissant sur le marché européen.
Le noni est un anti-oxydant hypervitaminé utilisé dans la tradition médicinale polynésienne, mais pas dans l’alimentation courante.
À l’inverse, en Occident, il est utilisé comme complément alimentaire et n’est pas considéré comme un médicament. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a fait savoir récemment que des investigations étaient en cours pour analyser l’origine de troubles hépatiques chez "trois personnes ayant notamment consommé du jus de Noni" (...et des fraises - Ndlr).
L’AFSSA souligne que "les éventuelles propriétés du jus de noni (...) n’ont pas été évaluées et a fortiori validées par les autorités de sécurité sanitaire, que ce soit en tant qu’aliment ou en tant que médicament."
C’est bien ce que l’on peut déplorer. Encore une fois, en l’absence de vérification médicale, le champ d’action est laissé libre à l’aventure commerciale et à l’imagination de ses acteurs.

P. D.

Chikungunya

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