Le docteur Flahault, interrogé par Jean Saint-Marc

’Les systèmes de surveillance épidémiologique sont défaillants’

27 janvier 2006

Antoine Flahault est épidémiologiste et co-responsable du réseau Sentinelles de l’INSERM, un réseau de surveillance nationale de la grippe. Il était l’invité du forum du “Quotidien Perm@nent” nouvelobs.com ce mercredi 25 janvier en fin d’après-midi pendant 1 heure 30. Le thème du forum était la grippe aviaire. Interrogé par Jean Saint-Marc sur l’épidémie de chikungunya à La Réunion, le docteur Flahault affirme que celui-ci a raison de ’pointer du doigt le fait que les systèmes de surveillance épidémiologique sont largement défaillants’. Et il met en cause les choix des investissements par les décideurs.

Voici la question adressée mercredi dernier au docteur Flahault, par Jean Saint-Marc, membre du secrétariat du Parti communiste réunionnais et participant aux émissions “Alon kozé” le matin de 7 heures à 9 heures sur la radio Kanal Océan Indien (K.O.I.). Les intertitres sont de “Témoignages” :

Bonjour Docteur Flahault.
Le 4 octobre 2001, vous faisiez écho à une alerte émise par la directrice générale de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) le 24 septembre 2001, soit 13 jours après les Twin Towers.
À cette alerte était jointe une liste d’agents pathogènes susceptibles d’être utilisés à des fins terroristes. 24 virus étaient répertoriés, dont celui du chikungunya. Vous appeliez le réseau Sentinelles à faire preuve de vigilance pour "répondre à l’inquiétude, sans céder à la psychose".

Une maladie redoutable

Depuis le 22 février 2005, La Réunion (780.000 habitants) est confrontée à une épidémie de chikungunya que personne n’a vu venir.
Aujourd’hui, selon le président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins, 40.000 cas ont été dénombrés.
Selon le médecin conseil de la Sécurité sociale à La Réunion, 32% des arrêts-maladie sont actuellement dus au chikungunya.
Cette maladie est redoutable : impossible de se mouvoir, articulations, poignets, phalanges, chevilles et genoux enflés avec présence palpable de nodules extrêmement douloureux, accès de fièvre récurrents s’étalant sur plus de 7 mois déjà. Maux de tête, perte de mémoire, confusion langagière, disparition du goût et de la sensation de soif.
Quatre cas de transmission materno-fœtale ont déjà été constatés, 20 cas d’encéphalite ont nécessité une hospitalisation dont, pour l’un des cas, 25 jours de coma.
Il n’y a aucun vaccin, ni aucun médicament, hormis le paracétamol.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Du fait des arrêts-maladie à répétition, l’économie de La Réunion risque de subir un choc dont elle n’avait pas besoin (120.000 personnes sont en recherche d’emploi). L’industrie touristique (la 2ème après la canne à sucre) commence à souffrir également de la répulsion engendrée par cette maladie auprès de la clientèle extérieure.
Comment, alors que tout le monde était prévenu, a-t-on pu en arriver là ?
Pourquoi n’y a-t-il pas eu, concernant cette pathologie, le même travail de recherche et de prévention que pour le SRAS ou la grippe aviaire par exemple ?
Comment peut-on se croire capable d’enrayer une épidémie potentielle (grippe aviaire s’il y a une mutation du virus H5N1) quand, dans un isolat tel que l’Île de La Réunion, on n’a pas été capable de prévenir ni d’établir aucun protocole d’intervention à propos d’un virus connu depuis 1953 et dont l’utilisation bio-terroriste éventuelle était redoutée depuis septembre 2001 ?
Merci de votre réponse.
Jean Saint-Marc (La Réunion).

La réponse du docteur Flahault

Voici le texte de la réponse du docteur Antoine Flahault à la question de Jean Saint-Marc :

Vous pointez du doigt le fait que les systèmes de surveillance épidémiologique sont largement défaillants. Je suis d’accord avec vous. Pas seulement à La Réunion, pas seulement en France, mais partout dans le monde.
Est-ce notre faute à nous, épidémiologistes, si des investissements massifs se dirigent vers l’observation de la Terre et de l’univers (un vol de navette spatiale coûte 650 millions de dollars ; on a lancé récemment 12 satellites consécutifs de la génération Hubble pour observer les étoiles du domaine de l’invisible...) ?
Un jour, les citoyens-contribuables diront : "maintenant, observons un peu le vivant : les animaux, les plantes, les hommes, les micro-organismes ; envoyez votre prochain "satellite" bourré "d’épidémionautes" vers les territoires où émergent des épidémies nouvelles ou résurgentes".
Il faut des moyens considérables que nous n’avons pas pour observer tout cela. C’est une question de choix essentiellement. Ce n’est pas la Terre ou le Vivant, mais un peu plus de vivant que je demande avec vous !


Le coût d’un choix erroné

Les lecteurs de “Témoignages” qui veulent connaître les autres réponses du docteur Antoine Flahault aux internautes dans le cadre du forum de mercredi sur la grippe aviaire peuvent aller sur le site du “Quotidien Perm@nent” nouvelobs.com
Ils verront qu’un grand nombre de ces réponses vont dans le même sens que celle apportée à la question de Jean Saint-Marc, à savoir : en définitive, la plupart des décideurs en France font beaucoup de bruit sur la recherche médicale ; mais jusqu’à présent, dans les faits, ils se sont livrés à des coups de sabre permanents - tous gouvernements confondus - dans les crédits de la recherche.
Résultat : on s’est refusé la possibilité de fabriquer les armes scientifiques et médicales qui nous font aujourd’hui cruellement défaut.
La Réunion paye la note en premier et montre que, depuis l’épisode meurtrier de la grippe espagnole, on a fait le choix - ou on n’a pas voulu faire le choix, ce qui revient à faire un choix par défaut - de subir les événements.


An plis ke sa

o Le docteur Flahault

Ancien interne des hôpitaux de Paris, docteur en médecine et en biomathématiques, Antoine Flahault a été pendant 5 ans responsable de la pharmacoépidémiologie d’un grand groupe industriel avant de rejoindre en 1994 l’équipe hospitalo-universitaire de santé publique de la Faculté de médecine Saint-Antoine (aujourd’hui Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie).
Professeur des Universités et Praticien Hospitalier, responsable du Département de Santé publique de l’hôpital Tenon, il dirige l’équipe du réseau Sentinelles de l’unité 707 (Dir. G Thomas) de l’INSERM et le centre collaborateur de l’OMS pour la surveillance électronique des maladies (Institut Fédératif Saint-Antoine).
Ses travaux de recherche portent principalement sur la dynamique des épidémies de maladies transmissibles, notamment l’alerte et la prévision de la grippe, l’étude des risques sanitaires et l’évaluation du dépistage des cancers.

Département de Santé publique - Hôpital Tenon - Inserm unité 707
4, rue de la Chine
75020 Paris, France
Tél : +331-56-01-68-13

o Sentinelles

Mis en place en 1984, le réseau Sentinelles a pour mission de collecter, d’analyser et de redistribuer les données épidémiologiques issues des médecins généralistes libéraux.


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