Le corps médical en alerte épidémique

« N’importe quel médecin vous dira que c’est du délire »

18 janvier 2006

Vendredi dernier, dans les colonnes du “Quotidien”, la DRASS annonçait 700 nouveaux cas de chikungunya par semaine à La Réunion. Sans conteste pour le docteur Jean-Christophe Desagneaux, « ce chiffre est totalement faux ». Les 3 médecins qui exercent en permanence dans son cabinet de Cambuston enregistrent 300 à 400 cas par semaine.

Il faudra attendre l’accalmie de ce boom des consultations pour dresser un bilan précis. « Nous sommes totalement saturés », explique le docteur Desagneaux qui précise que « ces cas ne sont pas déclarés », « nous n’avons pas le temps ». Selon lui, beaucoup de médecins confrontés à la même urgence occultent cette donnée technique. « Un médecin sur 10 fait la déclaration ». Partant de ce constat, il estime que l’on peut facilement extrapoler les chiffres transmis par le médecin conseil du service médical de la Sécurité sociale concernant les arrêts de travail dus au chikungunya.

Consultations dans les voitures

« Nous sommes totalement saturés. Nous avons dû modifier notre manière de travailler. Nous sommes 6 médecins qui tournent sur 3 postes ouverts en permanence et nous ne prenons aucun rendez-vous pour faire face à la demande des patients ». Dès 8 heures moins le quart, 30 à 40 malades attendent devant la porte du cabinet chaque jour. La salle d’urgence est toujours occupée, contraignant les médecins à consulter les patients dans leur voiture. Les visites à domicile ne sont plus possibles.
« S’il y a 6 mois, je pensais que l’on faisait toute une montagne autour de la maladie, aujourd’hui, n’importe quel médecin vous dira que c’est du délire, aussi bien au niveau du nombre de malades que des symptômes ». Le docteur Desagneaux, en tant que « témoin pas partisan » se déclare « ahuri ». « La maladie n’est pas mortelle d’accord, mais ce n’est pas une petite chose ».

Pas d’expérimentation humaine

S’il n’y a pas de traitement scientifique pour lutter contre le virus, en revanche, les médecins peuvent traiter ses symptômes. De types et d’intensités variables selon les cas, « on peut les rendre supportables le temps que le virus fasse son chemin, que la phase floride” de 4 à 5 jours en moyenne passe », explique le docteur Desagneaux. « Après les séquelles, c’est autre chose ». Pour pallier la fièvre, les éruptions cutanées, les inflammations... « une douleur reste une douleur, tous ces symptômes, les médecins ont les moyens de les traiter ». Pour les cas de complications, de contre-indications, de maladies chroniques, de forte fièvre chez les petits nourrissons de moins de 3 et 6 mois, le docteur Desagneaux rappelle qu’il faut être très vigilant. « Nous ne sommes pas là pour faire de l’expérimentation humaine, de la recherche médicale, mais pour traiter les symptômes ». Si l’on ne peut parler de protocole dans sa forme officielle, les médecins du cabinet de Cambuston ont mis en place un “protocole” interne adapté au cas par cas, entretiennent le même discours avec leurs patients. « On prescrit du paracétamol à forte dose et si les douleurs sont intenses, des anti-inflammatoires, sachant qu’ils peuvent entraîner des effets indésirables ».

Un forum entre médecins : pourquoi pas ?

Si pour l’heure, le corps médical, débordé par l’ampleur du virus, n’a pas le temps de se réunir pour débattre, échanger, partager les pratiques et expériences de chacun, les médecins sont en contact permanent, de façon informelle, par mail. Le docteur Desagneaux estime qu’il serait intéressant de mettre en place un forum, mais le problème sanitaire du chikungunya conjugué au problème technique de la réforme du système de santé et du médecin traitant en particulier sont des contraintes majeures. Si ce n’est pas le sujet, il y aurait beaucoup à dire sur les conséquences de ce nouveau système en période d’alerte sanitaire.

Estéfani


La DRASS n’a pas fait son travail

« 80% des gens croient que le virus est dans l’air »

En plus d’être submergés par leur travail, les médecins du cabinet de Cambuston sont chargés d’une mission supplémentaire : celle d’informer les patients sur le virus. « Nous devons éduquer individuellement nos patients. Ce n’est pas notre travail », réagit le docteur Desagneaux qui pointe du doigt le manque de crédibilité des services sanitaires, leurs pratiques de désinformation. « La DRASS n’a pas fait son travail de base, d’éducation des gens qui ne comprennent toujours pas le mode de transmission de la maladie. Il est important de faire de l’épidémiologie mais c’est annexe, la base reste l’éducation du patient ». S’il trouve légitime que les Réunionnais bénéficient d’espaces de débats sur les ondes radio, en revanche, l’on y entend selon lui tout et n’importe quoi, des idioties qui ne font qu’accroître la mauvaise connaissance du sujet. Rappelant qu’il est « témoin pas partisan », le docteur Desagneaux « reproche ce manque d’information, de réunion publique, de communication dans les quartiers ». « Il n’y a pas une voix au niveau local qui tienne un discours crédible ». « Si l’on faisait un sondage à Saint-André, on se rendrait compte que 80% des gens croient que le virus est dans l’air. Pour eux, ce n’est pas le moustique qui est vecteur de la maladie », explique le docteur Desagneaux qui rencontre des patients qui mettent des comprimés d’Efferalgan dans leur bain, d’autres qui demandent un médicament miracle ou une piqûre qui dans l’imaginaire local est toute puissante.


Attention à la Nivaquine !

Pas de protocole de traitement contre le virus

Il semblerait que certains médecins prescrivent de la Nivaquine à certains de leurs patients atteints par le virus. Le docteur Gaüzère, médecin chef du service de réanimation polyvalente au CHD, aurait lui aussi eu écho de cette pratique. Attention, ce médicament antipaludéen qui peut soulager la polyarthrite n’a pas d’autorisation de mise sur le marché pour soigner les douleurs articulaires ou autres symptômes propres au chikungunya. S’il peut, pourquoi pas, avoir un effet positif chez certains patients, ses effets secondaires, notamment digestifs sont importants. Comme le soulignait le docteur Desagneaux, le docteur Gaüzère rappelle que face au chikungunya, le médecin ne peut faire d’expérimentation sur l’Homme, même si chacun essaie de soulager au mieux les symptômes de son patient. Aucun protocole n’est en place actuellement à La Réunion qui ferait état de médicaments précis à utiliser pour lutter contre la maladie.

Estéfani

Chikungunya

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