Interview du docteur Flahault dans “Le Monde”

’Nous avons une connaissance rudimentaire’ du chikungunya

1er mars 2006

Dans un entretien paru sous le titre “Les mystères du chikungunya” dans “Le Monde” daté d’hier, le responsable de la cellule de coordination des recherches sur le chikungunya fait le point sur les connaissances sur la maladie. Nous reproduisons ci-après cette interview.

Épidémiologiste à l’INSERM et chef du département de santé publique de l’hôpital Tenon, à Paris, Antoine Flahault vient d’être chargé par le Premier ministre, Dominique de Villepin, de coordonner les activités de recherche sur le virus du chikungunya. Sa cellule, multidisciplinaire, compte également Xavier de Lamballerie, virologue à l’hôpital de la Timone à Marseille, Vincent Lotteau, immunologiste et directeur d’une unité Inserm à Lyon, Michel Setbon, sociologue au CNRS à l’université d’Aix-Marseille, et Gilles Aumont, directeur du département de santé animale à l’Institut national de recherche agronomique (INRA). Pour “Le Monde”, il fait le point des connaissances - et des incertitudes - sur le virus du chikungunya, qui, selon les derniers chiffres du ministère de la santé, a déjà tué 77 personnes dans l’Île de La Réunion, et aurait touché 160.000 habitants, soit un insulaire sur cinq.

o Pourquoi semble-t-on découvrir le virus du chikungunya, décrit comme une maladie "émergente", alors qu’il a déjà sévi en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Inde ?

- Le chikungunya - "la maladie qui tord les articulations", en swahili - a été identifié en 1952 en Tanzanie. Le virus a causé plusieurs épidémies depuis, mais qui sont toutes survenues dans des pays d’infrastructure médicale modeste - à l’exception de la Thaïlande, au milieu des années 1970. C’est la première fois que le chikungunya survient dans un pays tropical à très haut niveau de développement comme La Réunion. On peut donc dire que nous avons une connaissance rudimentaire de l’épidémie et de la physiopathologie associée au virus, ainsi que de toutes les chaînes de transmission. En cela, sa ré-émergence revêt un aspect particulier.

o Dans ce laps de temps, la maladie a-t-elle disparu ?

- Non. De nombreux indices laissent penser que le virus a circulé en Afrique et en Asie. Il existe même quelques enquêtes de séro-prévalence (qui donnent le pourcentage de la population infectée par le virus), l’une au Nigeria, l’autre à Java, en Indonésie. Toutes deux avaient montré que 70 % à 80 % de la population pouvaient être infectés par le virus...

o Comment l’épidémie survient-elle en 2005 à La Réunion ? Par un moustique ?

- Non. L’hypothèse la plus probable est que l’épidémie ait démarré après l’arrivée de personnes contaminées. Il est vrai cependant que le moustique Aèdes albopictus (piqueté de blanc), qui avait été jusqu’à il y a peu de temps, cantonné à certaines régions d’Extrême-Orient, s’est désormais répandu dans de très nombreux pays. Les entomologistes avancent l’hypothèse de la mondialisation du commerce des pneus par cargos, qui hébergent souvent des gîtes larvaires dans leurs concavités remplies d’eau. À La Réunion, il est très répandu, et il a même supplanté des espèces présentes, et il est aujourd’hui le vecteur responsable de l’épidémie.

o Dans la "littérature" médicale, le chikungunya est décrit comme bénin et non mortel. Peut-on imaginer que, en Afrique par exemple, on mourait du chikungunya sans le savoir ?

- Très probablement. On ne l’enregistrait pas.

o On déplore déjà la mort de 77 personnes à La Réunion à cause de ce virus, dont au moins cinq lui sont directement attribuées. Les chiffres avancés prennent-ils vraiment la mesure de l’épidémie ?

- Ces chiffres ne sont probablement pas définitifs. Il existe en effet deux approches pour évaluer la mortalité. Il y a d’abord les certificats de décès - une approche qualitative. On peut aussi recenser les excès de décès : c’était la mesure utilisée pour la canicule, ou qui sert pour la grippe saisonnière. Rappelons que la grippe est associée chaque année à 6.000 morts. Mais elle n’est mentionnée que sur un petit nombre des certificats de décès, parce que les gens ne meurent pas seulement directement de la grippe, mais basculent souvent dans la mort, parce qu’ils sont fragiles, à l’occasion de cette grippe. Je suspecte que la même chose puisse se produire avec le chikungunya.

o Jusqu’à présent, les symptômes décrits étaient simples : forte fièvre et douleurs articulaires intenses, notamment aux chevilles et aux poignets. À La Réunion, la maladie prend une tournure beaucoup plus dramatique...

- Le fait que 30 à 40 % des personnes qui se présentent aux urgences au motif d’un chikungunya soient hospitalisées est effectivement une proportion énorme. On ne peut plus dire que la maladie est bénigne : plus de la moitié des patients actuellement hospitalisés en réanimation dans l’île sont des patients atteints par ce virus.

o Les médecins découvrent des formes nouvelles de la maladie...

- Tout à fait inconnues de la littérature scientifique et médicale, quoique heureusement encore très exceptionnelles : des méningo-encéphalites, pour l’instant surtout chez l’enfant, des attaques du muscle cardiaque et de son enveloppe (le péricarde), possiblement responsables de quelques cas de mort subite chez l’adulte jeune, des insuffisances rénales aiguës, dont il est difficile de dire quelle est la part de la déshydratation - abondante en cas de forte fièvre dans ces pays chauds. On dénombre aussi des hépatites fulminantes : certains patients ont été transférés en métropole pour des greffes de foie. Là encore, difficile de faire la part entre la responsabilité du paracétamol, prescrit en cas de fièvre, et des maladies hépatiques sous-jacentes, dans une île fortement touchée par le diabète.

o L’intense douleur provoquée par cette maladie est frappante. Contre le chikungunya, il n’existe pas d’autre remède que le paracétamol ?

- Avec les anti-inflammatoires, pour soulager les douleurs articulaires.

o Autre particularité de l’épidémie à La Réunion : les rechutes.

- Là, ce n’est pas une découverte. On savait par les précédentes épidémies que des douleurs articulaires pouvaient durer douze mois, et jusqu’à quatre ans. Ce qu’on ne connaît pas bien, c’est le mécanisme de ces arthralgies persistantes. Est-ce lié à un portage chronique du virus ? Ou à une réaction immunologique (production d’auto-anticorps) ?

o Il semble aussi que le virus se transmette de la mère à l’enfant ?

- C’est une découverte de l’épidémie de La Réunion. La transmission semble survenir principalement lorsque, au moment de l’accouchement, la mère est atteinte. C’est pourquoi les obstétriciens et les pédiatres de La Réunion ont décidé de mettre en place un suivi prospectif à long terme des enfants dont les mères ont contracté un chikungunya durant leur grossesse ou leur accouchement.

o Le virus peut-il muter ?

- Tous les virus de cette famille (ARN) mutent. Cependant, l’histoire ancienne du chikungunya montre qu’il est peu enclin à des mutations fréquentes. Il n’y a d’ailleurs à ce jour que deux souches vraiment distinctes, l’africaine et l’asiatique.

o Existe-t-il un vaccin contre le chikungunya ?

- Oui. Mais il n’a jamais été commercialisé. Il a été développé par l’armée américaine et a été arrêté prématurément en 2003. Le ministre de la Santé nous a demandé de nous pencher sur ce dossier sans délai, pour savoir s’il y a un espoir de ce côté. Il y a d’autres pistes possibles, que l’on va explorer avec les industriels du médicament. Mais ne créons pas de faux espoirs. Dans le meilleur des cas, ça ne sera pas avant cinq ans.

o Quels sont les réservoirs de ce virus, où s’approvisionne le moustique ?

- C’est évidemment l’homme. La question, c’est de savoir s’il n’y a pas aussi d’autres réservoirs, notamment les animaux domestiques, comme les chiens, très nombreux sur cette île, mais aussi le rat ou certains oiseaux. On sait déjà que le moustique pique toutes ces espèces. Mais on ne sait pas encore si ces espèces contribuent à l’épidémie actuelle.

o L’"Aedes albopictus" a été repéré à Menton et à Nice. Existe-t-il des risques d’épidémie en métropole ?

- On ne peut rien exclure. Mais, jusqu’à présent, le chikungunya ne s’est jamais transmis en dehors des zones tropicales.

o Si l’épidémie continue à progresser à La Réunion, l’hypothèse d’une mise en "quarantaine" de l’île est-elle saugrenue ?

- Tous les modèles mathématiques qui tentent de simuler des restrictions de transport aérien aboutissent, quand on les applique à d’autres maladies comme le VIH ou la grippe aviaire, à la même conclusion : c’est un geste politiquement spectaculaire, mais largement inefficace.


Sécurité sociale

Pas de délai de carence en cas de rechute
pour les malades du chikungunya

Le ministre de la Santé Xavier Bertrand a annoncé mardi que les malades du chikungunya à La Réunion ne se verront pas imposer par la Sécurité sociale un nouveau délai de carence de trois jours s’ils font une rechute et sont contraints de se remettre en arrêt-maladie.
Actuellement, un salarié qui se met en arrêt-maladie n’est pas couvert par l’Assurance-maladie pour la perte de salaire s’il ne s’interrompt que trois jours. Le ministre de la Santé a annoncé que ce délai de carence ne s’appliquerait pas une deuxième fois aux malades du chikungunya s’ils font une rechute.


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Messages

  • Bonjour,
    ayant pris le Chikungunya début décembre en Inde et souffrant encore beaucoup, je voudrais savoir si les recherches sur cette maladie ont fait des progrès depuis cet article et à qui je pourrais m’adresser pour avoir des renseignements. J’habite en Allemagne et ici personne ne connait le chikungunya sauf pour confirmer le diagnostic à l’institut ppour les maladies tropicales à Hambourg, ce qui a été fait mi décembre.
    Merci d’avance

  • Dites nous concrètement le mode de propagation du virus de chikungunya et quelles en sont les mesures de précotion face à cette maladie ?
    Je vous remercie.

    Voir en ligne : Au sujet du chikungunya


Témoignages - 80e année


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