Réforme de l’Assurance Maladie

Pour un cadre de qualité et des règles de bonne pratique

Interview exclusive

16 août 2006

La réforme de l’Assurance Maladie : un mal pour un bien, pour le bien de notre système de santé. Pierre-Jean Lancry, ancien directeur délégué de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie, aujourd’hui membre du Haut Conseil pour l’Assurance Maladie répond à nos questions.

Tout d’abord, qu’est-ce que le Haut Conseil pour l’Assurance Maladie ? Quelle est sa mission ?

- Le Haut Conseil pour l’Assurance Maladie est à l’origine de la réforme de l’Assurance Maladie de 2004. Cet organisme a pour mission de préparer un diagnostic sur l’ensemble des questions relatives à l’organisation du système de santé, à sa régulation, son financement. Il étudie le suivi de la réforme, le fonctionnement du système et émet chaque année un avis, rassemblé dans un rapport dont le dernier est paru en juillet 2006. Il regroupe une trentaine de membres, parlementaires, présidents de caisse, syndicats professionnels, médecins de ville, pharmaciens, compagnies d’assurance.

Avec une représentation aussi éclectique, parvient-on à trouver des consensus ?

- Tout à fait. La plupart des avis sont consensuels, même si après les différents acteurs se retrouveront en négociations. Cet organisme est le lieu du consensus, sans langue de bois. On fait des analyses de fonds, essaie également de voir ce qu’il est possible de faire, d’avoir un regard unique.

Si vous deviez retenir un des objectifs de cette réforme ?

- En juillet, le Haut Conseil a présenté son second rapport qui explique clairement point par point les tenants et objectifs de la réforme. Si je devais retenir une idée phare c’est que la réforme d’août 2004 est construite sur cette logique que l’on a besoin d’un système fondé sur la qualité des soins, sur des actions et référentiels de bonne pratique. Pour l’ensemble des produits de santé, comme les médicaments, il faut avoir la certitude d’un cadre de qualité, d’où la création de la Haute Autorité de Santé (HAS) qui définit les règles de bonne pratique, le Service Médical Rendu (SMR). Ce ne sont pas les financeurs qui décident de ces aspects.

221 médicaments sont dé-remboursés car leur SMR est jugé insuffisant et ce, pour privilégier le financement du progrès thérapeutique. Pourtant, les innovations n’inondent pas le marché. Qu’en pensez-vous ?

- Le Haut Conseil a rendu un avis de 250 pages sur cette question qui analyse tout le système, depuis la prescription, les dépenses, l’aspect industriel, le prix. Le principal problème se situe au niveau de la prescription du médicament. En France, dans 90% des cas, le patient ressort de chez son médecin avec une ordonnance, contre 40% en Hollande et je ne pense pas que les Hollandais soient plus mal soignés. Il y a en France une grosse consommation de médicaments. Avant que cela ne soit un problème économique, cela pose avant tout un problème de santé publique, à cause des interactions médicamenteuses, des effets iatrogènes. Selon notre analyse, il faut régler ce problème de surprescription. Aujourd’hui, la Commission de la Transparence définit le niveau d’amélioration du SMR. Quand il est à son maximum, il s’agit d’une innovation. Elle définit ensuite les modalités de fixation du prix. On peut déplorer qu’il n’y ait pas énormément de Meilleur Service Médical Rendu 1 et 2. Il y a en effet entre 70 et 80% de SMR 5 sur le marché qui n’amélioreront pas le service médical rendu. Si l’on veut privilégier l’accès à ces produits innovants il faut une vraie logique sur ceux qui ne possèdent pas ce caractère. Il en va de même pour les génériques.

Vous pouvez nous en dire plus ?

- Les génériques ne concernent qu’une partie du marché. Par exemple, dans la classe thérapeutique des médicaments gastriques, il y a les génériques et les princeps. Lorsqu’une molécule tombe dans le domaine public, elle est “génériquée”. Ce générique arrive sur le marché avec un prix plus bas, ce qui entraîne la diminution du prix du médicament princeps. À côté, les produits avec brevets, les Mitou, ne baissent pas de prix. C’est là toute l’aberration. Le premier produit sur le marché diminue son prix avec l’arrivée du générique, alors que les laboratoires n’ont aucune raison de faire diminuer le prix de leur produit tant qu’ils sont sous brevets. Pour répondre à cela, l’Allemagne a adopté des propositions drastiques. Elle fixe tout au prix du générique. Nous ne sommes pas pour, mais il faut s’intéresser à cet aspect des choses.

N’est-ce pas là de la concurrence déloyale ?

- Ce sont les règles du jeu qui prévalent. Le prix est fixé par l’administration.

Génériques : "Un vrai développement"

Comment peut-on expliquer que malgré des prix plus bas, la prescription de génériques progresse aussi lentement en France ?

- Nous avons engagé une réflexion inspirée par l’analyse des résultats du marché des génériques. Si on regarde les répertoires des molécules introduites dans le domaine public, il y a un vrai développement, avec globalement une substitution de deux tiers. Avec l’accord des syndicats pharmaciens, on espère arriver à 70% d’ici la fin de l’année. Mais comme par hasard, on note que souvent quand un produit est “génériqué”, la molécule n’est plus prescrite, comme c’est le cas de toutes les statines contre le cholestérol. Il aurait été intéressant que cette molécule continue justement à être prescrite. Mais le jour où un produit est “génériqué”, le laboratoire n’en fait plus la promotion car cela revient à faire également la promotion des produits concurrents. Il va donc chez les médecins promouvoir d’autres produits non génériqués. Nous avons passé un accord, syndicats de médecins, de pharmaciens et Assurance maladie, pour que les médecins continuent à prescrire dans le répertoire.

Dans la liste des dé-remboursés, on retrouve tous les expectorants et fluidifiants bronchiques qui n’ont pas de substitut. Ils continuent à être prescrits. Pour se soulager, le patient devra payer ?

- La collectivité, via la Commission de la Transparence, la Haute Autorité de Santé, préfère investir l’argent ailleurs, elle préfère financer les médicaments contre le cancer, plutôt que les expectorants. Elle ne peut pas tout prendre en charge et doit opérer des choix fondés sur des critères d’utilité publique, et l’efficacité est un de ces critères. Et l’on a eu tort d’associer Service Médical Rendu Insuffisant à notion d’inefficacité. En fait, ces pathologies ne présentent pas une vraie gravité. La pharmacopée devrait relever de l’automédication.

Entre l’effort financier demandé aux patients et l’allègement de taxe accordé aux industries pharmaceutiques, la contribution demandée par le gouvernement n’est-elle pas inégalitaire ?

- Le projet de loi de finances a revu leur taux de taxe à la baisse. L’industrie pharmaceutique contribue à une rentrée d’argent importante sur le médicament. Elle est aussi contrainte à un taux de régulation. Quand elle dépasse de 1% son chiffre d’affaires par rapport à l’année passée, elle est contrainte à une clause de sauvegarde. La contribution des industriels, des pharmaciens représente plusieurs centaines de millions d’euros. Le gouvernement essaie, d’après l’affichage qui est fait, de régler le problème du déficit. Dès 2004, le Haut Conseil a relevé une tendance très élevée. Il n’y a pas de sens à continuer comme ça au détriment des dépenses collectives. Il est urgent pour notre système de santé d’en améliorer la qualité, sans gaspillage. Tant que l’on est pas sur de l’optimisation des ressources, il faut réduire la progression des dépenses.

On parle du déficit de l’Assurance Maladie, mais la non-compensation des exonérations de charges sociales accordées aux employeurs l’a renforcé de 2,7 milliards pour cette année. Est-ce logique ?

- Je n’ai pas de pamphlet à ce sujet. Je ne peux répondre que dans le cadre du Haut Conseil. Celui-ci a appelé à une stricte compensation des allégements de cotisations. Je ne sais pas ce qui résultera de cette question. Je n’ai pas d’avis.

"Il faut faire des choix"

Certains experts avancent que le déremboursement de certains produits (veinotniques par exemple) va entraîner un transfert de prescription vers d’autres médicaments remboursés mais aux effets secondaires plus prononcés. N’est-ce pas là une autre question de santé publique au même titre que la surconsommation médicamenteuse ?

- Selon l’avis de la Haute Autorité de Santé, le déremboursement de ces produits ne donne pas lieu à un transfert de prescription. Le médecin est quelqu’un de responsable qui sait si son patient a besoin de tel ou tel produit. Je le rappelle, il faut faire des choix. Il n’y a que la France qui possède un système d’autorisation temporaire d’utilisation qui permet de mettre à la disposition de certains patients, dans les hôpitaux, des produits qui n’ont pas encore l’Autorisation de Mise sur le Marché délivrée par l’Autorité de Régulation. Cela a commencé avec le Sida et se poursuit pour les cancéreux.

Est-ce que cette réforme sous-tend qu’il y a des pathologies plus importantes que d’autres ?

- Les gens comprendront que si l’on veut continuer à prendre en charge les pathologies les plus graves, il faut faire des choix. En France, 12% des malades pris en charge à 100% représentent 60% des dépenses. Il faut trouver un système de protection collective et le défendre jusqu’au bout.

Selon la HAS, le déremboursement des médicaments doit engendrer de la part des assurances complémentaires, soit une baisse des cotisations, soit une meilleure prise en charge. Les complémentaires ne semblent pas au courant et présagent plutôt l’effet inverse. Qu’en pensez-vous ?

- La Haut Conseil considère l’analyse de ces questions très importante. Dans le cadre de la réforme, les transferts, comme le 1 euro non remboursé sur la consultation, l’augmentation du forfait hospitalier, le déremboursement de certains produits ou la diminution de leur taux de prise en charge... tout ça ne devrait pas se traduire par une forte augmentation des complémentaires. Les acteurs présents ont voté cet avis. Tout dépend après de la complémentaire qui est dans un système de concurrence et de part de marché. La fixation des primes est une chose, les dépenses en sont une autre.

Entretien réalisé par Stéphanie Longeras
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An plis ke sa

o Le gouvernement a voté cette année une diminution de 90 millions d’euros de la taxe de l’industrie pharmaceutique. De plus leurs contributions spécifiques (taxe sur les spécialités pharmaceutiques, sur le chiffre d’affaire, sur la promotion et la clause de sauvegarde) sont plafonnées, représentant une rentrée totale de 932 millions d’euros, soit 4% du chiffre d’affaire total de l’industrie pharmaceutique.

o Dans “Le grand secret de l’industrie pharmaceutique”, publié en 2003 aux éditions La Découverte, Philippe Pignarre constate que l’industrie pharmaceutique est l’activité la plus rentable au monde avec un taux de profit de l’ordre de 19% (devant les banques : 16%.) Il se demande comment est obtenu ce résultat et s’il est justifié au regard du service rendu à la société par l’industrie pharmaceutique, alors qu’elle fait preuve d’une insuffisance d’innovation privilégiant son budget communication plus que son budget recherche ? En effet, les principaux groupes investiraient 14% de leurs dépenses à la recherche et 30% en communication. La publicité joue selon eux un rôle important d’information auprès du consommateur et rend le marché plus transparent.

o Depuis 1980, les dépenses de santé en France augmentent en moyenne de 9,1% par an. Les prix des médicaments se sont élevés de 63% en France entre 1990 et 2001, alors que l’augmentation dans d’autres pays européens étaient de plus ou moins 20%, Italie et Allemagne.

o Selon la revue Prescrire, en 20 ans, sur 1996 nouveaux médicaments vendus seulement 7 seraient vraiment innovants. Les industries pharmaceutiques se concentrent donc sur un nombre limité de pathologies, fréquentes et donc plus rentables.

S. L.


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