Libre opinion d’André Oraison, Professeur de droit international public
« Barack Obama, Prix Nobel de la paix ? »
6 février 2018, par
Quand Barack Obama s’est vu décerner le prix Nobel de la paix en 2009 « pour ses efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples », ce fut l’étonnement général et même l’incompréhension dans la Communauté internationale. Devant le jury d’Oslo, le président des États-Unis fut d’ailleurs le premier à exprimer sa surprise d’être lauréat : « J’aurais tort d’ignorer la controverse considérable que votre décision généreuse a soulevée » notamment « parce que je suis au début et non à la fin de mes efforts sur la scène mondiale ».
La question mérite alors d’être posée : comment a-t-on pu attribuer un prix aussi prestigieux à un chef d’État qui n’était en fonction que depuis quelques mois et plus précisément depuis le 20 janvier 2009 ? Le vendredi 9 octobre 2009, le jury d’Oslo avait-il le don de deviner dans les boules de cristal norvégiennes ou dans le marc de café scandinave les futures actions réussies du président américain en faveur de la paix ? Pour beaucoup de diplomates, juristes internationalistes, politologues et autres spécialistes en géopolitique et géostratégie, tous par définition rationalistes, comme pour 81 % des citoyens américains interrogés, ce prix Nobel était tout simplement prématuré et donc injustifié à un moment précis où la superpuissance américaine était directement confrontée à plusieurs conflits plus ou moins importants et aux issues incertaines dans plusieurs régions du monde, dont deux ouverts sur le continent asiatique : en Irak et en Afghanistan.
Faut-il rappeler pour mémoire qu’avant Barack Obama, trois présidents des États-Unis avaient déjà obtenu le prix Nobel de la paix ? Mais dans les trois cas, le prix a été décerné à la suite d’actions concrètes et décisives d’un chef d’État dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Theodore Roosevelt a ainsi obtenu le prix Nobel de la paix le 10 décembre 1906, au cours de son second mandat, pour ses efforts de médiation dans la guerre russo-japonaise de 1904/1905 et le règlement des différends internationaux par des moyens pacifiques et notamment par le recours à la Cour permanente d’arbitrage de la Haye (CPA). Thomas Woodrow Wilson s’est vu décerner le prix Nobel de la paix le 20 novembre 1919 – pratiquement à la fin de son second mandat – pour son rôle déterminant au cours de la Première Guerre mondiale et dans la création de la Société des Nations (SDN) qui est l’ancêtre de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Quant à Jimmy Carter, il a obtenu le prix Nobel de la paix le 11 octobre 2002 – bien après la fin de son unique mandat fixée au 20 janvier 1981 – pour ses efforts inlassables en vue du règlement pacifique des différends internationaux, l’épanouissement de la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme partout où ils sont menacés. Ce prix Nobel de la paix vise notamment à saluer dans la personne d’un président démocrate le rôle de l’habile médiateur des accords-cadres de Camp David du 17 septembre 1978 et du traité de paix israélo-égyptien de Washington du 26 mars 1979 qui met fin à l’état de guerre entre l’État d’Israël et l’Égypte [1].
Est-ce à dire que le président démocrate Barack Obama ne méritait pas lui aussi de recevoir le prix Nobel de la paix ? Certes, au cours de sa double mandature qui s’étend du 20 janvier 2009 au 20 janvier 2017, les réussites du président américain sont aussi nombreuses que ses échecs, au plan international comme au plan intérieur. Au plan interne, par exemple, il n’a pas réussi à limiter les armes à feu dans son pays. Mais il a fait adopter le mariage homosexuel en 2015.
Néanmoins, on peut penser que le prix Nobel de la paix aurait pu lui être décerné à la fin de son second mandat présidentiel dès lors que des résultats positifs militent en faveur de cette solution et sont incontestables, tout particulièrement dans la région de l’océan Indien. Mais d’ores et déjà et sans avoir les dons divinatoires de l’astrologue Germaine Soleil, on peut être certain – a contrario – que l’actuel président républicain Donald Trump ne pourra en aucun cas prétendre à une telle récompense : le spectacle affligeant qu’il offre à l’ensemble de la Communauté internationale depuis son investiture est une humiliation permanente pour les États-Unis et leurs ressortissants.
Dans le cadre de la promotion du dialogue et de la diplomatie au détriment de la corruption, de la force et de la ruse avec les États de l’Amérique latine qui est « l’ancien pré carré » des États-Unis, le président Barack Obama a contribué en 2015 au rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, le dernier bastion du communisme sur le continent américain. Lors de son arrivée à La Havane le 21 mars 2016 qui est la première visite d’un président américain en exercice depuis celle du président Calvin Coolidge en 1928, le locataire de la Maison Blanche a voulu tourner une page d’histoire en mettant fin aux derniers vestiges de la « guerre froide » qui opposait les États-Unis au régime de Fidel Castro et avait failli dégénérer en 1962 – à l’époque de John Fitzgerald Kennedy et de Nikita Khrouchtchev – en guerre apocalyptique américano-soviétique à l’occasion des missiles nucléaires soviétiques pointés depuis Cuba en direction des États-Unis. Compte tenu du poids de l’histoire, le rapprochement américano-cubain voulu par Barack Obama est à tous égard un événement qui mérite d’être salué en tant que facteur de paix dans le Nouveau Monde. À titre de comparaison, est-il besoin de préciser que son successeur – Donald Trump – menace déjà de tout remettre en question au motif que l’accord américano-cubain « n’aide pas les Cubains et enrichit le régime » ?
Accord avec l’Iran
Le président Barack Obama a surtout contribué à changer de manière significative la donne avec la République islamique d’Iran en incitant cet État à renoncer à l’armement nucléaire. Conclu dans la capitale autrichienne, à la suite d’un marathon diplomatique d’une dizaine d’années, par l’Iran, les 5 membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Allemagne, l’accord du 14 juillet 2015 est considéré comme un élément positif pour la plupart des États membres de la Communauté internationale, même s’il est loin de résoudre tous les problèmes comme le pensent bon nombre d’observateurs en géopolitique. Cet engagement multilatéral devrait être rassérénant pour les États arabes riverains du golfe Arabo-Persique dans la mesure où il s’inscrit dans un vaste processus de non dissémination des armes nucléaires, notamment dans la région de l’océan Indien, « le nouveau cœur du monde » selon le constat formulé dès 1980 par Philippe Leymarie [2] et qui est, de surcroît, dans un « temps de crise prolongée » ainsi que l’atteste le renouvellement tacite jusqu’au 30 décembre 2036 du bail stratégique consenti aux États-Unis par la Grande-Bretagne sur l’atoll de Diego Garcia. Composé d’une déclaration générale et de plusieurs annexes, cet accord d’une centaine de pages se présente en effet comme un compromis historique qui – pour l’essentiel – « vise à garantir que le programme nucléaire de l’Iran sera mené exclusivement à des fins pacifiques » sur une période allant de dix à vingt-cinq ans, selon les volets concernés par le traité.
En contrepartie, l’accord décide la levée de toutes les sanctions qui avaient été imposées à l’Iran par une série de résolutions votées depuis 2006 par le Conseil de sécurité [3]. Entré en vigueur dès le 18 octobre 2015, ce traité figure à l’annexe A de la Résolution 2231, adoptée à l’unanimité le 20 juillet 2015 par le Conseil de sécurité [4]. Dans la mesure où il vise officiellement à empêcher la prolifération des armes nucléaires dans l’océan Indien, une région que les États riverains veulent pour la plupart transformer en « zone de paix » depuis les initiatives prises en ce sens par Indira Gandhi en 1971, la contribution patiente, intelligente et décisive de Barack Obama est un autre événement qui mérite d’être salué dans la mesure où il est un pas non négligeable dans le domaine de la limitation des armes de destruction massive. À titre de comparaison, faut-il une nouvelle fois préciser que son successeur – Donald Trump – menace de tout remettre en question au motif que le traité sur le programme nucléaire iranien conclu avec les autorités de Téhéran serait « le pire accord » jamais négocié par les États-Unis ?
Pas de solution au contentieux israélo-palestinien
Certes, comme tous ses prédécesseurs à la Maison-Blanche et malgré son indéniable charisme médiatique, Barack Obama n’a pas réussi à régler l’inextricable contentieux israélo-palestinien. On peut le regretter. Mais il serait faux de croire que le président des États-Unis n’a absolument rien fait en ce domaine. En voici une illustration non négligeable à la fin de son second mandat présidentiel. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a en effet adopté le 23 décembre 2016 par 14 voix et une abstention – celle précisément des États-Unis – une résolution 2334 qui condamne en ces termes les colonies de peuplement israéliennes en territoire palestinien occupé : « La création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, constitue une violation flagrante du droit international » [5]. Ainsi, pour la première fois depuis 1980, les États-Unis n’ont pas utilisé leur droit de veto pour bloquer un texte du Conseil de sécurité visant à sanctionner l’État hébreu. Mais ce fait mémorable apparaît – il faut le préciser – comme un ultime « baroud d’honneur » du président Barack Obama et un geste personnel fort en faveur de la cause palestinienne avant que ne prenne fin son second mandat.
Depuis l’entrée en fonction du président Donald Trump le 20 janvier 2017 et pendant toute sa mandature, une résolution analogue n’a aucune chance d’être votée par le Conseil de sécurité [6]. Le Gouvernement américain n’a d’ailleurs pas hésité à mettre son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité qui – par 14 voix contre une (celle des États-Unis) – entendait condamner la scandaleuse reconnaissance, le 6 décembre 2017, de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël par Donald Trump, une décision qui implique ipso facto le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem et qui, pour cette raison, avait engendré une vague de réprobation dans le monde arabo-musulman ainsi qu’un regain des tensions dans les territoires palestiniens occupés par Israël [7].
La question de la base de Diego Garcia
On peut enfin citer un dernier exemple dans l’océan Indien démontrant la volonté du président américain de se conformer au droit international public en général et au droit international humanitaire en particulier. Avant de mettre l’accent sur l’importance de la base militaire de Diego Garcia pour les États-Unis et la Grande-Bretagne dans une intervention à la Chambre des Communes, le 19 novembre 2013, Mark Simmonds – le sous-secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères – avait tenu à souligner que le Gouvernement de Londres se prononcerait avant le 31 décembre 2014 sur une étude de faisabilité concernant la question de la réi
nstallation des Chagossiens dans leurs îles natales, y compris dans la partie orientale de Diego Garcia qui échappe actuellement au processus de militarisation [8].
La décision originelle de la Grande-Bretagne prend appui, en droit, sur une décision personnelle prise par le président Barack Obama quelque mois plus tôt. Lancée sur le site de la Maison-Blanche, à l’initiative du Groupe Réfugiés Chagos (GRC) d’Olivier Bancoult, une pétition avait obtenu le 3 avril 2012 les 25 000 signatures nécessaires en droit pour permettre au président américain de se pencher sur le drame des Chagossiens. Or, le locataire de la Maison-Blanche a répondu le 23 décembre 2012 que les États-Unis ne peuvent pas juridiquement s’impliquer dans cette affaire pour la simple raison que la Grande-Bretagne exerce seule la souveraineté sur les îles Chagos, y compris sur Diego Garcia. Autant dire que les Américains par la voix de Barack Obama se déclarent incompétents, au plan juridique, pour régler le sort des Chagossiens, alors même que les États-Unis – il ne faut pas l’oublier – ont été les principaux responsables de leur déportation entre 1967 et 1973 [9].
Ceci étant dit, il est exact que la Grande-Bretagne exerce un droit de souveraineté exclusif sur l’archipel des Chagos depuis sa conquête par les armes au détriment de la France, en 1810. Faut-il en outre préciser que la Haute Cour de Justice de Londres a reconnu aux Chagossiens – outre le « droit de retour définitif » au pays natal – celui de bénéficier de la pleine citoyenneté britannique dans sa décision du 3 novembre 2000 et que ce droit leur a été accordé par le Parlement dans une loi du 22 novembre 2001 ? Si Donald Trump avait eu à donner son avis sur cette question, c’est une autre réponse qu’il aurait donnée. Il aurait répondu que le problème de la réinstallation des Chagossiens dans leur pays d’origine est une question qui dépend d’un accord entre la Grande-Bretagne et les États-Unis : en droit, ces deux États sont en effet liés par le traité de Londres du 30 décembre 1966 qui est un traité de cession à bail stratégique des Chagos, une cession consentie aux États-Unis par la Grande-Bretagne pour une période initiale de 50 ans et reconduite le 30 décembre 2016 pour une période de 20 ans. Nous sommes ainsi convaincus que Donald Trump aurait annoncé qu’il mettrait, sans état d’âme, son veto à la réinstallation des Chagossiens dans leur pays d’origine.
Ultime réflexion : pour la plupart des juristes internationalistes, le président Barack Obama n’a pas volé son prix Nobel de la paix.
André Oraison, Professeur de droit international public