Tribune libre d’André Oraison

Coup d’œil sur les TAAF à la lumière de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003

14 juin 2005, par André Oraison

Les Terres australes et antarctiques françaises - les TAAF - rassemblent les territoires français dispersés dans l’hémisphère austral, situés entre le 37e de latitude Sud et le pôle Sud et répartis en deux catégories, distantes l’une de l’autre de près de 5.000 kilomètres. André Oraison, professeur de droit public à l’Université de La Réunion, nous propose une étude sur le statut de ce territoire situé à l’extrême Sud de La Réunion.

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On peut d’abord identifier les Terres australes qui se subdivisent en trois groupes situés dans l’océan Indien. À 3.500 kilomètres au sud-est de La Réunion, il faut d’abord mentionner l’archipel des Kerguelen (7.200 kilomètres carrés). À 1.500 kilomètres au nord-ouest des Kerguelen, il faut également indiquer l’archipel des Crozet (340 kilomètres carrés). Enfin, à 1.400 kilomètres au nord-est des Kerguelen, sont ancrées les îles de Saint-Paul (8 kilomètres carrés) et d’Amsterdam (56 kilomètres carrés). Ces territoires permettent à la France de disposer d’une zone économique exclusive de 1 million 800.000 kilomètres carrés. Il faut ensuite mentionner dans le Pacifique Sud la Terre Adélie. Ancrée à 7.500 kilomètres au sud-est de La Réunion, la superficie de cette composante des TAAF est de l’ordre de 430.000 kilomètres carrés.

Sur le plan historique, la France a affirmé ses prétentions à la souveraineté sur les TAAF en invoquant les titres de la découverte géographique et de l’occupation effective de territoires sans maîtres. Mais c’est seulement dans la première moitié du 20ème siècle qu’elle leur a donné un statut juridique commun. Ces éléments hétéroclites ont été rassemblés sur le plan administratif et rattachés - pour des raisons de pure opportunité - à Madagascar par un décret du 21 novembre 1924, à une époque où la Grande Île avait le statut de colonie française. Par la suite, dans le cadre de la IVe République, ils ont été détachés de Madagascar pour être érigés en une circonscription distincte dotée de l’autonomie administrative et financière sous l’appellation de "Terres australes et antarctiques françaises" avec le statut de territoire d’Outre-mer (TOM), en vertu de la loi statutaire du 6 août 1955.

Une doctrine inconstitutionnelle

Très tôt, la doctrine a été unanime pour dire que la qualification de TOM attribuée aux TAAF était inconstitutionnelle dans le cadre de la 5ème République dès lors que leurs composantes sont vierges de toute présence humaine sédentaire et restent placées, par la force des choses, sous l’administration exclusive de l’État. En vérité, le statut de TOM conféré aux TAAF a eu pour effet de violer la règle de l’élection de l’organe délibérant des collectivités territoriales qui est prévue par l’article 72 de la Constitution, ainsi rédigé à l’origine : "Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus" (alinéa 2). Ainsi, le Territoire des TAAF constituait une structure irrégulière en la forme juridique d’un TOM que M. Patrick Schultz a pu, à bon droit, assimiler à "un service extérieur de l’administration centrale, tant les structures et les pouvoirs sont marqués par la hiérarchisation" (1) ! En dépit de la pertinence de ces critiques, le statut de ce territoire ultramarin atypique a été maintenu pendant plus de quatre décennies dans le cadre de la 5ème République. De fait, il faudra attendre la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 pour que les TAAF soient enfin dotées d’un nouveau statut spécifique.

I . Le nouveau statut spécifique des TAAF

L’appellation Terres australes et antarctiques françaises est désormais gravée dans le marbre de la Constitution de la 5ème République en vertu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, "relative à l’organisation décentralisée de la République" ? À la suite de la réforme, l’article additionnel 72-3 de la Constitution procède pour la première fois à une énumération de dix collectivités territoriales ultramarines, dont les TAAF : "La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’Outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités" (alinéa 2). "Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre 13" (alinéa 3). "La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises" (alinéa 4).

Certes, il importe de connaître la place occupée par les TAAF par rapport aux deux grandes catégories de collectivités territoriales ultramarines ainsi établies par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 (B). Mais au préalable, il convient de mettre l’accent sur l’abandon du dualisme traditionnel DOM-TOM et son remplacement par le nouveau binôme constitutionnel DOM-COM (A).

A) La consécration en 2003 du nouveau binôme constitutionnel DOM-COM

Dans quelle catégorie de collectivités territoriales de la France d’Outre-mer convient-il de ranger les TAAF ? Avant de répondre à une telle question, il est toutefois utile de présenter le nouveau clivage qui s’impose à la suite de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Il faut désormais identifier deux grandes catégories de collectivités territoriales ultramarines : "les collectivités territoriales à identité législative" et les "collectivités territoriales à spécialité législative". En d’autres termes, il faut faire le départ entre les classiques "départements d’Outre-mer" (DOM), soumis à un régime d’assimilation législative plus ou moins adapté, et les nouvelles "collectivités d’Outre-mer" (COM), soumises à un régime de spécialité législative plus ou moins modulable.

a - Le fondement du nouveau binôme constitutionnel DOM-COM

La révision constitutionnelle de 2003 a provoqué un chambardement dans la France périphérique dès lors qu’elle remet en cause le clivage DOM-TOM qui remontait à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui, manifestement, ne correspond plus aux aspirations exprimées par la plupart des "populations d’Outre-mer". Ce bouleversement implique la disparition définitive de la notion de TOM, qui avait été créée en 1946 pour les possessions ultramarines dans lesquelles l’assimilation apparaissait alors quasi impossible, et le déclin au moins relatif du concept de DOM, lui aussi institué au lendemain de la Libération. Néanmoins, comme "la nature a horreur du vide", la Constitution organise le regroupement des collectivités territoriales ultramarines dans deux nouvelles catégories de collectivités dotées de compétences accrues et gérées de manière plus démocratique que par le passé (2).

Ces collectivités sont aujourd’hui énumérées nominativement dans l’article additionnel 72-3 de la Charte suprême, mise à jour par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Dans son deuxième alinéa, cet article est ainsi rédigé : "La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités". Afin de souligner leur pleine appartenance à la République française, huit unités administratives personnalisées situées outre-mer sont donc ainsi identifiées dans le deuxième alinéa de l’article 72-3 de la Constitution.

b - Le contenu du nouveau binôme constitutionnel DOM-COM

Il convient d’abord de mentionner les DOM créés par la loi du 19 mars 1946, au nombre de quatre dans la Constitution : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Les DOM se caractérisent par deux traits principaux. D’abord, ils restent régis par le principe cardinal de l’identité législative qui est établi dans l’article 73 de la Constitution (alinéa 1er). Encore faut-il préciser que le nouveau texte constitutionnel reconnaît aux DOM - dans cet article 73 (alinéas 2 et 3) - un droit de déroger plus facilement à la loi ordinaire que par le passé dans certains domaines, afin de tenir compte des recommandations de l’article 299, paragraphe 2, du Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 concernant les "régions ultrapériphériques" de l’Union européenne (RUP).

Il faut ensuite mentionner les COM, également au nombre de quatre dans la Constitution : Mayotte, Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna. Cependant, à la suite des consultations populaires organisées dans la Caraïbe le 7 décembre 2003, la catégorie des COM s’est enrichie de deux nouvelles entités : Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Les COM sont régies par le nouvel article 74 de la Constitution qui a vocation d’englober des collectivités présentant trois dénominateurs communs. Ce sont d’abord des collectivités soumises au principe modulable de la spécialité législative. Ce sont ensuite des collectivités dans lesquelles les assemblées délibérantes locales peuvent intervenir dans un champ de compétences qui, en métropole, relève du domaine de la loi. Enfin, le statut "à la carte" de chaque COM est fixé par une loi organique. C’est le cas pour la Polynésie française, dotée d’un nouveau statut d’autonomie renforcée depuis le 27 février 2004 (3).

Cependant, le binôme DOM-COM introduit par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 n’a pas vocation à regrouper toutes les collectivités territoriales ultramarines de la République (B).

(à suivre)

André Oraison

(1) Voir Schultz (P.), "Le Territoire des Terres australes et antarctiques françaises : service extérieur de l’État ou administration de mission ? ", A.P.O.I., Volume X, 1984-1985, p. 399.
(2) Voir Oraison (A.), "Réflexions sur l’article 72-3 de la Loi fondamentale de la 5ème République, introduit par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. La disparition de la notion de territoire d’outre-mer (T.O.M.), l’émergence de la notion de collectivité d’outre-mer (C.O.M.) et le déclin relatif de la notion de département d’outre-mer (D.O.M.)", R.J.O.I., 2002-2003/3, pp. 109-117.
(3) Voir Oraison (A.), "Le nouveau statut d’autonomie renforcée de la Polynésie française", R.F.D.A., 2004/3, pp. 530-548.


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