Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines - 3 -

L’action internationale des collectivités ultramarines

2 février 2005

Les collectivités d’Outre-mer bénéficient dorénavant de compétences beaucoup plus étendues dans leurs relations avec les pays de leur environnement géographique. Elles peuvent en effet proposer à la République d’adhérer à une organisation de coopération régionale, les exécutifs locaux peuvent représenter la France lors de rencontres internationales et peuvent également signer des accords de coopération internationale. Précisions avec la juriste Altide Canton-Fourrat dans la suite de sa série d’articles sur le pouvoir normatif des collectivités ultramarines.

(Page 4)

Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines ne se limite pas seulement au plan interne. Si les relations internationales se fondent en principe sur la notion, il est reconnu à certaines collectivités infra-étatiques des pouvoirs qui outrepassent les limites de l’État dont elles font partie. Dans ce contexte, il est reconnu aux collectivités ultramarines un champ d’action internationale se situant précisément dans leur espace régional.
La situation géographique éparse de ces collectivités a su servir d’encrage à la France dans les régions où elles se situent. L’action internationale des départements ultramarins relève d’un régime qui leur est propre alors que celle des collectivités françaises du Pacifique est prévue dans leur statut. À cet effet, elles ont des compétences plus ou moins étendues selon qu’il s’agisse d’une collectivité dotée de l’autonomie ou non, ou qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie.
La révision constitutionnelle ne remet pas en cause cet état de droit, bien au contraire, l’approfondissement de la décentralisation va dans le sens d’une plus large ouverture au profit des collectivités ultramarines. Le champ d’action est situé dans les Caraïbes, pour les départements français d’Amérique, et dans l’océan Indien, pour La Réunion et aussi l’île de Mayotte.

A - L’instrument juridique interne

La première forme directe de l’intervention des départements et régions ultramarins dans leur environnement est la coopération décentralisée.
L’article 9 de la loi du 31 décembre 1982 (1) dispose que les Conseils régionaux peuvent être saisis pour avis de tout projet d’accord concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d’environnement entre la République française et, selon les cas, les États de la mer Caraïbe, les États voisins de la Guyane ou ceux de l’océan Indien.
L’article 13 de la loi du 2 août 1984 (2) prévoit en effet la consultation obligatoire de ces Conseils régionaux sur tout projet d’accord international relatif à la mise en valeur de la zone économique exclusive.
La loi d’orientation du 13 décembre 2000, au chapitre consacré à l’action de ces départements dans leur environnement régional, art 42 et 43 ouvre aux Conseils régionaux comme aux Conseils généraux la possibilité d’adresser au gouvernement des propositions "en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la République française et, selon les cas, les États de la mer Caraïbe, les États voisins de la Guyane et des États de l’océan Indien, ou d’accords avec les organismes régionaux des aires correspondantes (3) ".

Droit d’initiative pour les collectivités

En introduisant ce “droit d’initiative indirecte par appel”, c’est un dispositif similaire à celui de la Polynésie française avant l’adoption de son nouveau statut qui est mis en place afin de renforcer la coopération régionale : la loi 90-612 du 12 juillet 1990 disposait en effet que "le président du gouvernement du territoire peut proposer au gouvernement de la République l’ouverture de négociations tendant à la conclusion d’accords avec un ou plusieurs États ou territoires de la région du Pacifique".
Ces collectivités peuvent agir en qualité de représentants de la France. Les articles L. 3441-3 et L. 4433-4-5 insérés par la loi d’orientation prévoient que les présidents de Conseils généraux et de Conseils régionaux peuvent être chargés, par les autorités de la République, de les représenter au sein des organismes régionaux relevant de leurs aires géographiques.
Mais l’article précise aussi que dans ce cas, "les autorités de la République les munissent des instructions et pouvoirs nécessaires".
La loi d’orientation du 13 décembre 2000 insère surtout l’article L. 4433-4-5 au code général des collectivités territoriales qui ouvre la possibilité aux régions de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion d’être membres associés ou observateurs auprès des organismes régionaux de leurs aires géographiques.
La loi précise en outre, étant donné la faible participation de la France à ces organismes, que les Conseils régionaux sont autorisés à saisir le gouvernement "de toute proposition tendant à l’adhésion de la France à de tels organismes" dans la perspective de permettre l’intégration dans la région de ces collectivités.
Une autre disposition dérogatoire accordée aux départements d’Outre-mer, afin d’intensifier leur intégration régionale et de prendre en compte leurs spécificités, réside dans la possibilité de demander à l’État de prendre en charge eux-mêmes la négociation des accords avec les partenaires étrangers (États, territoires autonomes ou organismes régionaux) lorsque ces accords rentrent dans le cadre de leurs compétences.

Signatures d’accords de coopération

La loi d’orientation du 13 décembre 2000 autorise les Conseils généraux et les Conseils régionaux à demander aux autorités de la République de négocier et de signer eux-mêmes des accords avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes de leurs aires géographiques lorsque ces accords rentrent dans le cadre de leurs compétences.
Malgré le pouvoir donné aux collectivités territoriales, l’État peut à tout moment intervenir dans la négociation (4) .
De nombreuses dérogations au régime général des relations internationales des collectivités territoriales ont été mises en place en faveur des départements d’Outre-mer, pour leur permettre d’agir dans leur propre intérêt, notamment dans les domaines entrant dans le cadre de leurs compétences. Ces dérogations sont limitées de manière à ne pas porter atteinte aux engagements internationaux de la République, à la souveraineté et aux intérêts de la nation, et aux prérogatives constitutionnelles.
La loi d’orientation de 2000 insère les articles L. 3441-5 et L. 4433-4-4 au code général des collectivités territoriales qui stipule (alinéas 2) que désormais, les présidents de Conseils généraux et de Conseils régionaux, ou leurs représentants, "participent au sein de la délégation française, à leur demande, aux négociations avec l’Union européenne relatives aux mesures spécifiques tendant à fixer les conditions d’application du traité instituant la Communauté européenne dans le cadre du paragraphe 2 de l’article 299 de ce traité".

B - L’instrument juridique international

Dans la Caraïbe, la modernisation du processus est concomitante de l’accélération du processus de mondialisation. En effet, l’évolution de la mondialisation a modifié l’essence même de la coopération régionale. La première étape fut un mouvement d’élargissement ayant pour but la construction d’organisations susceptibles de faciliter l’intégration dans la future ZLEA (Zone de libre échange des Amériques).
L’AEC (Association des États de la Caraïbe) fut créée, dans cette perspective, 24 février 1994. La France a confirmé, par la signature d’un accord le 20 mai 1996, entre l’AEC et la France, définissant les modalités de participation de la France, en tant que représentant de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique.
Le CARICOM s’est, de son côté, ouvert à de nouveaux membres. C’est ainsi que le 2 Juillet 2002, Haïti, du rang d’associée, a intégré cette organisation. La situation de l’Europe a évolué dans l’espace caraïbe. La France avec les départements français d’Amérique ont conforté leur position dans la région.

Spécificités réunionnaises

La Réunion est à la fois un Département et une Région d’Outre-mer de la République et une Région ultrapériphérique de l’Union européenne. Elle est aussi une île située dans l’océan Indien. Elle est arrimée à la France pour ses principaux échanges socio-économiques ; d’où son isolement au sein du plan régional. La Réunion est intégrée dans un espace où la plupart des pays sont en voie de développement. À cet effet, trois cercles de proximité sont discernables (5) .
Le premier cercle est constitué des îles du Sud-Ouest de l’océan Indien. Il s’agit de l’île Maurice, de Madagascar, des Comores et des Seychelles. La COI “Commission de l’océan Indien”, créée en 1984, entre Madagascar, Maurice et les Seychelles, élargie en 1986 à La Réunion (donc la France) et aux Comores, dont le but est la mise en place d’un programme pour la libération régionale des barrières douanières, n’a pas été d’une grande efficacité, puisque les îles ne sont pas liées entre elles par le commerce et les échanges économiques.
Le deuxième cercle est constitué des grands États riverains de l’océan Indien. Il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Inde et l’Australie. Les échanges commerciaux et touristiques sont significatifs avec la première, grande exportatrice de fruits notamment, plus discrets avec les deux autres.
Le troisième cercle est constitué par le grand large, avec lequel les échanges sont encore très faibles, en particulier l’Extrême-Orient.

Relations avec l’Europe

L’Union européenne, dans le cadre de la régionalisation des relations avec les ACP, a signé, le 23 juin 2000, les accords de Cotonou. Ces accords doivent permettre à la Caraïbe de se constituer une zone de libre échange favorisant la coopération dans sa zone commerciale. Pour ce faire, les départements ultramarins, compte tenu de leurs relations privilégiées avec l’Union européenne, bénéficient du programme INTERREG III. L’INTERREG III B océan Indien est le premier programme spécifique de coopération régionale attribué par l’Union européenne à La Réunion. La situation ultrapériphérique et les spécificités propres à la zone océan Indien entourent ce programme d’une grande complexité. En outre, il s’agit du plus petit programme sur le plan financier. C’est aussi le seul programme INTERREG pour lequel une seule région communautaire est concernée. Son but n’est pas de développer des relations entre régions ultrapériphériques mais des actions bilatérales avec des États de la zone (6) . En outre, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité des départements d’Outre-mer (POSEIDOM (7) ), vise à insérer les départements d’Outre-mer, à minorer les handicaps structurels de leurs économies, et contient des dispositions relatives à la coopération régionale (Titre IV).
La décentralisation renforce le pouvoir normatif tant interne qu’international des collectivités ultramarines. Toutefois, ce pouvoir est assorti d’un contrôle.

(à suivre)

Altide Canton-Fourrat

(1)
Loi N° 82-1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des quatres régions d’Outre-mer.
(2) Loi N° 84-747 relative aux compétences des régions d’Outre-mer.
(3) Olivier Gohin, l’action internationale de l’État outremer in AJDA 20 mai 2001 p 438 s.
(4) Conseil constitutionnel - Décision 2000-435 DC du 7 décembre 2000 note Schoettl, in AJDA 20 janvier 2001 p 102 s.
(5) Laurent Sermet - L’océan Indien : la difficile intégration dans l’espace régional - Revue française d’Administration publique N°101, Janvier-février 2002, pp.149-156.
(6) Rapports Région de La Réunion d’avril 2004.
(7) Décision 89/687 du conseil du 22 décembre 1989 relatif au POSEIDOM, JOCE L.399 du 30 décembre 1989 p 39.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus