Tribune libre d’André Oraison sur les TAAF - 2 -

L’organisation particulière des TAAF

15 juin 2005, par André Oraison

Les Terres australes et antarctiques françaises - les TAAF - rassemblent les territoires français dispersés dans l’hémisphère austral, situés entre le 37ème de latitude Sud et le pôle Sud et répartis en deux catégories, distantes l’une de l’autre de près de 5.000 kilomètres. Nous vous publions aujourd’hui la deuxième partie d’un “coup d’œil” sur les TAAF à la lumière de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, écrit par André Oraison, professeur de droit public à l’Université de La Réunion.

(page 6)

b - Les pouvoirs régaliens de l’Administrateur supérieur

Sur le territoire des TAAF, l’Administrateur supérieur exerce au nom de l’État un certain nombre de compétences régaliennes. Ainsi, dans des instructions qu’il reçoit du Gouvernement, "il communique avec les représentants de la République dans les départements et régions d’outre-mer, dans les collectivités d’Outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les pays étrangers, de même qu’il communique avec les autorités de ces derniers". De surcroît, il peut négocier, avec les représentants des collectivités territoriales françaises et avec les autorités des États étrangers, des "conventions, notamment à caractère commercial, dans la limite des instructions gouvernementales", qu’il conclut toutefois "sous réserve de l’approbation par le Gouvernement".

L’Administrateur supérieur assure par ailleurs le maintien de l’ordre public sur une vaste portion du territoire national où sont regroupées 130 à 150 personnes en moyenne pendant les campagnes d’hivernage et 250 au maximum pendant la campagne de l’été austral ! Outre des touristes aisés mais peu nombreux (une soixantaine chaque année), ce sont généralement des fonctionnaires et pour la plupart des chercheurs appartenant au CNRS ou à l’Université. Il faut également mentionner les techniciens contractuels qui sont envoyés en mission dans les diverses composantes des TAAF pour des périodes de six mois à un an. Sur le plan démographique, il est donc déjà bien difficile d’établir une quelconque comparaison entre les TAAF et les autres collectivités territoriales. Faute de citoyens-électeurs, les TAAF sont dépourvues d’une assemblée délibérante locale élue au suffrage universel direct qui est pourtant la caractéristique essentielle de toutes les autres collectivités françaises.

Enfin, l’Administrateur supérieur veille à la bonne administration de la justice. Il représente l’État et le territoire en justice dans tous les actes de la vie civile. Mais quelles sont donc les juridictions compétentes pour les TAAF ? En ce domaine, il faut établir une distinction entre juridictions administratives et tribunaux judiciaires. Le décret du 26 juillet 1993 donne pour ces derniers une réponse claire : "Sauf dispositions contraires, sont territorialement compétentes pour le territoire des Terres australes et antarctiques françaises les juridictions de l’ordre judiciaire ayant leur siège à Saint-Denis de La Réunion". Concernant la justice administrative, la juridiction compétente était à l’origine le Tribunal administratif de la ville de Paris à l’époque où les TAAF avaient leur siège provisoire dans la capitale. Mais depuis que le transfert du siège des TAAF à La Réunion est devenu effectif en 1997, la juridiction administrative compétente est désormais le Tribunal administratif de Saint-Denis.

B) L’exclusion des TAAF du nouveau binôme constitutionnel DOM-COM

Outre les huit collectivités territoriales désignées dans le deuxième alinéa de l’article additionnel 72-3 de la Constitution, il existe deux autres entités publiques d’Outre-mer qui sont placées en dehors du nouveau clivage constitutionnel. Certes, les TAAF et la Nouvelle-Calédonie sont bien répertoriées dans l’article 72-3. Mais elles le sont dans les alinéas 3 et 4, ainsi rédigés : "Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre 13" (alinéa 3) et "La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises" (alinéa 4).

a - Le statut de la Nouvelle-Calédonie établi par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998

Désignée, comme les autres éléments de la France périphérique, dans l’article 72-3 (alinéa 3) de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie n’est plus un TOM depuis la réforme constitutionnelle du 20 juillet 1998. Mais elle n’est pas pour autant devenue une COM, au sens de l’article 74 de la Constitution, dès lors qu’elle bénéficie d’un statut exceptionnel ou “hors catégories”.

En tant que "pays à souveraineté partagée" avec la France, la Nouvelle-Calédonie figure seule et nommément dans un titre spécifique de la Constitution. Il en est ainsi depuis la révision de ce texte qui a été opérée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. De fait, cette loi a réintroduit dans la Charte suprême un titre 13, intitulé : "Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie". Le nouveau titre a lui-même été complété par une loi organique du 19 mars 1999. L’éventuelle "accession à la pleine souveraineté" de la Nouvelle-Calédonie doit par ailleurs se faire par référendum à l’issue d’une période transitoire de quinze à vingt ans, fixée entre 2014 (au plus tôt) et 2018 (au plus tard).

b - Le statut des TAAF établi par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003

D’abord, les TAAF n’ont jamais eu le statut de DOM dont la catégorie est maintenue par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Il est également évident que les TAAF ont perdu le statut traditionnel de TOM dans la mesure où cette deuxième catégorie de collectivités territoriales ultramarines a été supprimée à la suite de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Mais les TAAF n’entrent pas pour autant dans la nouvelle catégorie des COM puisqu’elles ne figurent pas sur la liste des DOM-COM, établie par le deuxième alinéa précité de l’article 72-3 de la Constitution.

Dans la mesure où les TAAF sont dépourvues d’une présence humaine fixe, l’article 72-3 de la Constitution ne pouvait que leur conférer un statut "hors catégories". De fait, son alinéa 4 se prononce en ce sens : "La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises". La rédaction de cet alinéa confirme l’opinion que les TAAF se situent hors du clivage DOM-COM. Les TAAF se distinguent d’abord de la catégorie des COM dès lors que leur statut est fixé par une loi ordinaire et non pas par une loi organique. Elles se distinguent également de la catégorie des DOM dès lors qu’elles ne sont pas soumises au principe de l’identité législative.

Au lendemain de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les TAAF conservent certains éléments caractéristiques d’une collectivité territoriale. Elles disposent de la personnalité morale, de l’autonomie administrative et financière ainsi que de services administratifs de gestion et même d’une présence humaine intermittente. En revanche font défaut la population permanente capable de désigner au suffrage universel direct les membres d’une assemblée délibérante locale ainsi que l’organisation particulière du territoire au sens où l’entend le nouvel article 74 de la Constitution. En dernière analyse, les TAAF sont placées en dehors du nouveau binôme DOM-COM tout en étant nominalement intégrées dans le titre XII de la Loi fondamentale de la République. C’est dire que les TAAF constituent bien comme, par le passé, une collectivité territoriale ultramarine. Mais il s’agit désormais d’une collectivité territoriale sui generis qui est dotée - selon l’expression employée par le quatrième alinéa de l’article additionnel 72-3 de la Constitution - d’une "organisation particulière" (II).

II . L’organisation particulière des TAAF

L’organisation des TAAF a peu évolué depuis 1955, si l’on fait abstraction de son siège. À l’origine, celui-ci a été "provisoirement fixé à Paris". Cependant, cette situation provisoire devait durer plus de quarante ans ! Aujourd’hui, les TAAF bénéficient d’un siège définitif. En vertu d’un décret du 14 mars 1996, il est établi à La Réunion. Considérée comme judicieuse, cette mesure de délocalisation du siège des TAAF est de nature à renforcer les liens qui existent depuis fort longtemps entre le Territoire et le département français de l’océan Indien. Un arrêté du Premier ministre du 27 février 1997 précise que le siège des TAAF est fixé à compter du 2 avril 1997 à Saint-Pierre (1).
Fixée par la loi statutaire du 6 août 1955 qui jusqu’à nouvel ordre demeure un texte de droit positif, l’organisation des TAAF a été précisée par les décrets des 13 janvier et 18 septembre 1956, eux-mêmes mis à jour par les décrets du 8 décembre 2003 et du 21 mai 2004. Cette organisation repose essentiellement sur un responsable qui a le titre d’Administrateur supérieur (A). Pour gérer les TAAF, ce haut fonctionnaire de l’État est toutefois assisté par certains organismes auxiliaires (B).

A) L’Administrateur supérieur des TAAF

Le Territoire des TAAF est placé sous l’autorité d’un représentant de l’État qui, depuis la loi du 6 août 1955, a le titre d’Administrateur supérieur des TAAF et qui, de surcroît, vient d’acquérir le titre officiel de préfet à la suite de la mise en œuvre de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (2).

a - Le statut de l’Administrateur supérieur

Nommé "par décret délibéré en Conseil des ministres", l’Administrateur supérieur est "le dépositaire des pouvoirs de la République dans le territoire". À ce titre, il y représente "seul le Gouvernement devant lequel il est responsable de ses actes et dont il reçoit les instructions par l’intermédiaire du ministre chargé de l’outre-mer". C’est dire déjà que l’Administrateur supérieur des TAAF n’a de compte à rendre qu’à l’État ! Cette singularité que l’on ne retrouve dans aucune autre collectivité territoriale ne manque pas de surprendre. À cet égard, il est déjà permis de partager une observation exprimée en 1985 par M. Patrick Schultz et toujours valable en 2005 : "Les pouvoirs de l’administrateur supérieur ressemblent bien aux pouvoirs que détient le préfet à l’égard des services de l’État dans le département conçu comme circonscription administrative où se déploient les services extérieurs de l’État et non comme collectivité territoriale. L’administration dont il dispose s’apparente, tant par ses structures que par ses compétences, à un service extérieur de l’administration centrale" (3).

L’Administrateur supérieur des TAAF "dirige l’action des services de l’État dans le territoire". Mais en vertu d’un mécanisme de dédoublement fonctionnel, il est aussi le responsable d’une collectivité territoriale dont l’organisation particulière a peu évolué depuis sa création par la loi statutaire du 6 août 1955. Cependant, pour accomplir ses fonctions, l’Administrateur supérieur est assisté par un secrétaire général qui est nommé par un arrêté du ministre chargé de l’outre-mer et qui le supplée de plein droit en cas d’empêchement ou en cas de vacances de fonctions.

(à suivre)

André Oraison

(1) Voir l’article 1er de l’arrêté du Premier ministre du 27 février 1997, "fixant le siège de l’administration du territoire des Terres australes et antarctiques françaises", in J.O.R.F., 6 mars 1997, p. 3559.
(2) Le décret du 20 décembre 2004 est ainsi rédigé : "M. Michel CHAMPON, administrateur civil hors classe, est nommé préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises" (article 1er). Voir J.O.R.F., 24 décembre 2004, p. 21863.
(3) Précité, p. 392.


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