Libre opinion d’André Oraison, Conseiller juridique du Comité Solidarité Chagos La Réunio

La Cour internationale de Justice condamne le Royaume-Uni dans l’affaire des Chagos

27 février 2019, par André Oraison

Adoptée le 22 juin 2017, la Résolution 71/292 de l’Assemblée générale décide, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour de La Haye de donner, en vertu de l’article 65 de son Statut, un avis consultatif sur le point de savoir « si le processus de décolonisation a été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968 ».

I.- La compétence de la Cour pour répondre à la demande d’avis consultatif

Par voie d’exceptions préliminaires, le Royaume-Uni a soulevé l’incompétence de la Cour dans l’affaire portant « sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 » en invoquant le principe selon lequel nul État souverain ne peut être traduit devant le prétoire international sans son consentement. Pour répondre à la demande d’une opinion d’ordre juridique formulée dans la Résolution 71/292, la Cour a appliqué, en l’espèce, une règle de procédure classique : en cas de contestation de son pouvoir de donner suite à un avis, il lui appartient de se prononcer, dès lors qu’elle possède en ce domaine un « pouvoir discrétionnaire ».
La Cour rappelle qu’elle tire sa compétence pour donner des avis consultatifs de la Charte et plus précisément de l’article 96 qui indique que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité peuvent « demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ». Pour s’assurer qu’elle était compétente dans l’affaire des Chagos, la Cour a dû vérifier que des questions juridiques lui avaient bien été posées. Précisons, à ce sujet, que l’Assemblée générale « décide » dans sa Résolution 71/292 de demander à la Cour de donner un avis consultatif sur les questions suivantes :

a) « Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ? » ; b) « Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni…, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ? ».

Sur la base d’une jurisprudence bien établie, la Cour est d’avis que la question relative à l’excision de l’archipel des Chagos de la colonie britannique de Maurice réalisée en 1965, à la veille de son accession à l’indépendance, est bien une question juridique et, de surcroît, une question importante qui se rattache au problème général de la décolonisation et intéresse au premier chef les Nations Unies. Il s’agit en l’espèce d’obtenir de la Cour une assistance juridique sous la forme d’une expertise que l’Assemblée générale estime utile pour mener à bien la mission qui lui a été confiée par les États membres de l’ONU lorsqu’ils ont voté, le 14 décembre 1960, la Résolution 1514 : cette mission sacrée a pour but de parachever, conformément au droit international, le processus de décolonisation dans la Communauté internationale. Sans surprise, c’est donc à l’unanimité des quatorze juges présents que la Cour s’est déclarée « compétente pour répondre à la demande d’avis consultatif ».

II.- La condamnation du Royaume-Uni prononcée par la Cour dans l’avis consultatif

La Cour a rappelé qu’en prenant appui sur la Charte de San Francisco qui mentionne à deux reprises, dans ses articles 1er et 55, le « principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes », la majorité anticolonialiste de Nations Unies a été amenée à préciser le contenu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans plusieurs résolutions votées par l’Assemblée générale et notamment dans Résolution 1514 qui contient la « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ». Adoptée le 14 décembre 1960, cette Déclaration proclame « la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations ». Dans son paragraphe 2, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes y est formulé en des termes non équivoques : « Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel ». Ainsi précisé par la Résolution 1514 et des résolutions ultérieures, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est désormais un principe fondamental du droit international qui est placé sur le même plan que le principe du règlement pacifique des différends entre États.

Dans son avis consultatif du 25 février 2019, la Cour a mis l’accent sur l’importance du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en insistant sur une jurisprudence immuable relative aux territoires non autonomes. Certes, pour justifier l’absence de référendum de libre détermination à Maurice, la Cour a aussi tenu à rappeler, en se référant à l’avis consultatif rendu le 16 octobre 1975, dans l’affaire du Sahara occidental, que le droit à l’autodétermination, en droit international coutumier, n’impose pas dans tous les cas un mécanisme particulier pour sa mise en œuvre : « La validité du principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée par le fait que, dans certains cas, l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire ».

Néanmoins, la Cour déclare qu’en détachant, par le décret-loi du 8 novembre 1965, l’archipel des Chagos de la colonie britannique de Maurice sans l’assentiment réel des responsables politiques mauriciens venus négocier à Londres l’accord de Lancaster House, signé le 23 septembre 1965, un accord qui se prononce pour l’indépendance de Maurice moyennant la cession des Chagos à la puissance coloniale, le Royaume-Uni a méconnu le principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation qui est un principe complémentaire obligé du droit de peuples à disposer d’eux-mêmes. D’essence coutumière, ce principe qui interdit le démembrement d’un territoire colonial avant son accession à l’indépendance a été codifié, le 14 décembre 1960, par l’Assemblée générale des Nations Unies dans le paragraphe 6 de la Résolution 1514, ainsi rédigé en des termes particulièrement bien frappés : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ».

La Cour souligne que ce principe majeur avait été rappelé par l’Assemblée générale, le 16 décembre 1965, dans la Résolution 2066. Après avoir évoqué la Résolution 1514 et souligné que « toute mesure prise par la Puissance administrante pour détacher certaines îles du territoire de l’île Maurice afin d’y établir une base militaire constituerait une violation de ladite déclaration et en particulier du paragraphe 6 de celle-ci », l’organe plénier de l’ONU avait en effet réaffirmé « le droit inaliénable du peuple du territoire de l’île Maurice à la liberté et à l’indépendance, conformément à la Résolution 1514 » et invité, par suite, « la Puissance administrante à ne prendre aucune mesure qui démembrerait le territoire de l’île Maurice et violerait son intégrité territoriale ».
Par treize voix contre une, la Cour est donc d’avis que, « au regard du droit international, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien lorsque ce pays a accédé à l’indépendance en 1968 à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos ». Plus encore et à la même majorité, la Cour est d’avis « que le Royaume-Uni est tenu, dans les plus bref délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos » avant de préciser – à titre d’avertissement – que « tous les États Membres sont tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice ». On ne saurait être plus clair et plus sévère.

Ultimes réflexions

L’avis consultatif du 25 février 2019 « sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 » était prévisible et attendu avec impatience par les Mauriciens et les Chagossiens. Cependant, il ne faut pas confondre fonction juridictionnelle et fonction consultative : si l’arrêt qui découle de la première a force contraignante, l’avis consultatif qui résulte de la seconde est une simple opinion qui ne lie pas les États souverains. Néanmoins, l’avis consultatif donné à la quasi unanimité dans l’affaire des Chagos a une grande valeur scientifique et une haute autorité morale dès lors qu’il émane de « l’organe judiciaire principal des Nations Unies » dont les juges indépendants donnent toute garantie d’impartialité et sont, de surcroît, selon l’article 2 du Statut de la Cour, des « jurisconsultes possédant une compétence notoire en matière de droit international ». C’est dire aussi que le combat des Mauriciens et des Chagossiens doit se poursuivre aux plans juridique et politique.

André Oraison

A la Une de l’actuChagos

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus