Libre opinion

La création d’un deuxième département à la Réunion ? Une réforme institutionnelle aujourd’hui obsolète

11 février 2015, par André Oraison

En vue des prochaines élections cantonales, la section locale de « Debout la France » a créé la surprise en plaidant, en ce début d’année 2015, pour la création d’un second département à La Réunion [1]. Le débat sur la bidépartementalisation appartient en effet à un passé révolu. Certes, il a passionné en son temps les Réunionnais et les élites politiques locales. Mais il a échoué pour des raisons qui sont essentiellement politiques.

Cette réforme institutionnelle avait été présentée par le Parti communiste réunionnais à la fin de la décennie « 1990 ». Initiée par le parti de Paul Vergès qui invoquait en l’espèce « le besoin de proximité » et le souci de rééquilibrer le Nord et le Sud de La Réunion au plan économique, cette réforme – il faut le reconnaître – n’était pas à l’époque dépourvue d’intérêts [2]. Elle avait pour objectif de rapprocher les administrés de l’administration départementale sur un territoire insulaire accidenté en raison de son relief tourmenté. Un autre objectif de la réforme visait à renforcer le réservoir de femmes et d’hommes politiques qui font traditionnellement défaut à La Réunion et dont cette île a pourtant un grand besoin. Il convient d’ajouter qu’une telle réforme pouvait se justifier à une époque où il n’était pas encore question de clouer au pilori le kafkaien « millefeuille administratif » tandis que la crise économique qui sévissait n’était pas aussi criarde qu’elle ne l’est aujourd’hui, tant au niveau national qu’au niveau local. Dès lors, notre diagnostic est sans appel : la réforme structurelle proposée par « Debout la France » – un mouvement au demeurant fort sympatique – n’est plus appropriée en 2015. Elle est enfin d’autant moins judicieuse que l’institution du département, aujourd’hui tant décriée, aura vraisemblablement disparu à l’horizon 2020.

En vérité, c’est une toute autre réforme statutaire – une réforme d’une plus grande ampleur – qui s’impose en raison de la crise économique et sociale sans précédent qui frappe de plein fouet La Réunion. Nous proposons à la classe politique locale – toutes tendances confondues et notamment à « Debout la France » – une réforme administrative ambitieuse dont nous sommes désormais convaincus qu’elle se fera un jour. La voici [3].

On sait que dans les DOM de la Guyane et de la Martinique, une collectivité territoriale unique doit prochainement se substituer à la région et au département afin de permettre à la nouvelle collectivité territoriale d’agir avec une plus grande visibilité. Ces deux exemples probants mériteraient, à notre avis, d’être suivis à La Réunion dans la mesure où la coexistence de deux collectivités territoriales de plein exercice – la région et le département – sur la même aire géographique et concernant le même groupement humain est une « aberration institutionnelle », inutile et coûteuse. Elle l’est d’autant plus que le premier département français de l’océan Indien se caractérise, à l’évidence, par l’étroitesse de son assise territoriale (à peine 2 512 kilomètres carrés de superficie) et la faiblesse numérique de sa population (moins de 850 000 habitants en 2014). Une collectivité territoriale unique se substituant à la région et au département apparaît enfin comme une réforme structurelle nécessaire et même prioritaire au lendemain des violences urbaines à répétition qui perturbent, depuis 2012, plusieurs communes de l’île.

Certes, la réforme que nous proposons depuis 2012 n’a pas la prétention de régler tous les problèmes qui frappent La Réunion. Elle peut néanmoins contribuer à en résoudre un certain nombre. La réforme aurait d’abord pour effet de réduire les coûts de fonctionnement des services publics réunionnais et de permettre à la nouvelle collectivité territoriale d’agir avec plus de célérité, d’efficacité et de responsabilité à l’égard de la population locale, notamment en matière économique, sans remettre en cause les acquis sociaux découlant de la départementalisation – des acquis auxquels les « domiens » sont très attachés – et le principe de l’identité législative applicable dans les DOM en vertu de l’article 73 de la Constitution. La réforme proposée ne porterait pas davantage atteinte au statut européen de région ultrapériphérique (RUP) attribué à La Réunion et aux financements qui émanent des fonds structurels de Bruxelles. Une collectivité territoriale unique serait enfin l’outil le plus approprié pour renforcer l’influence politique de La Réunion auprès du Gouvernement de la République et des instances nationales ainsi que son poids économique auprès des pays indépendants de la zone sud-ouest de l’océan Indien, membres de la Commission de l’Océan Indien (COI).

La fusion des deux collectivités territoriales qui coexistent depuis le vote de la loi du 31décembre 1982 dans chacune des régions monodépartementales ultramarines n’est pas révolutionnaire puisqu’elle a été rendue possible, au plan juridique, par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. De surcroît, cette fusion de la région et du département n’est pas davantage hypothétique puisqu’elle a déjà été réalisée en Guyane et à la Martinique par la loi du 27 juillet 2011 en application de l’alinéa 7 de l’article 73 de la Constitution et, chaque fois, avec l’accord des populations locales directement intéressées, conformément à l’alinéa 2 de l’article 72-4 de la Constitution. Parce qu’elle est démocratique, cette réforme s’impose également et logiquement à La Réunion.

Mais pour être pleinement efficiente, la réforme proposée implique la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution qui empêche La Réunion de disposer d’un pouvoir législatif et règlementaire par habilitation, selon le cas, du Parlement ou du Gouvernement dans une série de matières non régaliennes mais hautement stratégiques comme l’éducation, la culture, la fiscalité locale, les énergies renouvelables, les transports publics des passagers et des marchandises et – aujourd’hui priorité des priorités – l’emploi des jeunes Réunionnais actifs de moins de 25 ans. Telle est la réforme institutionnelle clarificatrice dont La Réunion a un urgent besoin en ce début de XXIe siècle, une réforme de bon sens l’on peut traduire par l’équation suivante : La Réunion performante : c’est désormais une population, un territoire et une seule autorité politique.

André Oraison Professeur des Universités

ResponsabilitéDépartementales 2015

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