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Le triptyque institutionnel du sénateur Paul Vergès -3-
16 mars 2018, par
Après avoir évoqué le projet de création du congrès des élus de la Région et du Département de La Réunion porté par Paul Vergès au Sénat et la proposition de création d’une collectivité unique de La Réunion par fusion de la Région et du Département, la tribune d’André Oraison reproduite aujourd’hui décrit le dernier volet du « tryptique institutionnel du sénateur Paul Vergès : la lutte pour supprimer l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution qui empêche l’adaptation ou la création de lois à la suite d’une habilitation donnée par le Parlement ou le gouvernement. Rappelons que cette tribune est relative à la conférence tenue le 13 février dernier par le professeur des Universités, c’est un élément du débat des Assises des Outre-mer.
Pour comprendre le troisième combat de Paul Vergès, un nouveau constat s’impose. Les collectivités territoriales régies par l’article 73 bénéficient désormais d’un pouvoir normatif autonome, sur habilitation du Parlement, qui a été établi par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Dans un but de clarification, il apparaît utile de rappeler le contenu des trois premiers alinéas de l’article 73.
L’alinéa 1er de l’article 73 dispose : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Ainsi, après avoir rappelé le principe de l’identité législative, l’alinéa 1er prévoit par ailleurs des assouplissements : la mention des « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » permet en effet de prendre en considération toutes les spécificités objectives des départements et régions d’outre-mer (DROM) qui sont handicapés par plusieurs facteurs physiques. L’alinéa 1er bénéficie à toutes les collectivités régies par l’article 73, y compris La Réunion. Dans son alinéa 2, l’article 73 indique : « Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement ». Avant la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, le pouvoir d’adaptation n’était reconnu qu’aux autorités supérieures de l’État. Désormais, ce pouvoir d’adaptation peut aussi être exercé par les assemblées délibérantes des DROM. Plus exactement, la Constitution reconnaît à chacune des collectivités régies par l’article 73 le droit d’adapter elle-même, sur habilitation du Parlement ou du Gouvernement, les lois et règlements applicables sur son territoire dans les matières qui relèvent de sa responsabilité. Cette « faculté d’auto-adaptation » bénéficie également à toutes les collectivités régies par l’article 73, y compris La Réunion.
Cependant, la Constitution va encore plus loin dans la reconnaissance d’un pouvoir normatif spécifique aux collectivités régies par l’article 73, dès lors qu’elle leur donne la possibilité d’édicter, par habilitation, un droit dérogatoire par rapport à celui de l’État. Ce droit figure dans un alinéa 3, ainsi rédigé : « Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ». À ce sujet, le professeur Olivier Gohin précise : « Il ne s’agit pas d’auto-adaptation dans les matières législatives ou règlementaires de la compétence de ces mêmes collectivités. Il ne s’agit donc pas d’un ajustement du droit commun, mais de la création d’un autre droit, dans des matières qui sont de la compétence de l’État ».
Dès lors qu’il entame le monopole législatif du Parlement en consacrant un retour indirect à la spécialité législative dans les DROM, l’article 73 de la Constitution est audacieux. Mais son audace est nuancée. Pierre-Olivier Caille souligne que le champ d’application du « pouvoir normatif décentralisé », désormais reconnu aux collectivités régies par l’article 73, est « matériellement limité ». Dans sa proposition de loi constitutionnelle enregistrée à la Présidence du Sénat le 9 avril 2013 et visant à la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73, Paul Vergès a lui-même été conduit à énumérer les verrous qui ont été prévus par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 afin d’éviter tout risque de dérapage.
Ces verrous constitutionnels doivent être rappelés afin de rassurer les « Domiens », réticents à toute forme de débordement dans leurs pays respectifs. D’abord, les habilitations législatives et règlementaires prévues aux alinéas 2 et 3 de l’article 73 ne peuvent pas être imposées par l’État. Ces habilitations ne peuvent intervenir qu’« à la demande de la collectivité concernée » : ainsi en dispose l’article 73 de la Constitution, dans son alinéa 6. Le principe du volontariat est donc le premier verrou. En outre, si les habilitations prévues aux alinéas 2 et 3 de l’article 73 sont décidées « à la demande de la collectivité concernée », elles le sont « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », ainsi que le souligne l’article 73, dans son alinéa 6. C’est le deuxième verrou. De plus, les habilitations prévues aux alinéas 2 et 3 de l’article 73 ne peuvent jamais intervenir au profit des DROM dans les matières relevant des compétences régaliennes de l’État, énumérées par l’alinéa 4 de l’article 73 : « Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral ». C’est le troisième verrou. Dans son alinéa 6, l’article 73 indique enfin qu’il ne saurait y avoir un droit à l’habilitation au profit des collectivités qui entrent dans son champ d’application lorsque sont en cause « les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique » comme la liberté d’enseignement ou la liberté de la presse ou lorsqu’un « droit constitutionnellement garanti » est en cause comme le droit de grève ou le droit de propriété.
Toutefois, ces verrous constitutionnels n’ont pas paru suffisants au sénateur-maire UMP de Saint-André. Jean-Paul Virapoullé a jugé indispensable de prévoir un verrou supplémentaire au profit de La Réunion afin que ce DOM demeure « un département français comme n’importe quel département métropolitain ». Connu dans son île natale sous le nom d’« Amendement Virapoullé », l’amendement constitutionnel n° 85 rectifié bis a pour but d’exclure le département et la région de La Réunion du champ d’application des alinéas 3 et 4 de l’article 73 de la Constitution : il vise à compléter cet article 73 par l’adjonction d’un alinéa 5 avec pour objectif d’écarter toute possibilité de « lois pei » à La Réunion car de telles lois seraient susceptibles de comporter en germe, selon Jean-Paul Virapoullé, une « menace d’autonomie législative », considérée par le sénateur réunionnais « comme l’antichambre de l’aventure et de l’indépendance ». Adopté le 6 novembre 2002 malgré la désapprobation de Brigitte Girardin, la ministre des Outre-mer, « l’amendement intégriste » du sénateur Jean-Paul Virapoullé s’est traduit par une exception très importante dans l’alinéa 5 de l’article 73, ainsi rédigé : « La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de La Réunion ».
Avec l’ensemble de la gauche réunionnaise, Paul Vergès a été amené à dénoncer l’alinéa 5 de l’article 73 qu’il assimile à une « hérésie constitutionnelle ». Il en est ainsi dans la mesure où cet alinéa empêche La Réunion de disposer d’un pouvoir législatif et règlementaire par habilitation, selon le cas, du Parlement ou du Gouvernement dans une série de domaines non régaliens mais importants comme l’accès au foncier, l’énergie, l’enseignement, la fiscalité locale, les transports publics intérieurs, la protection du patrimoine culturel immatériel, la sauvegarde de l’environnement et l’emploi. Pour le sénateur Paul Vergès, l’alinéa 5 de l’article 73 n’aurait jamais dû être voté par le Parlement dans la mesure où cette disposition – frein au développement économique et social – vise à pétrifier ad vitam æternam, contre le bon sens, le statut de la seule région monodépartementale de La Réunion.
Pour certains auteurs, la toxicité de « l’amendement Virapoullé » serait telle qu’il pourrait faire obstacle à la fusion du département et de la région de La Réunion puisque ces deux collectivités – le « département » et la « région » de La Réunion – sont mentionnées dans l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution. Mais cette exégèse restrictive a été contestée par un grand nombre de juristes et notamment par Pierre-Olivier Caille : « Il peut toutefois aussi être soutenu que la fusion de la région et du département de La Réunion n’est pas exclue car il aurait fallu pour cela une disposition ad hoc à la fin de l’article 73, alinéa 7, qui régit seul la création d’une collectivité territoriale unique. Au soutien de cette interprétation, on peut avancer que l’article 72-4 est d’application générale et n’exclut pas La Réunion. Enfin, on peut noter que l’interprétation formelle de l’article 73, alinéa 5… fige La Réunion dans le statut qui est le sien depuis 1946 sans que la population ait été consultée sur ce point ».
Mais quelle que soit l’interprétation retenue, une révision de la Constitution s’impose pour supprimer l’alinéa 5 de l’article 73, dès lors que cette disposition constitutionnelle traduit un manque de confiance à l’égard des Réunionnais. Dans cette optique, deux propositions de loi constitutionnelle destinées à doter La Réunion de pouvoirs identiques à ceux des autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ont été enregistrées au Parlement : la première au Palais du Luxembourg par le sénateur communiste Paul Vergès, le 9 avril 2013 et la seconde au Palais Bourbon par la députée socialiste Ericka Bareigts, le 30 mai 2013. Mais bien qu’étant jugées opportunes par ces parlementaires, ces initiatives visant à la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 n’ont pas abouti. Une nouvelle proposition de loi constitutionnelle ayant le même objet a été enregistrée à la Présidence du Sénat le 27 octobre 2015 par Paul Vergès. Mais elle n’a pas davantage rencontré le succès. Par la suite, Gélita Hoarau – suppléante de Paul Vergès – a repris le flambeau en obtenant, dès le 30 novembre 2016, l’enregistrement au Sénat d’une nouvelle proposition de loi constitutionnelle visant à la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73. Mais cette nouvelle tentative n’a pas eu plus de succès que les précédentes.
La Réunion est le seul département à bénéficier d’un traitement particulier dans la Constitution. Mais est-ce vraiment un progrès pour les Réunionnais ? On peut en douter en reprenant le credo de Paul Vergès contenu dans ses propositions de loi constitutionnelle, enregistrées au Sénat en 2013 et 2015, et rappelé par Gelita Hoarau dans sa proposition de loi constitutionnelle, déposée en 2016 : « Rien ne justifie ce traitement différencié entre La Réunion et les autres départements et régions d’outre-mer. Rien ne justifie que des prérogatives accordées aux régions et départements de la Martinique, de la Guyane et de la Guadeloupe ne soient pas accordées au département et à la région de La Réunion ».
Dès l’ouverture des Assises des Outre-mer qui ont débuté à Saint-Denis le 4 octobre 2017 avec la venue d’Annick Girardin, la ministre en charge des Outre-mer, le PCR a donné le tempo en indiquant que l’heure est venue de tourner une page de l’histoire de La Réunion et d’entrer dans une ère nouvelle : celle de la responsabilité. Pour le PCR, les réformes prônées par Paul Vergès doivent être mises en œuvre pour donner à La Réunion les mêmes outils que ceux qui ont été attribués aux départements français d’Amérique. Le message prospectif du PCR a-t-il alors des chances d’être entendu ? Dans son discours prononcé à Cayenne le 28 octobre 2017, le Président de la République a évoqué « une nouvelle page institutionnelle, juridique, financière de la relation entre l’État et les territoires ultramarins ».
Emmanuel Macron s’est déclaré prêt à envisager des « aménagements constitutionnels », y compris la suppression de « l’amendement Virapoullé ». Cette suppression pourrait prendre place dans le « Livre bleu des Outre-mer » qui doit constituer « le socle des politiques publiques du quinquennat tournées vers le développement des territoires ultramarins ». Mais la bataille pour cette réforme est-elle réellement gagnée ? Rien n’est moins sûr. La droite locale demeure réticente à la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution. Le 13 novembre 2017, le président du conseil régional, a tenu à annoncer la couleur : dans son entretien avec le Premier ministre, Édouard Philippe, Didier Robert déclare être « favorable à un meilleure intégration régionale de La Réunion dans l’océan Indien » et « à une prise en compte de ses spécificités dans leur globalité », sans pour autant « changer la Constitution ». Dans ce contexte aléatoire, le PCR se déclare décidé à poursuivre la lutte non seulement pour la suppression de « l’amendement Virapoullé » mais aussi pour la création du congrès des élus départementaux et régionaux et la fusion du département et de la région de La Réunion, en rappelant au besoin la formule vergésienne : « Mi di zot tout : Nou lé pa plis, nou lé pa mwin, respekt a nou ! ».
André Oraison, Professeur des Universités, Juriste et Politologue
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