Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines - 4 -

Le contrôle du pouvoir normatif des collectivités ultramarines

3 février 2005

Nous terminons aujourd’hui la série d’articles sur le pouvoir normatif des collectivités ultramarines proposée par Altide Canton-Fourrat. La juriste nous explique dans ce dernier volet comment s’exerce le contrôle des compétences des collectivités d’Outre-mer par d’une part le Conseil constitutionnel et d’autre part le Conseil d’État.

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L’exercice du pouvoir normatif des collectivités ultramarines est soumis à certaines conditions. Il est limité par le principe unitaire de la République. Il est assorti de certaines mesures tendant à assurer la cohésion nationale.

A - Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines et le principe unitaire de la République

La hiérarchie des normes doit être respectée. Le pouvoir normatif local est encadré par les normes constitutionnelles. Il est soumis au respect des normes communautaires, au droit européen (Convention européenne de Sauvegarde des droits de l’homme) et aux conventions internationales ratifiées par la France.
L’adaptation normative ne peut intervenir que dans les matières législatives ou réglementaires relevant des compétences des départements et régions ultramarins. Cette adaptation se fait à la demande de la collectivité intéressée et sur habilitation préalable par la loi que ce pouvoir normatif pourra s’exercer (1) .
Ce pouvoir normatif local ne peut s’exercer que lorsque ne sont pas en cause "les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti" (2) dès lors que les dispositions essentielles d’une loi relative aux libertés publiques ne puissent dépendre des décisions des collectivités locales et ne puissent par là même être différentes selon les collectivités. L’État doit rester compétent pour déterminer l’ensemble des garanties des libertés, qu’elles soient de nature législative (article 34 de la Constitution) ou de nature réglementaire. Le Conseil constitutionnel a décidé en ce sens à propos de la Polynésie française (3) et, quelques années plus tard, à propos de la Corse (4) .
Pour les collectivités ultramarines dotées de l’autonomie, la Polynésie (et toutes celles qui viendront s’ajouter à la liste), la participation à l’exercice des compétences étatiques reste subordonnée au respect "des garanties accordées sur l’ensemble du territoire national pour l’exercice des libertés publiques" rappelé (5) .

B - L’encadrement jurisprudentiel du pouvoir normatif local ultramarin

Le contrôle juridictionnel du pouvoir normatif local ultramarin est assuré tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d’État.

1) - Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel veille à ce que les compétences des collectivités locales ne dépassent pas celles prévues par la Constitution. Le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel porte tant sur les lois organiques que sur les lois ordinaires. La décision du 12 février 2004 relative au statut de la Polynésie française (6) a permis au Conseil de délimiter le cadre du pouvoir local.
Le juge constitutionnel pose comme principe que "la possibilité donnée à une collectivité ultramarine dotée de l’autonomie d’édicter des normes dans un domaine qui, en vertu des dispositions constitutionnelles ou statutaires, demeure dans les attributions de l’État, ne peut résulter que de l’accord préalable de l’autorité de l’État qui exerce normalement cette compétence". Il en tire la conséquence que sont contraires à la Constitution les dispositions de l’article 32 de la loi fixant la procédure d’adoption des “lois du pays” dans les matières législatives relevant de la compétence de l’État, et dans lesquelles s’exerce le pouvoir normatif “de participation” de la Polynésie.
En l’espèce, il était prévu que le projet ou la proposition d’acte devait être transmis au ministre chargé de l’Outre-mer, lequel proposait au Premier ministre un projet de décret tendant soit à l’approbation totale ou partielle du texte, soit au refus d’approbation. Les décrets d’approbation deviendraient caducs s’ils n’avaient pas été ratifiés par la loi dans les dix-huit mois de leur signature.
Le Conseil constitutionnel juge que "ces dispositions permettraient à l’assemblée de la Polynésie française d’édicter, sans y avoir été préalablement autorisée par le Parlement, des normes relevant de la compétence législative de l’État ; que l’intervention d’un simple décret ne saurait permettre à cette collectivité de modifier, pour une durée pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, des dispositions qui restent de la compétence de l’État et qui, pour la plupart, touchent à la souveraineté de l’État ou à l’exercice des libertés publiques et ainsi, les lois du pays intervenant dans le domaine législatif de l’État ne peuvent pas entrer en vigueur tant que le décret d’approbation totale ou partielle n’a pas été ratifié par le Parlement".
Est également jugée contrairement à la Constitution la disposition qui prévoyait la compétence du Conseil des ministres de la Polynésie pour fixer les règles applicables aux "conditions matérielles d’exploitation et de mise à disposition de la population des registres d’état civil". Ces matières relèvent de la capacité des personnes. Seul l’État est compétent ; la compétence de la collectivité n’étant pas prévue par la loi organique.

2 - Le contrôle exercé par le Conseil d’État

Lorsqu’ils interviennent dans les matières législatives de l’article 34, les actes pris par les collectivités ultramarines sont des actes administratifs. Lorsque ces actes émanent des collectivités soumises au régime de l’article 73 et 74 de la Constitution, ils sont soumis au juge administratif. Cependant, lorsqu’il s’agit des actes des collectivités de l’article 74 dotées de l’autonomie, ils sont soumis à un contrôle juridictionnel spécifique exercé par le Conseil d’État. L’article 176 de la loi organique portant statut de la Polynésie (7) prévoit que le Conseil d’État se prononce sur la conformité des lois du pays polynésiennes au regard non seulement de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux mais aussi des principes généraux du droit.
Les lois du pays polynésiennes sont, par conséquent, des actes administratifs. En Nouvelle-Calédonie, les délibérations du Congrès prises dans des matières législatives, dites lois du pays, ne peuvent plus être contestées après leur promulgation. En revanche, elles peuvent, après avoir fait l’objet d’une nouvelle délibération, être déférées, avant publication, au Conseil Constitutionnel, qui dispose d’un délai de trois mois pour statuer (8) .
Le pouvoir normatif des collectivités locales ultramarines est transformé par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Le pouvoir normatif des départements et régions d’Outre-mer est renforcé.
Outre le pouvoir réglementaire de droit commun, ces collectivités peuvent bénéficier d’un pouvoir normatif d’adaptation et d’un pouvoir normatif de dérogation soit à titre expérimental, soit à titre permanent. Bien que La Réunion ait choisie de ne pas prévoir son évolution institutionnelle dans l’immédiat, rien ne l’empêche de bénéficier de l’expérimentation normative, particulièrement utile aux collectivités territoriales ultramarines.
Les collectivités ultramarines dotées de l’autonomie reçoivent un pouvoir normatif de participation leur permettant d’intervenir, par délégation de l’État, dans la sphère de compétences réservées à celui-ci.
Les collectivités ultramarines offrent une diversité statutaire. Le pouvoir normatif perd en unité et homogénéité. Le droit applicable aux collectivités ultramarines suit l’architecture sur-mesure qu’offre la pluralité statutaire. La révision constitutionnelle institue une modernisation, un droit qui s’adapte aux réalités locales et qui est en phase avec la vie ultramarine.

(Fin)

Altide Canton-Fourrat

(1) Art 73 al. de la Constitution. Ainsi, le juge constitutionnel pourra vérifier que les "adaptations sont justifiées par les caractéristiques et les contraintes particulières de ces collectivités" - par référence à l’article 299 §2 du traité de l’Union européenne.
(2) Art. 73 alinéa 6 de la Constitution.
(3) Conseil constitutionnel - décision 96-373 DC du 9 avril 1996 sur le statut de la Polynésie.
(4) Conseil constitutionnel - décision 2001-454 du 17 janvier 2002 sur la Corse.
(5) Art. 31 de la Loi organique 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.
(6) Conseil constitutionnel - décision 2004-491 du 12 février 2004 relative à la loi du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française.
(7) Loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française.
(8) Art. 104 et 105 de la loi organique n°99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999.


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