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Le régime de protection de l’environnement du continent antarctique

Tribune libre d’André Oraison sur ’le ’gel’ des activités militaires et minières sur le continent antarctique et dans les eaux environnantes’ - 5 -

jeudi 27 janvier 2005, par André Oraison


André Oraison, professeur de Droit public, a étudié le régime juridique du continent antarctique, défini par le Traité de Washington qui assure entres autres sa démilitarisation (voir nos précédentes éditions depuis le samedi 22 janvier 2005). De nouveaux accords portant sur l’exploitation des ressources minières (B) et sur la conservation permanente des ressources biologiques (A) sont venus compléter le Traité de Washington, insuffisant dans ces domaines.


(Page 4)

Le Traité de Washington ne comporte aucune référence au sort des ressources minières de l’Antarctique. Or, pour beaucoup d’États en développement, ces ressources - réelles ou mythiques - devraient profiter aux États les plus défavorisés. Mais d’autres États - comme la France et l’Australie - se sont montrés soucieux d’assurer la protection intégrale de l’environnement antarctique. Ces préoccupations ont conduit à l’établissement de nouveaux traités portant sur l’exploitation des ressources minières (B) et sur la conservation permanente des ressources biologiques (A).

A) La conservation permanente des ressources biologiques

Les eaux environnantes de l’Eldorado antarctique sont riches en ressources vivantes. Or, le problème de la protection de ces ressources n’est pas vraiment envisagé dans le Traité de Washington de 1959. Tout au plus a-t-il prévu, dans son article 9, que les représentants des Parties contractantes doivent se réunir en vue de recommander à leurs gouvernements des mesures "relatives à la protection et à la conservation de la faune et de la flore dans l’Antarctique".
Or, ce problème se pose davantage dans les mers avoisinantes parcourues par une faune diversifiée - céphalopodes, crustacés, grands cétacés, krill, poissons, oiseaux, phoques - que sur le Continent blanc où ne survivent que quelques champignons, insectes et mousses. Pour assurer la protection de l’écosystème marin antarctique, deux traités d’inégale importance visent à compléter le Traité de Washington du 1er décembre 1959.

1. La Convention de Londres du 1er juin 1972 pour la protection des phoques antarctiques

Parmi les traités visant à assurer la conservation des ressources vivantes, il faut mentionner la Convention pour la protection des phoques dans l’Antarctique, signée à Londres le 1er juin 1972 et adoptée par 12 États qui sont eux-mêmes les États signataires du Traité de Washington du 1er décembre 1959 (1).
Entré en vigueur en 1978 et applicable au Sud du 60ème degré de latitude Sud comme le Traité de Washington, ce traité interdit de chasser et de tuer certaines espèces de phoques - notamment le phoque léopard et le phoque austral à fourrure - et impose des limites à la capture d’autres espèces. Toutefois, les quotas annuels ne sont pas toujours respectés par tous les États.

2. La Convention de Canberra sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique

Le deuxième traité a un objet plus général, puisqu’il s’agit de la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (2). Une nouvelle fois, on constate que le système hiérarchique institué par le Traité de Washington du 1er décembre 1959 se retrouve dans cette convention, signée à Canberra le 20 mai 1980 et entrée en vigueur le 7 avril 1982.
D’abord, ce traité a pour objectif "la conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique". Il énonce un principe de conservation qui repose sur le maintien des populations animales à un niveau permettant leur "accroissement maximum annuel net", ainsi que la prévention des "risques de modification de l’écosystème marin qui ne seraient pas potentiellement réversibles en deux ou trois décennies".
Dans un souci d’efficacité, la Convention de Canberra a institué une organisation internationale qui continue à réserver une place privilégiée aux signataires de la Convention de Washington du 1er décembre 1959. Parmi les organismes mis sur pied, il faut citer une "Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines". La Convention crée également un "Comité scientifique" qui est placé auprès de la "Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines". Ainsi, ce traité peut être considéré comme le premier pas vers une gestion collective des ressources biologiques des eaux antarctiques. Dès 1980, on peut ainsi constater avec MM. Patrick Daillier et Alain Pellet une tendance à "l’institutionnalisation du régime de l’Antarctique" (3).
La Convention de Canberra ne s’applique pas seulement au Sud du 60ème degré de latitude Sud, mais encore au Nord de ce parallèle jusqu’à une distance fixée par la Convention elle-même. À ce sujet, MM. Laurent Lucchini et Michel Vœlckel font observer qu’à la demande du gouvernement français, qui est une des Parties à la Convention de Canberra, le Président de la Conférence fit une déclaration annexée à l’Acte final, aux termes de laquelle la France - dans les eaux adjacentes aux archipels Crozet et Kerguelen, situés au Nord du 60ème degré de latitude Sud mais à l’intérieur de la zone d’application de la Convention de Canberra - peut accepter ou refuser les mesures adoptées par la Commission. De même, elle peut accepter ou refuser le système d’observation et d’inspection (4).
La Convention de Canberra de 1980 sur la conservation des ressources biologiques du Continent blanc et des eaux avoisinantes fait désormais partie intégrante du système juridique antarctique. Reste alors la question la plus controversée qui est celle de l’exploitation ou de la non-exploitation des ressources minérales et énergétiques.
Après de nombreux avatars imputables à la Nouvelle-Zélande ou rebondissements provoqués par la France, cette problématique a été résolue par la signature à Madrid le 4 octobre 1991 du Protocole au Traité sur l’Antarctique qui se traduit par une interdiction d’explorer et d’exploiter l’ensemble des ressources minières du "Sixième continent".

B) L’interdiction d’exploiter les ressources minérales et énergétiques de l’Antarctique

Le Traité de Washington du 1er décembre 1959 sur l’Antarctique est lacunaire dès lors qu’il ne comporte aucune référence aux ressources minières. Certes, le Continent blanc est un espace d’intérêt international qui s’étend sur 14 millions de kilomètres carrés. On peut donc raisonnablement penser que son sous-sol recèle - comme les autres continents - des gîtes minéraux ou énergétiques, abondants et variés. Mais nous savons aussi que le continent Antarctique est un territoire unique en son genre.
De fait, 98% des 14 millions de kilomètres carrés de ce continent sont enfouis sous une coupole glaciaire, épaisse en moyenne de 1.700 mètres. Cette glace bouge comme nos modestes glaciers alpins. La vitesse du fluage (déformation lente -NDLR) superficiel de la calotte glaciaire est de quelques mètres par an dans le centre de l’Antarctique. Mais elle peut atteindre plusieurs dizaines ou parfois même plusieurs centaines de mètres dans les régions côtières. Avec ce fluage permanent auquel aucune œuvre humaine ne peut s’opposer, il est impossible de forer des puits permanents. C’est dire qu’en l’état actuel des techniques, il est impossible de savoir de quoi est fait le substrat du continent ! Ainsi, en ce début de 21ème siècle, les richesses minérales de l’Antarctique relèvent du seul domaine des ressources spéculatives.
Sur un autre plan, l’océan Antarctique n’est guère plus accueillant. Cet océan est recouvert d’une banquise - "la mer gelée" - qui couvre une énorme surface pendant la période hivernale et ne fond jamais entièrement, même pendant les deux mois d’été. Il est par ailleurs infesté d’icebergs - des blocs de glace d’eau douce détachés des plates-formes glaciaires - qui dérivent au gré des courants, des marées et des vents. L’océan Austral est enfin balayé par des tempêtes violentes et quasi permanentes. L’ensemble de ces phénomènes naturels représentent des obstacles à la navigation maritime, alors même que le continent Antarctique est très éloigné des régions consommatrices de matières minérales.
Ces conditions défavorables font que l’exploitation des ressources minières et énergétiques de l’Antarctique est impossible dans un avenir prévisible. De surcroît, depuis le 14 janvier 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole de Madrid du 4 octobre 1991, cette exploitation est prohibée pour une période de 50 ans, indéfiniment renouvelable.

(à suivre)

André Oraison

(1) Voir L. Lucchini et M. Vœlckel, “Droit de la Mer”, Tome I, Pédone, 1990, p. 464.
(2) Voir D. Vignes, "La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique", AFDI, 1980, p. 741-772.
(3) Voir P. Daillier et A. Pellet, “Droit International Public”, LGDJ, 2002, p.535.
(4) Voir L. Lucchini et M. Vœlckel, “Droit de la Mer”, Tome I, Pédone, 1990, p. 465-466.


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