Les lois applicables et les juridictions compétentes pour les îles Éparses - 2

Les juridictions compétentes pour les îles Éparses : les tribunaux judiciaires

30 novembre 2005, par André Oraison

Quel est le régime juridictionnel en vigueur dans les îles Éparses ? André Oraison, professeur de droit public à l’Université de La Réunion, nous l’explique ci-dessous dans la suite de sa libre opinion.

Avant l’entrée en vigueur de l’arrêté du 1er avril 1960, les îles Éparses relevaient de la compétence exclusive des juridictions françaises installées sur le territoire de la Grande Île. Mais depuis que les îlots ont été juridiquement détachés de la République autonome de Madagascar, à la veille de son accession à l’indépendance, leur régime juridictionnel a été bouleversé. Il importe ici de dissocier le cas des juridictions administratives (B) et celui des tribunaux judiciaires (A).

A) Les tribunaux judiciaires compétents pour les îles Éparses depuis le 1er avril 1960

Il importe d’abord d’identifier les tribunaux judiciaires compétents à l’égard des îles Éparses au cours de la période qui s’étend de l’entrée en vigueur du décret du 1er avril 1960 jusqu’à l’application de l’arrêté du 3 janvier 2005. Dès lors que les îlots n’ont été intégrés dans aucune collectivité territoriale de la République, il n’existait donc a priori aucune juridiction naturelle pour leurs habitants éventuels.

Néanmoins, la question de leur rattachement à une juridiction s’est posée très tôt à la suite d’un crime commis à Juan de Nova. En l’espèce, un ressortissant mauricien de nationalité britannique, avait été arrêté le 2 janvier 1961 et transféré dans une prison de La Réunion après avoir été pris en flagrant délit d’empoisonnement sur la personne d’un de ses compatriotes. Cette affaire a donné lieu à un règlement de juges. La question qu’avait à résoudre la Cour de Cassation était celle de la détermination de la juridiction compétente en matière criminelle. La Cour a d’abord constaté qu’il n’existait bien en l’espèce - depuis l’entrée en vigueur du décret du 1er avril 1960 - "aucun juge naturel pour les habitants de ce territoire". Elle en a déduit que "le défaut d’existence de toute juridiction doit être assimilé au cas de conflit et au cas où le tribunal compétent ne peut valablement se constituer" puisqu’il est évident que, dans l’un comme dans l’autre cas, "le cours de la justice se trouve interrompu" (1) .

La Chambre criminelle s’est alors reconnue le pouvoir "de désigner la juridiction d’instruction compétente" pour connaître du crime. Après avoir pris acte que la personne accusée du crime commis à Juan de Nova était détenue à la prison de Saint-Denis de La Réunion, elle a tout naturellement désigné - dans son arrêt du 9 février 1961 - "le juge d’instruction au tribunal de grande instance de cette ville" pour informer du chef d’empoisonnement retenu contre l’inculpé Peu de temps après, en vertu d’un décret du 2 février 1962, le Gouvernement a donné compétence - à compter du 1er mars 1962 - aux tribunaux judiciaires relevant de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion pour connaître des litiges concernant les îles Éparses, sur le double plan civil et pénal.

Certes, en vertu de l’arrêté du 3 janvier 2005, l’administration des îles Éparses est désormais confiée au préfet des TAAF. Mais cet événement n’altère en rien la solution traditionnelle selon laquelle les contentieux se rapportant à ces territoires relèvent - sur le double plan civil et pénal - de la compétence des tribunaux judiciaires installés à la Réunion. La même règle s’applique en effet aux litiges de même nature concernant les diverses composantes des TAAF depuis leur détachement de Madagascar et de leur intégration concomitante dans une collectivité territoriale autonome créée par la loi du 6 août 1955. Édicté le 26 juillet 1993, le dernier décret en date donne en effet pour cette collectivité territoriale une réponse claire : "Sauf dispositions contraires, sont territorialement compétentes pour le territoire des Terres australes et antarctiques françaises les juridictions de l’ordre judiciaire ayant leur siège à Saint-Denis de La Réunion".

Ainsi, une éventuelle intégration des îles Éparses dans les TAAF ne modifierait en rien la solution actuellement mise en œuvre. Qu’en est-il alors de la compétence des juridictions de l’ordre administratif à l’égard des îles Éparses (B) ?

(à suivre)

André Oraison

(1) Voir l’arrêt rendu le 9 février 1961 dans l’affaire Sam Anatole ERRIAH in “le Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation”, 1961, n° 84, pp. 161-162.


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