Tribune libre

Nouveau plaidoyer pour l’institution du Congrès des élus départementaux et régionaux à La Réunion

3 juin 2015, par André Oraison

Le Professeur André Oraison a adressé hier aux médias une tribune libre sur un thème d’actualité : l’institution d’un Congrès à La Réunion. Nous la reproduisons ci-après.

Le Professeur André Oraison.

Mardi soir 26 mai 2015, le Sénat de la République a rejeté un important amendement au projet de loi « portant nouvelle organisation territoriale de la République ». L’amendement en question avait été déposé par le Sénateur Paul Vergès avec pour objectif la création d’un Congrès des élus départementaux et régionaux à La Réunion. Or, la classe politique locale est aux abonnés absents car elle n’a toujours pas réagi à ce coup de poignard porté, une nouvelle fois, à notre région monodépartementale. Dès lors, on peut s’interroger et même s’inquiéter : pendant combien de temps encore les élus du département et de la région des Mascareignes accepteront-ils d’être dépourvus d’une instance de concertation stratégique qui existe déjà dans les trois départements français d’Amérique, depuis près de 15 ans ?

Le rejet de l’amendement de Paul Vergès est condamnable dans la mesure où il n’est pas sans conséquences négatives. D’abord, La Réunion reste privée d’un « outil juridique » indispensable qui est expressément reconnu à la Guadeloupe, à la Guyane et à la Martinique. Ce constat est d’autant plus choquant qu’aucun argument de droit ne peut justifier une telle discrimination entre les quatre départements d’outre-mer, créés par la loi de décolonisation du 19 mars 1946. De surcroît, l’absence de Congrès à La Réunion se traduit par une incohérence ubuesque au plan juridique : faut-il rappeler que depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, une révision qui permet désormais à toutes les collectivités territoriales françaises ultramarines d’obtenir des statuts « à la carte », la Constitution de la Ve République permet à tous les DOM – y compris celui de La Réunion – d’opter, s’ils les jugent utiles, pour des changements institutionnels, après consentement des populations locales ? Parmi les changements structurels qui nous paraissent aujourd’hui nécessaires et urgents, en raison de la crise économique et sociale sans précédent que nous connaissons, nous pensons évidemment à la fusion de la région et du département de La Réunion et à l’accroissement des compétences et des moyens financiers de la nouvelle collectivité territoriale [1]. Mais dans les faits, notre région monodépartementale qui résulte de la loi du 31 décembre 1982 se trouve, à l’heure actuelle, dans l’impossibilité de procéder à des tels changements, car elle ne peut obtenir l’accord d’un Congrès qui, par définition, n’existe pas.

Comment alors expliquer cette contradiction ? Pour la comprendre, un flashback s’impose : il convient ici de mettre l’accent, au plan procédural, sur les possibilités de réformes statutaires qui peuvent être envisagées aujourd’hui à La Réunion, dans la mesure où elles sont autorisées et même encouragées par la Constitution. Rénové en 2003, son article 73 a en effet prévu, dans son alinéa 7, « la création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités » [2]. Dans le même alinéa, l’article 73 prend soin d’indiquer que ces réformes, au demeurant alternatives, sont démocratiques : elles ne peuvent être mises en œuvre « sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ».

L’alinéa 2 de l’article 72-4 de la Constitution précise que ce consentement est toujours donné par la voie d’une consultation populaire directe – encore appelée référendum local – à la suite d’une décision prise par le chef de l’État. En voici le contenu : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut décider de consulter les électeurs d’une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif ».

Cependant, le Gouvernement ne peut faire de propositions au Président de la République qu’après avoir obtenu le « feu vert » de la classe politique représentée dans les collectivités territoriales périphériques intéressées par la réforme. Dans cette optique, une loi du 13 décembre 2000, dite « loi d’orientation pour l’outre-mer » (LOOM), avait, en quelque sorte, anticipé le souhait du Constituant de 2003. En application de son article 62, une structure nouvelle et appropriée a été créée dans les régions d’outre-mer comprenant un seul département : il s’agit du « congrès des élus départementaux et régionaux composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux » et expressément habilité pour délibérer sur « toute proposition d’évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l’État vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales » [3].

Par la suite, cette institution du Congrès des élus départementaux et régionaux a été mise à contribution dans les trois départements français d’Amérique : d’abord en Guyane dès le 29 juin 2001, puis à la Guadeloupe le 17 décembre 2001 et enfin à la Martinique le 4 mars 2002. Or, dans les trois cas, le Congrès des élus départementaux et régionaux a statué dans le même sens : il s’est prononcé pour la fusion de la région et du département ou remplacement de ces deux collectivités territoriales de plein exercice par une collectivité territoriale unique, dotée de compétences élargies et de moyens financiers nouveaux [4]. Par la suite, la Guyane et la Martinique ont suivi la décision de leurs Congrès respectifs : chacun de ces deux DOM originaires a opté pour la fusion de la région et du département, lors des consultations populaires organisées le 24 janvier 2010 [5]. Le statut des deux nouvelles collectivités territoriales uniques est désormais fixé par une loi organique du 27 juillet 2011, « relative aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution » [6], et la loi du 27 juillet 2011, « relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique » [7]. Il convient enfin de préciser que les nouveaux statuts de la Guyane et de la Martinique entreront effectivement en vigueur le 4 janvier 2016, c’est-à-dire au lendemain immédiat des prochaines échéances électorales programmées en décembre 2015.

Cependant, la LOOM que nous venons d’évoquer précise elle-même qu’elle n’est pas applicable à La Réunion, au plan statutaire, dans la mesure où les élus réunionnais se sont déclarés attachés « à ce que l’organisation de leur île s’inscrive dans le droit commun » (article 1er). Par la suite, cette option conservatrice – pour ne pas dire « conservationniste » – a été implicitement confirmée par la loi constitutionnelle précitée du 28 mars 2003. Ainsi, l’institution du Congrès n’existe pas à La Réunion.

Néanmoins, à notre humble avis, rien n’empêche le Gouvernement de demander, à titre informel, le « feu vert » de la majorité de la classe politique représentée dans les assemblées délibérantes de la région et du département pour envisager une réforme institutionnelle à La Réunion [8]. Mais en cas de refus des élus locaux de se prononcer sur une telle réforme ou en cas de contradiction entre le vote du conseil régional et celui du conseil départemental, le Président de la République ne pourrait-il pas prendre, lui-même, l’initiative de consulter sur un tel sujet les Réunionnais par la voie référendaire ? Pour les responsables du PCR, une telle possibilité n’est pas à exclure [9]. Mais encore faudrait-il que le chef de l’État en ait la volonté. Or, jusqu’en 2017, rien n’est moins sûr si l’on se réfère aux déclarations de l’actuel Président de la République faites lors de sa visite officielle à La Réunion. François Hollande a en effet déclaré, avec insistance, dans la presse locale, le 22 août 2014 : « Je vais vous faire une confidence. La réforme territoriale a été faite en Outre-mer depuis plusieurs années. À La Réunion, il y a 24 communes pour 800 000 habitants, un Département, une Région. Les Outres-mer ont fait leur réforme territoriale » [10].

Confortée par le silence coupable de la classe politique locale, l’attitude présidentielle qui vise à pétrifier ad vitam æternam le statu quo institutionnel dans le seul DOM de La Réunion est une pure aberration, voire une hérésie. Ceci étant, bravo encore une fois pour le dynamisme et la lucidité intellectuelle du Président d’honneur du PCR qui, en dépit de son insuccès au Sénat, n’a toujours pas fini de nous étonner. Contrairement à la plupart des élus réunionnais, des politiciens qui pensent à la prochain élection, Paul Vergès a une autre dimension : c’est l’homme d’État qui pense déjà à la prochaine génération.

André Oraison, Professeur des Universités, Juriste et politologue

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