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par le Dr Raymond Vergès

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Pouvoir d’adaptation : une avancée sans précédent

Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines - 2 -

mardi 1er février 2005


Deuxième partie de la contribution de la juriste Altide Canton-Fourrat. Après avoir abordé hier l’expérimentation, il est question aujourd’hui de l’adaptation des lois dans les collectivités locales de l’Outre-mer de la République française. D’importants changements surviennent avec la révision constitutionnelle de 2003.


(Page 4)

Ces collectivités soumises, par principe, à l’assimilation législative, sont désormais dotées d’un pouvoir normatif local extensif visant à l’adaptation des normes nationales et à l’élargissement du pouvoir normatif local permettant l’adoption des normes dérogatoires aux normes nationales.

1 - Un pouvoir d’adaptation

L’adaptation des lois pour les départements et désormais les régions ultramarines est conçue de manière beaucoup plus souple, en fonction des caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. De manière beaucoup plus significative, par dérogation au principe d’unité législative, le nouvel article 73 précise que ces collectivités peuvent être habilitées par la loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un certain nombre de matières pouvant relever du domaine de la loi.
Les institutions propres à chaque collectivité pourront être consultées sur la ratification ou l’approbation d’engagements internationaux conclus dans les matières relevant de sa compétence.
Une loi organique devant préciser les conditions et le cadre de cette habilitation. Cinq étapes sont franchies avant d’arriver à l’exercice du pouvoir normatif local (1)  : une loi constitutionnelle, une loi organique, une demande de la collectivité territoriale, l’habilitation législative, pour arriver, enfin, à la mesure d’adaptation.
La décentralisation du pouvoir d’adaptation est apparue indispensable dans la mesure où l’adaptation par l’État du droit applicable dans les collectivités ultramarines ne répondait pas aux nécessités locales.

2 - Le pouvoir normatif de dérogation

Par dérogation au principe d’assimilation législative et afin de tenir compte de leurs spécificités, les départements et régions ultramarins peuvent être habilités à fixer eux-mêmes les règles applicables à leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever de la loi (2) . Seuls les territoires d’Outre-mer, avant la révision constitutionnelle, pouvait user de tels procédés. Admettre une telle avancée au profit des départements et régions ultramarins qui relèvent de l’assimilation législative est sans précédent.
Ici, le pouvoir normatif local ne se contente plus d’une simple adaptation de lois nationales. Il s’agit d’un véritable transfert de compétence normative au profit de la collectivité dès lors que l’article 73 prévoit que les collectivités de l’article 73 auront, après habilitation législative, la possibilité d’édicter des règles dans le domaine de la loi. Or, la loi relève de la compétence de l’État.
C’est une exception lourde de conséquences.
Cette situation est caractéristique d’une logique d’autonomie juridique, au sens de la capacité pour une collectivité de se doter de ses propres règles, en rupture avec la logique de décentralisation traditionnelle, et de répartition unitaire des compétences par l’État. Il en résulte un bouleversement de l’architecture unitaire traditionnelle.
Cet article énumère, par ailleurs, les domaines dans lesquels cette substitution législative ne pourra pas être opérée - ils correspondent aux grands domaines tels que la nationalité, les droits civiques, la justice, la politique étrangère, la défense, la monnaie ; tout ce qui concerne les pouvoirs régaliens de l’État.
L’autonomie locale peut apparaître, dans ce cas, comme une compétence de principe et les compétences étatiques comme une énumération de compétences d’attribution, spécifiquement soustraites aux collectivités concernées.

3 - La situation adoptée par La Réunion

Par choix, le département et région de La Réunion ne bénéficient pas d’un pouvoir normatif de dérogation. Toutefois, dans l’attente d’une décision d’évolution qui ne tardera certainement pas à intervenir, dans les mois qui viennent, le pouvoir normatif expérimental peut être un outil efficace dans la perspective d’une évolution interne.

B - Le pouvoir normatif des collectivités ultramarines (article 74)

Les collectivités ultramarines soumises aux dispositions de l’article 74 de la Constitution peuvent bénéficier de transfert de compétences de l’État relevant du domaine de la loi, à l’exception des compétences régaliennes (3) . Les anciens territoires devenus collectivités d’Outre-mer conservent les compétences qui leur étaient reconnues avant la révision constitutionnelle de 2003. Mayotte est soumise aux dispositions de l’article 74.
Cependant, cette collectivité départementale demande à bénéficier de l’assimilation législative. Elle est appelée à devenir département ultramarin. Tout porte à croire que cette collectivité ne demandera pas à bénéficier d’un pouvoir normatif local susceptible de favoriser l’écart avec la France métropolitaine.
Depuis le vote de la loi organique du 27 février 2004 (4) portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cette dernière devient une collectivité ultramarine dotée de l’autonomie. Elle bénéficie d’un transfert de compétences beaucoup plus large. Son pouvoir normatif est beaucoup plus important et mieux structuré. Il connaît, outre celui de droit commun des collectivités ultramarines soumis aux dispositions de l’article 74, deux particularités.
La loi organique détermine les conditions dans lesquelles la collectivité peut prendre en faveur de sa population des mesures justifiées par les nécessités locales en matière “d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier”. Ce qui constitue une dérogation aux principes constitutionnels (5) (principes d’égalité, droit de propriété, liberté d’entreprendre).
La loi organique peut déterminer les conditions dans lesquelles la collectivité participera, sous le contrôle de l’État, à l’exercice des compétences qu’il conserve dans le respect des garanties accordées sur l’ensemble du territoire pour l’exercice des libertés publiques.
La loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française met en application les dispositions des alinéas 10 et 11 de l’article 74 de la Constitution révisée.
Malgré cette accentuation de la décentralisation, la France demeure un État unitaire. Par conséquent, tout est mis en œuvre afin de coordonner l’exercice du pouvoir normatif dans le cadre de la République française.

(à suivre)

Altide Canton-Fourrat

(1) François Luchaire - Décentralisation et Constitution - Éditions Économisa 2003, Paris.
(2) Article 73 alinéa 3 de la Constitution - depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
(3) Article 74 alinéa 4 de la Constitution révisée en 2003.
(4) Loi organique du 27 février 2004 op. cit.
(5) André Roux - Le pouvoir normatif - L’Outre-mer français - La nouvelle donne institutionnelle - Documentation française - Études - 2004 sous la direction de JY Faberon.


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