Tribune libre d’André Oraison sur ’le ’gel’ des activités militaires et minières sur le continent antarctique et dans les eaux environnantes’ - 6 -

Protection du continent antarctique : le Protocole de Madrid

28 janvier 2005, par André Oraison

Les conditions climatiques défavorables de l’Antarctique font que l’exploitation de ses ressources minières et énergétiques est impossible. De plus, depuis la date d’entrée en vigueur du Protocole de Madrid, cette exploitation est prohibée pour une période de 50 ans, indéfiniment renouvelable. André Oraison, professeur de Droit public, nous précise ici le contenu de cet important Protocole (2), ainsi que sa genèse (1).

(Page 4)

1. La genèse du Protocole de Madrid

Des propositions en vue de réglementer l’exploitation des ressources minérales de l’Antarctique et d’empêcher toute atteinte à son environnement ont été faites, au début de la décennie "80", par certaines Parties consultatives du Traité de Washington du 1er décembre 1959, notamment par la Nouvelle-Zélande. Ces suggestions devaient aboutir à la signature le 2 juin 1988 de la Convention de Wellington sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique (1).
La Convention de Wellington du 2 juin 1988 institue un régime de liberté de prospection des ressources minérales de l’Antarctique, sous réserve d’un mécanisme de parrainage étatique permettant la mise en œuvre d’une responsabilité objective. Exploration et exploitation des ressources naturelles de l’Antarctique sont en principe prohibées.
Ces activités peuvent néanmoins être autorisées lorsque deux conditions sont réunies.
Il faut d’abord qu’une Commission des ressources minérales de l’Antarctique définisse "une zone pour d’éventuelles activités d’exploration et d’exploitation" après avis d’un Comité Scientifique, technique et écologique consultatif. Il faut ensuite qu’un Comité de la Réglementation des Ressources minérales de l’Antarctique délivre un permis minier d’exploration et d’exploitation.
Ainsi, après la Convention de Canberra relative à la conservation des ressources biologiques de l’Antarctique, la Convention de Wellington comprenait un important volet institutionnel. Dans son article 62, la Convention de Wellington prévoyait en outre un moratoire interdisant toute activité minière en Antarctique tant que les seize Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique, recensées au moment de sa signature (dont la France), n’auraient pas ratifié le Traité.
De fait, la Convention de Wellington du 2 juin 1988 n’a jamais pu entrer en vigueur du fait du refus catégorique de la France qui appela - dès le printemps 1989 - les autres Parties consultatives prévues par le Traité de Washington de 1959 à de nouvelles négociations.
La position française fut bientôt reprise par l’Australie. Lors de la quinzième Réunion ordinaire des Parties consultatives qui a siégé à Paris du 9 au 19 octobre 1989, les délégations française et australienne ont derechef et officiellement exprimé leur opposition radicale à toute idée d’exploitation des richesses minérales de l’Antarctique.
Au contraire, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont refusé - dans un premier temps - l’interdiction définitive des activités minières en Antarctique. Un nouveau clivage important a alors surgi entre les États dits "conservationnistes" et les États "anti-conservationnistes".

Le combat "conservationniste"

À la pointe du combat "conservationniste", un groupe de 4 pays constitué en octobre 1990 - Australie, Belgique, France, Italie - exigeait une protection rigoureuse de l’environnement sur l’Antarctique et une longue période de prohibition des activités minières - fixée à 60 ans -, ainsi qu’une procédure très rigide pour décider son éventuelle levée à l’expiration de ce délai.
Dans le camp opposé qui comprenait l’Argentine, les États-Unis et l’Uruguay, la Grande-Bretagne apparaissait comme le leader des pays "anti-conservationnistes". Elle proposait que le moratoire ne dépassât pas 20 ans et qu’à la survenance de son terme, l’interdiction fût automatiquement levée. Elle suggérait également que les Parties se réunissent avant la fin du délai de prohibition pour tenter de définir le futur régime d’exploitation des ressources minières de l’Antarctique. Elle souhaitait enfin que chaque État puisse recouvrer sa liberté en cas de désaccord persistant.
De plus en plus nombreux après le ralliement à leurs thèses de pays comme l’Allemagne et le Japon, les États conservationnistes ont eu gain de cause avec la signature à Madrid, le 4 octobre 1991, du Protocole au Traité sur l’Antarctique, relatif à la protection de l’environnement et des écosystèmes dépendants et associés dans cette région.

2. Le contenu du Protocole de Madrid

Entré en vigueur le 14 janvier 1998 à la suite de sa ratification par l’ensemble des Parties consultatives (la dernière en date étant celle du Japon, intervenue le 15 décembre 1997), ce traité se présente comme un prolongement du Traité de Washington du 1er décembre 1959 et s’applique, comme ce dernier, à la zone située au sud du 60ème degré de latitude Sud (2).
L’objectif du Protocole de Madrid est fixé dans son article 2, ainsi libellé : "Les Parties s’engagent à assurer la protection globale de l’environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés".
Pour protéger l’Antarctique et ses eaux environnantes, le Protocole de Madrid impose une série d’obligations aux Parties contractantes dans des annexes, portant sur la conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique et la prévention de la pollution marine.
Son article 2 renvoie par ailleurs à un article 7 qui substitue au principe d’autorisation contenu dans la Convention mort-née de Wellington du 2 juin 1988 un principe de prohibition en matière d’exploitation minière. Proposée par la France, cette disposition fondamentale du dispositif mis en place est elle-même rédigée en termes péremptoires : "Toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique, est interdite".
À l’occasion, un important système institutionnel est mis en place par le Protocole : il implique des Réunions consultatives du Traité sur l’Antarctique et un Comité pour la protection de l’environnement en Antarctique ainsi que le recours à des inspections ponctuelles. Dans son article 10, le Protocole a prévu que les Réunions consultatives du Traité sur l’Antarctique définissent "la politique générale de protection globale de l’environnement en Antarctique" et adoptent les mesures relatives à la mise en œuvre du Protocole, conformément à l’article 9 du Traité sur l’Antarctique.
Les Réunions consultatives agissent avec l’aide d’un Comité pour la protection de l’environnement, en vertu d’un article 11. Quant à l’article 14 du Protocole, intitulé "Inspection", il décide que les Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique prennent "des dispositions pour procéder à des inspections qui seront effectuées par des observateurs conformément à l’Article VII du Traité sur l’Antarctique".

Droit de veto

Dans son article 25, le Protocole de Madrid prévoit l’interdiction de toute exploitation minière sur le "Continent blanc" pendant une période de 50 ans à compter de la date de son entrée en vigueur - intervenue le 14 janvier 1998 -, sauf accord unanime des Parties consultatives. On peut donc déjà prédire - compte tenu de la position pérenne de pays environnementalistes comme la France et l’Australie - que tout activité relative à l’exploitation des ressources minérales et énergétiques est bien interdite en Antarctique, au moins jusqu’au 14 janvier 2048 !
Par ailleurs, l’article 25 du Protocole précise, dans son paragraphe 2, que la levée éventuelle de l’interdiction des activités minières au-delà de la période de cinquante ans implique une procédure très stricte. Il appartient d’abord à une des Parties consultatives de demander la convocation d’une conférence de révision du Protocole du 4 octobre 1991.
Dans son paragraphe 3, l’article 25 décide ensuite que tout amendement proposé au cours d’une telle conférence doit être adopté à la majorité des Parties, "y compris les trois-quarts des États qui sont Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique au moment de l’adoption du présent Protocole".
Enfin, l’article 25 exige - dans son paragraphe 4 - que cet amendement ne pourra entrer en vigueur qu’après avoir été ratifié par "les trois-quarts des Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique", y compris la totalité des États qui sont Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique lors de l’adoption du Protocole de Madrid. C’est dire que chacune des 26 Parties consultatives recensées au 4 octobre 1991 - dont une nouvelle fois la France - se voit reconnaître un droit de veto (3) !
Il faut encore préciser avec M. Jean-Pierre Puissochet que "cette levée ne pourrait en tout état de cause intervenir qu’à condition que soit en même temps établi un régime définissant les conditions d’exercice des activités minières" (4). Le Protocole de Madrid peut ainsi être interprété comme un nouveau "gel" - gel des activités minières - 32 ans après "l’hibernation" du contentieux territorial antarctique en 1959 !

(à suivre)

André Oraison

(1) Voir le contenu de cette Convention in RGDIP, 1989/1, p. 182-250.
(2) Voir le contenu du Protocole de Madrid du 4 octobre 1991 in RGDIP, 1992/1, p. 207-245.
(3) Voici la liste de ces 26 Parties consultatives : Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Chili, Chine, Corée du Sud, Équateur, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grande-Bretagne, Inde, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Suède, Union soviétique (aujourd’hui remplacée par la Russie) et Uruguay.
(4) Voir J.-P. Puissochet, "Le Protocole au Traité sur l’Antarctique, relatif à la protection de l’environnement (Madrid, 4 octobre 1991)", AFDI, 1991, p. 765.


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