La citoyenneté dans les collectivités ultramarines de la République française : de l’unité nationale au pluralisme juridique ! -1-

Une citoyenneté pluri-culturelle

25 octobre 2004

Juriste depuis 21 ans, Altide Canton-Fourrat fait actuellement une thèse en Droit public à l’Université René Descartes à Paris sur le thème de la France et des collectivités ultramarines. Elle travaille également à Compétence & Performance, un institut de hautes études en Droit. À partir d’aujourd’hui, elle propose une série d’articles sur le droit Outre-mer. Nous commençons par la notion de citoyenneté Outre-mer.

La citoyenneté n’a pas bénéficié d’une acception juridique propre (1). Le traité de Maastricht instituant la citoyenneté européenne décrit les critères d’exercice de la citoyenneté ainsi que les droits qui y sont attachés (2). Cette énumération n’a pas été précédée d’une définition de la citoyenneté. Est citoyen européen, toute personne ayant la nationalité de l’un des États membres (art. 8). Cette citoyenneté est attenante à la nationalité. La notion de citoyen est utilisée dans différentes conditions. Elle se confond souvent avec la nationalité. La nationalité est l’appartenance à une Nation. La Nation est identifiée au peuple. Le peuple est le corps politique de la Nation.

La citoyenneté affirme l’appartenance d’un individu à une communauté politique organisée. L’individu participe à la vie de la cité. La citoyenneté étant, par essence, universelle ; tous les individus ont vocation à être citoyens par-delà leurs différences.

Un statut politique

La citoyenneté est une valeur de la République. La notion moderne du citoyen français remonte à la Révolution française de 1789 qui a transformé les sujets du royaume en citoyens de la République. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 définit le citoyen comme celui qui participe à la formation de la volonté politique du corps social. La citoyenneté confère un statut politique dans la mesure où elle permet à l’individu de participer à la vie politique, par le vote. Elle est, par ailleurs, source de lien social ; l’individu fait corps avec la collectivité des citoyens réunis dans la Nation.

Les citoyens français forment le peuple français. Le peuple français est la Nation française ; et seul celui-ci est détenteur de la souveraineté nationale. La Nation est l’une des composantes de l’État avec lequel elle fait corps ; d’où l’appellation de l’État-Nation. Fondement de la légitimité et de la légalité révolutionnaire, la Nation est à l’origine de l’État. Le discours de l’abbé Siéyès en dit long sur le sujet. "La Nation existe avant tout, elle est l’origine de tout. Sa volonté est toujours égale, elle est la loi elle-même. Avant elle et au-dessus d’elle il n’y a que le droit naturel..." (3). Depuis 1848, la définition de la citoyenneté prend en compte les droits-libertés, garantissant les droits des citoyens contre les empiétement de l’État et les droits de créances (droit au travail, à l’instruction...).

Cumul de citoyennetés

L’exercice de la citoyenneté peut être sujet à difficulté dans un État où le peuple est un agrégat de populations avec des cultures, de langues différentes, des pratiques diversifiées. C’est le cas de l’État français dans ses relations avec les populations habitant les collectivités ultramarines.
À la citoyenneté française purement et simplement peuvent se greffer d’autres citoyennetés locales, auxquelles s’ajoute la citoyenneté de l’Union européenne (4). Cette dernière a un caractère supplétif (5) dès lors où elle est associée à la nationalité des ressortissants des États membres. Ce cumul de citoyennetés n’est pas nouveau, l’institution de l’Union française avait superposé deux citoyennetés. Elle a permis à des ressortissants des territoires et États associés à la France dans l’Union, donc des non nationaux, de bénéficier de la citoyenneté française. La citoyenneté de l’Union française permit de découpler citoyenneté et nationalité en faisant accéder les deux dernières catégories aux droits et libertés garantis par le préambule de la constitution de 1946, lequel n’incluait pas le droit de suffrage en France. Le droit de suffrage des ressortissants des territoires et États associés était exclu.

Dans la France ultramarine, la question de la citoyenneté est de tout temps sujet à discussion. La notion est évolutive. L’assimilation des départements ultramarins aux départements métropolitains a différé les revendications relatives à la citoyenneté. Cependant, elles demeurent sous-jacentes. Lorsqu’elles se manifestent, elles revêtent différentes formes : identitaire (6), culturelle (7), politique. Des précisions s’avéraient nécessaires quant aux anciens territoires d’Outre-mer.

Dès la mise en place des institutions, l’application de la citoyenneté française dans les territoires d’Outre-mer a rencontré des difficultés du fait que les éléments de droit privé étaient considérés comme essentiels et inséparables du statut du citoyen. Dans ces conditions, la jurisprudence ne pouvait se résoudre à considérer comme citoyens français les autochtones qui n’étaient pas soumis au droit civil français. Les textes qui organisaient l’accession individuelle des autochtones à la citoyenneté française subordonnaient cette accession à la renonciation expresse des intéressés à leurs statuts privés traditionnels, et à leur totale adhésion à la loi française. L’ordonnance du 24 mars 1945 disposait que "les indigènes des Établissements français d’Océanie sont citoyens français". Une ordonnance du 22 août 1945 a limité l’électorat à certains Mélanésiens : anciens combattants, chefs coutumiers, pasteurs et moniteurs d’enseignement (8). Ce sujet était controversé jusqu’en 1946.

Lors de la préparation de la première constitution du 19 avril 1946 rejetée le 5 mai par le corps électoral, le problème de l’extension de la citoyenneté française aux territoires d’Outre-mer avait été posé. M. Malbrant, à l’intérieur de la commission Constitution, s’opposa contre l’extension de la citoyenneté française dans les territoires d’Outre-mer. Il rappela, en ces termes, le point de vue du Gouvernement général Eboué : "L’indigène a ses lois, son comportement, sa patrie qui ne sont pas les nôtres. Nous ne ferons son bonheur ni avec les principes de la Révolution, ni avec ceux du code Napoléon, ni en substituant nos fonctionnaires à ses chefs. Au lieu de faire des indigènes des Français, nous nous attacherons, sans démagogie, à les transformer d’abord en excellents citoyens de leur propre pays".

Statut personnel et local

La loi Lamine-Gueye du 7 mai 1946 n’a pas suivi ce discours. Elle a conféré la citoyenneté française aux ressortissants des territoires d’Outre-mer, au même titre que les nationaux. Cependant, l’exercice des droits du citoyen sera régi par des lois particulières. La constitution de 1946, en son article 80, a confirmé cette situation juridique. La citoyenneté n’est pas liée au statut civil de Français. Les citoyens français ultramarins conservent leur statut personnel et local. Par conséquent, les droits contenus dans cette citoyenneté diffèrent de ceux de la citoyenneté métropolitaine. Ces droits varient d’un territoire à l’autre (9). Il s’agit, selon un éminent juriste, d’une citoyenneté pluri-culturelle (10).

La citoyenneté ultramarine implique, en droit positif, l’appartenance à la Nation française. Elle participe à l’unité nationale. Cette appartenance est contenue dans la pluralité de régime législatif incluse dans la Constitution de 1958, notamment les articles 72 et suivants. Par ailleurs, la citoyenneté tient compte de l’identité législative des départements ultramarins et de la spécialité législative des autres collectivités ultramarines.
Cette citoyenneté, constitue, à la réflexion, une forme irréductible de la conscience politique, à partir de laquelle peut se définir un lien social qui ne soit pas le seul agrégat de volontés atomisées, et même un bien commun si tant est que le bien collectif ne peut être énoncé in abstracto mais doit être référé à une société particulière hic et nunc . La citoyenneté est ici une sorte de spécificité, une mémoire, une restauration des justes intérêts d’une collectivité qu’un État a asservi. L’exercice des fonctions découlant de cette citoyenneté peut être un facteur de différenciation effective par le recoupement de plusieurs citoyennetés qui s’exercent à des degrés différents.


A- La citoyenneté, ciment de l’unité nationale

La citoyenneté est un facteur de rapprochement. Cette assertion est consignée dans la constitution. Elle est, par ailleurs, particulièrement dans les sociétés ultramarines, un facteur incitant au pluralisme.

1- La citoyenneté, ciment de l’unité nationale

La France est une République indivisible... Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.(art.1) ... Le principe de la République est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. (art. 2). La souveraineté nationale appartient au peuple. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice... Le suffrage est toujours universel, égal et secret. (art. 3) telles sont les dispositions des articles 1 à 3 de la constitution relatives à l’exercice de la citoyenneté.

La citoyenneté est comprise dans un contexte global. Les droits du citoyen s’exercent dans le cadre de l’État-Nation. Ceci s’oppose à la reconnaissance des droits collectifs à quelque groupe que ce soit. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître l’existence du peuple Corse, composant du peuple Français (11). De même, il a été jugé contraire à la constitution, notamment l’article 2, la Convention européenne des langues régionales ou minoritaires qui institue un particularisme dans l’emploi des langues régionales au sein de l’État Français (12). Le Conseil constitutionnel veille à l’uniformisation politique résultant d’un statut constitutionnel dominé par la citoyenneté française. En effet, les citoyens français, métropolitains et ultramarins, participent à l’exercice de la souveraineté nationale et contribuent, chacun, à l’unité de la Nation, siège de l’identité politique dont l’État français exerce la gestion souveraine (13).

Cependant cette unité constitutionnelle qui est de nature politique est distincte de l’unité juridique. La Constitution prévoit un traitement différencié. Ainsi le préambule de la Constitution fait état de peuple d’Outre-mer. L’article 72-3 reconnaît l’existence de populations particulières. L’article 73 énonce le principe de l’identité législative entre les départements ultramarins et métropolitains. Cependant, le traitement différencié est prévu par l’adaptation. L’article 74 maintient la spécialité législative pour les autres collectivités ultramarines. Selon les dispositions de l’article 75, les citoyens qui ont un statut personnel peuvent le conserver tant qu’ils n’y ont pas renoncé. Le titre XIII est consacré à la Nouvelle Calédonie. Cette dernière collectivité constitue une situation extrême d’une citoyenneté particulière dont l’exercice est sévèrement limité au sein de la Nation française

2 - La citoyenneté : un facteur de pluralisme

Dans le cadre de l’exercice de la citoyenneté à plusieurs étages, les collectivités ultramarines permettent le pluralisme. Ce pluralisme manifeste une dynamique propre à répondre à des demandes politiques et juridiques précises. En effet, des revendications en provenance de la Corse sont distinctes de celles de Mayotte. La Polynésie française a des revendications qui vont vers une plus grande autonomie. Or nous savons que l’autonomie implique le transfert de compétences conséquentes au profit d’une collectivité. Jusqu’où ira cette autonomie dans la gestion de la citoyenneté ? Ses aspirations ne présentent pas de similitudes conséquentes, malgré la proximité, avec les projets d’indépendance future de la Nouvelle Calédonie. Quant à Wallis et Futuna, véritable territoire d’Outre-mer, des projets institutionnels sont en cours d’élaboration.

Les collectivités ultramarines bouillonnent de revendications : identitaires pour la Guadeloupe et la Martinique, institutionnelles et identitaires pour la Guyane, idem pour La Réunion. Seul le pluralisme juridique permet de répondre à leurs attentes.
Ce pluralisme juridique existe dans toute société démocratique (14) qui produit des normes à la représentation de la majorité de la population (15) et dans le respect des procédures d’adoption de la règle (16). La démocratie, est, dans ce contexte, formelle. Elle ne peut ignorer l’existence d’autres normes non-formelles sous peine d’exclure des groupes minoritaires. Or, ces groupes, entourés de leurs cultures et coutumes non écrites, font partie intégrante du peuple, élément de l’État souverain. La démocratie implique le pluralisme juridique, qu’il ne faut pas confondre avec le pluralisme étatique au sein d’un État unitaire ; dès lors où le fondement de cette démocratie est le bon fonctionnement de l’appareil étatique et que l’une des préoccupations de l’État, dans ce contexte, est de coordonner la gestion de la Nation avec ses cortèges de populations différenciées. Le pluralisme, dans ce cas, permet la cohésion entre les différents groupes sociaux en quête de reconnaissance identitaire voire statutaire.

La citoyenneté peut être porteuse d’éléments de différenciation a des degrés plus ou moins prononcés.

(à suivre)

Altide Canton-Fourrat

(1) Danièle Lochak - La citoyenneté : un concept juridique flou - Citoyenneté et Nationalité - Perspective en France et Québec - Paris PUF 1991 Dir. D. Colas et al.
(2) Traité sur la Communauté européenne signé le 07 février 1992 - entré en vigueur le 01 novembre 1993 article 17 "Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas". Le contenu de la citoyenneté est donné par les articles 8 et suivants énumèrent les droits dont bénéficient les citoyens européens. Ainsi, ils bénéficient de la libre circulation et de séjour sur le territoire des États membres. Ils ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où ils résident. Ils ont le droit de vote d’éligibilité au Parlement européen...
(3) Pasquale Pasquino - Siéyès ou l’invention de la constitution en France - Édition Odile Jacob
(4) Traité de l’Union européenne 1992 - sus mentionné
(5) M. Gohin - La citoyenneté dans l’Outremer français - Revue française d’administration publique - N° 101 - janvier/février 2002 -
(6) Jean Pierre Doumenge - Diversité culturelle et construction des identités collectives outremer Éditions Hermès CNRS 32-33 2002
(7) Jean Paul Révauger - Protection sociale et débat identitaire aux Antilles Éditions Hermès CNRS ...
(8) M. Gohin - précité
(9) Gaston Flosse - Identité, nationalité citoyenneté outre-mer - Éditions CHEAM dir. J.Y. Faberon et Y Gauthier - 1999
(10) Pr François Borelle - Nationalité e citoyenneté en droit français in l’État de droit - dir. Dominique Colas - PUF Questions 1987
(11) Conseil constitutionnel, décision du 9 mai 1991
(12) Conseil Constitutionnel 15 juin 1999 - décision 99-415
(13) Olivier Gohin - précité
(14) Pr Oscar Corréas - Université de Puebla (Mexique) - Travaux sur le pluralisme alternative en Amérique Latine...
(15) John Locke - Traité de deux gouvernements
(16) Kelsen - Théorie pure du droit.


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