Le 5 mai 1944, le Docteur Raymond Vergès fonda Témoignages
78 ans de Témoignages : la lutte continue plus que jamais
5 mai 2022, par
Ce 5 mai 2022 marque le 78e anniversaire de la fondation de votre journal Témoignages. C’est le plus ancien média de La Réunion, il fut créé par le Docteur Raymond Vergès quand La Réunion était une colonie. Il avait pour but d’être un outil au service de la transformation de notre île, une vocation qui ne s’est jamais démentie et qui est toujours nécessaire. Témoignages entame sa 79e année d’existence, toujours sous le signe de la lutte qui continue. Longue vie à Témoignages, et en route vers le centenaire en 2044.
Le 5 mai 1944, Témoignages fut fondé à Saint-Denis par le Docteur Raymond Vergès avec le soutien de militants. La Réunion était encore une colonie, et cela faisait presque 5 ans que la guerre avait commencé. A ce moment, elle était encore loin d’être terminée. La France était toujours intégralement occupée, et était dirigée depuis près de 4 ans par l’extrême droite arrivée au pouvoir à la suite d’un vote d’une majorité de députés et sénateurs qui sabordèrent la République. En 1940, le gouverneur de La Réunion et les représentants de la classe dominante avaient choisi de faire allégeance à ce pouvoir d’extrême droite : « l’État français ». Les Réunionnais en payèrent alors le prix fort. Notre île fut en effet soumise à un blocus par la flotte britannique. La Réunion ne pouvait plus rien importer et la misère s’installa. En novembre 1942, La Réunion fut libérée. A ce moment, l’armée de l’Allemagne nazie et ses alliés des autres gouvernements d’extrême droite étaient à Stalingrad, assiégeaient Leningrad et occupaient donc quasiment toute l’Europe à l’exception des pays neutres, tandis que l’Empire du Japon contrôlait une grande partie de l’Est de la Chine, l’Asie du Sud-Est et de nombreuses îles du Pacifique. La guerre continuait ainsi que ses restrictions. Ceci provoqua la mort de nombreux Réunionnais en raison de la malnutrition et des maladies.
Fondation
C’est dans ce contexte de grande pénurie que fut créé notre journal. Tout manquait à La Réunion, notamment le papier. Témoignages se limitait à l’origine à un recto-verso qui paraissait une fois par semaine. Beaucoup de Réunionnais étaient alors analphabètes en raison du manque d’écoles. Il n’existait alors qu’un seul lycée de garçons et un collège de filles pour 250.000 habitants. Autant dire que Témoignages, comme les autres presses, s’adressait donc à un public restreint, mais son rayonnement allait bien au-delà. Témoignages était un héritier des luttes menées avant-guerre pour sortir La Réunion du statut colonial. Exprimée en particulier sous le Front populaire, la revendication était alors la citoyenneté : égalité des droits avec les habitants de la France. Cela se traduisait à La Réunion par un mot d’ordre mis en avant dans les manifestations : Réunion département français.
Raymond Vergès avait été chef du service de la Santé et maire de Salazie. Il était un des rares médecins de La Réunion et avait décidé de proposer gratuitement ses services aux plus démunis. Avant la guerre, il était le dirigeant de la Fédération du Travail de La Réunion, grande confédération syndicale affiliée à la CGT. Autour de Raymond Vergès se trouvaient notamment des militants appartenant à la classe aisée qui avaient choisi, comme lui, de se mettre au service de la classe des opprimés. Le principal rédacteur était alors Henri Lapierre, le professeur de philosophie du seul lycée de La Réunion. Les plus anciens se rappellent qu’il rédigeait ses articles assis sur le pas de la porte du journal à Saint-Denis.
Les premiers combats
Témoignages avait un but politique : soutenir la revendication de département français. Il était alors un instrument au service de la création d’un large rassemblement organisé autour des syndicats qui créèrent la CGT à La Réunion, et de la Ligue des droits de l’Homme : le Comité républicain d’action démocratique et sociale, CRADS, fondé en 1945. Ses contours allaient bien au-delà du Front populaire, c’était un Front de libération militant pour la décolonisation de La Réunion, comprenant des personnalités qui seraient aujourd’hui classées à droite.
Ce Front de libération atteint son objectif en remportant les élections législatives d’octobre 1945 : les deux députés de La Réunion, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, étaient issus de ses rangs. Ils se mirent aussitôt au travail à Paris et joignirent leurs forces avec celles des députés progressistes des Antilles et de la Guyane pour obtenir le vote à l’Assemblée de la loi de décolonisation du 19 mars 1946, grâce à l’appui du Parti communiste qui composait alors le plus important groupe parlementaire. En novembre 1947 fut ensuite fondée à Saint-Denis la première organisation communiste du pays : la Fédération départementale communiste, intégrée au PCF. La Fédération s’appuyait sur les structures du CRADS et prit alors la responsabilité de faire de Témoignages son journal.
Un survivant de la répression
12 ans plus tard, La Réunion était toujours un des pays les plus pauvres du monde. A la place de la décolonisation, Paris avait imposé une départementalisation réactionnaire. Sur la base de cette analyse, les communistes décidèrent alors de revendiquer l’autonomie de La Réunion, et de créer un nouvel outil au service de cette cause : la Fédération devint le Parti communiste réunionnais le 18 mai 1959. Témoignages fut alors l’organe central de ce parti.
Toute la vie du PCR s’organisait autour d’un journal devenu quotidien qui était, comme les militants du Parti, une cible privilégiée de la répression du pouvoir. Cela fut notamment marqué par la condamnation à de la prison ferme de Paul Vergès pour délit de presse, en tant que directeur de Témoignages. Un autre directeur, Bruny Payet, fut condamné à la saisie de tous ses biens. Témoignages survécut à 47 saisies. Le journal était alors la seule voie alternative au pouvoir, et tout comme avec le PCR se noua alors un profond attachement avec la population victime du système néocolonial mis en œuvre par Paris. C’était le temps des distributions militantes et de la Fête de Témoignages.
Reconnaissances internationales
Nombreuses furent et sont les causes défendues par Témoignages. Elles épousent les combats des communistes réunionnais rassemblés dans le PCR. Cet engagement sans faille sur des questions essentielles pour l’humanité, comme le changement climatique, vaut à notre journal une reconnaissance internationale. En 2009 à la Conférence de l’ONU sur le climat de Copenhague, Témoignages fut un des 20 médias au monde sur plusieurs milliers présents à la COP15 à avoir une accréditation pour entrer dans la salle plénière où siégeaient les délégations de plus de 190 pays.
Témoignages est également le seul média qui publie quotidiennement un édito en créole réunionnais. Le Oté de Justin constitue une bibliothèque de textes sans équivalent dans la langue maternelle du peuple réunionnais. C’est à travers Témoignages que des lecteurs du monde entier peuvent reconnaître l’existence d’une langue réunionnaise bien vivante.
L’œuvre de plusieurs générations
Comme les autres journaux, Témoignages fut touché de plein fouet par la crise de la presse écrite. Son engagement politique et la taille de sa structure ont accentué les difficultés. Malgré tout, il réussit le tour de force de ne pas disparaître en 2013 et propose chaque jour une édition web agrémentée d’un PDF apprécié par les plus anciens d’entre nous qui l’impriment pour avoir dans les mains une édition papier qu’ils peuvent lire n’importe où.
Les fondateurs de Témoignages nous ont tous quittés. La génération suivante animée par Paul Vergès et Bruny Payet sut également transmettre le flambeau. Puis, pour ne citer que quelques rédacteurs, Georges-Marie Lépinay, Laurent Vergès, le Père René Payet, Marcel Soubou, Jean-Marcel Courteaud, Lucien Biedinger, Yves Van Der Eecken nous quittèrent également, ainsi que des travailleurs de l’imprimerie comme Michel Morel.
Le Témoignages qui paraît chaque jour sur Internet est le résultat du travail de toutes ces générations qu’il appartient à l’équipe actuelle de faire fructifier et de transmettre à une nouvelle génération qui aura la responsabilité de mener Témoignages à son centenaire, le 5 mai 2044. Notre journal est en effet l’exemple d’un défi : faire vivre une entreprise qui dépasse la vie humaine, et qui a pour tâche de faire avancer la cause des Réunionnais.
L’horizon des luttes : la responsabilité
Témoignages reste le seul lien entre l’époque où La Réunion était une colonie et aujourd’hui. Plus qu’un témoin, notre journal a été un acteur des conquêtes sociales de la société réunionnaise au cours de ces 78 dernières années.
Nul doute que Témoignages sera encore fidèle au poste quand le peuple réunionnais aura enfin acquis la reconnaissance qu’il mérite en tant que peuple responsable des affaires de son pays. C’est un combat difficile qu’il est nécessaire de mener sans relâche. C’est la plus belle façon de rendre hommage à toutes les générations qui ont œuvré pour faire de Témoignages une voix réunionnaise dans le monde et qui n’eurent de cesse de lutter pour qu’à l’horizon de leurs combats se lève une Réunion libérée de la pauvreté, dans une société où les droits de tous les Réunionnais puissent être garantis et respectés.
Longue vie à Témoignages, et en route vers le centenaire en 2044.
M.M.