Du public au privé : des choix commerciaux

’Il faut satisfaire le client, si l’on veut qu’il revienne’

26 juillet 2006

Généralement, à l’hôpital, les fluidifiants ne sont pas utilisés mais c’est l’humidification de l’atmosphère avec du sérum physiologique par aérosol qui est employé. Bien sûr, c’est un traitement à une autre échelle que l’on ne peut pratiquer chez soi. Pour le docteur Combes, la prescription des fluidifiants bronchiques et autres expectorants est aussi une question financière. A la différence du secteur public qu’il côtoie depuis 28 ans en tant que chef de service pédiatrie du CHD, "la consultation privée entraîne une modification du comportement vis à vis de la clientèle, car on a une obligation de satisfaction." Et tous les patients n’auraient pas les mêmes attentes. "Il y a des parents qui sont rassurés par des explications détaillées, d’autres qui le sont avec des examens en laboratoire, des prises de sang et enfin, ceux qui trouvent un réconfort dans la prescription médicamenteuse." Ce serait donc en fonction du profil “psychologique” du patient que le médecin libéral adapterait le traitement. "La médecine est quand même un commerce, poursuit le docteur Combes qui exerçait auparavant dans le privé. Il faut satisfaire le client, si l’on veut qu’il revienne." En consultation externe, ces fluidifiants ne sont plus prescrits car cet enjeu ne se pose pas. Par contre il accorde qu’"il faut soulager les toux sèches, incessantes, sources de fatigue. On est pour cela amené à utiliser des calmants de la toux." Le sirop Maxilase, les suppositoires Coquelussedal, déremboursés, ont cette fonction. Mais le docteur Combes ne les utilise pas non plus, il fait en priorité appel à des antihistaminiques. Il rappelle que l’HAS propose des guides de bonnes pratiques que les praticiens peuvent consulter dans le cas de la rhinopharyngite, de la toux et c’est sur ces pratiques que les professionnels sont évalués.

S. L.


Témoignage

Alain Dolenz, responsable de Bourbon Courtage, filiale santé de la Prudence Créole

"Le danger, c’est la médecine à deux vitesses"

En diminuant progressivement le taux de remboursement par l’Assurance maladie de nombreux médicaments, c’est la part des assurances complémentaires qui augmente et donc par extension les cotisations des assurés. Par contre pour l’HAS, la mesure de retrait de remboursement doit bénéficier aux usagers par les biais des organismes complémentaires. Elle doit "soit se traduire de manière visible sur les cotisations, soit autoriser (...) une réelle amélioration des prises en charge proposées aux usagers."

"Désengagement progressif de l’État"

Quand un médicament est sorti de la nomenclature, l’assurance complémentaire n’a plus non plus à le prendre en charge. Comme le souligne, Alain Dolenz, l’impact négatif se situe uniquement au niveau des assurés sociaux, par contre "le sensible désengagement de l’État, qui diminue son niveau de remboursement, a un impact sur les assureurs et sur les cotisations que l’on est susceptible de demander." Alain Dolenz précise que, en dehors de l’augmentation classique prévue par le contrat, la diminution de la part des remboursements de 65% à 35% puis à 15% s’effectuant dans un temps rapproché, "il ne devrait pas y avoir de dégradation dans le rapport sinistre et prime." Face à la forte consommation de fluidifiants et au préjudice causé aux patients, baisser les cotisations comme le mentionne l’HAS "pourrait être envisagée. On pourrait l’étudier, mais ce serait très difficile. Tout est sous le contrôle de l’informatique, de la télétransmission et l’on n’a pas de connaissance de ce qui est consommé par client, pas de visibilité de la consommation médicamenteuse. On ne peut pas dire si un mériterait de payer moins cher. De plus, "les diminutions comme les majorations sont valables pour tous." Après c’est aux professionnels de santé d’informer le client et de proposer des choses remboursées si elles existent. Au delà des listes de médicaments déremboursés, Alain Dolenz soutient que "la dérive de la consommation continue, tout comme le désengagement progressif de l’État. C’est clair. Les assureurs ont une mauvaise réputation, mais la santé est déjà un produit difficile à équilibrer et je ne vois pas comment en diminuant le coût des primes, on pourra la prendre en charge. Le danger, c’est la médecine à deux vitesse, avec le risque de créer comme dans les pays anglo-saxons, des prestations haut de gamme et des bas de gamme, avec des personnes qui auront de bonnes mutuelles très chères qui pourront mieux se soigner, d’autres qui auront une prise en charge moyenne, avec ticket modérateurs et d’autres enfin qui feront appel au secours public."

S. L.


Du côté des officines

Entre consensus et concurrence

Déremboursés, les médicaments seront toujours prescrits et en vente sur les étales des officines, à un prix libre. Avec une ordonnance virtuelle où était mentionnée deux fluidifiants pour toux grasse et deux calmants de la toux, tous déremboursés, nous avons téléphoné à plusieurs pharmacies de l’île pour initialement comparer les prix. Finalement, nous avons reçu différentes réactions défavorables à cette mesure. Les médicaments remboursés constituent une part importante des bénéfices des officines. Notre objectif n’est pas de les piéger, mais bien de se mettre à la place d’un client qui s’interroge sur sa capacité de payer et d’avoir une meilleure appréciation du vécu des professionnels.

Augmentation attendue

La première officine à Saint-Denis nous confie les tarifs sans problème : de 4,40 euros pour un sirop fluidifiant à 2,20 euros pour un générique qui a la même molécule. Il faut compter 4,50 euros pour un sirop contre la toux sèche et irritante. Chez sa consœur, tout près, l’on semble réaliser soudainement que les prix proposés ne sont pas les bons, car les produits sont encore sous vignettes. "Tous les produits déremboursés vont augmenter, nous explique la pharmacienne. Les labos, les grossistes sont plus chers, on a moins de marges, on augmente donc les prix." Direction Saint-Gilles. Sans souhaiter entrer dans le détail de la liste, le pharmacien nous dit qu’il faut compter 5 euros en moyenne pour chacun des produits. Je soulève seulement que cette mesure est inattendue, me demande s’il ne faut pas mieux conduire mon enfant chez le kinésithérapeute et le pharmacien de répondre : "C’est à vous de faire votre choix en fonction de votre médecin, de votre enfant, du prix des médicaments. Vous pouvez aussi toujours téléphoner à la sécu. Si tout le monde se rendait compte de l’impact de ces déremboursements, peut-être que l’on ferait marche arrière. Pour ma part, je suis contre ces déremboursements."

"Nous avons rebaissé les prix"

À Saint-André, le ton monte. La première pharmacienne refuse catégoriquement de me transmettre un prix par téléphone et me dit de venir avec mon ordonnance. J’insiste pour avoir un ordre d’idée et là : "Je peux vous dire que nous sommes moins cher qu’ailleurs, c’est sûr ! Les gens disaient que c’était trop cher, nous avons rebaissé les prix." A Saint-Joseph, il fallait compter environ 11 euros pour les 4 médicaments avec comme commentaire : "on n’a rien en équivalent. On a plus le choix."
Dans la même commune, la responsable d’une autre officine qui pratique les mêmes prix que son confrère, explique que la liste est parvenue "du jour au lendemain. On prévient les clients au fur et à mesure ou les médecins préviennent leurs patients, mais cela ne vient pas de nous." Elle souligne que ces fluidifiants sont quand même des médicaments "de première nécessité, très demandés. Tous les comprimés pour les maux de gorge ne sont également plus remboursés. Je comprends la réaction des clients. On paye la Sécu et la mutuelle assez cher."

S. L.


Éclairage

Pour Pierre Jean Dalleau, "les pharmacies sont tributaires de l’ensemble des revenus prélevés sur la chaîne du médicament", du laboratoire en passant par le grossiste répartiteur. "Il n’est pas du rôle de l’Assurance maladie de réguler les prix. C’est soit à l’État qui, encore une fois organise, d’inventer un mécanisme pour contrôler et permettre à tout le monde de vivre, soit au Comité Economique des Produits de Santé d’impulser une négociation entre les laboratoires pour fixer le prix des médicaments." Mais la mesure de déremboursement fait fi d’un tel débat. L’HAS souligne seulement que "une communication des pouvoirs publics et des laboratoires pharmaceutiques vers les pharmaciens, doit (...) limiter les risques potentiels d’abus et de mésusage."


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