Le premier don de moelle osseuse dans les DOM

30 janvier 2007

L’événement qui s’est produit hier au Centre Hospitalier Départemental (CHD) Félix-Guyon à Saint-Denis est remarquable à de nombreux niveaux. Il s’agit de la première greffe de moelle osseuse réalisée à La Réunion et même, dans les DOM. Derrière ce geste, il y a une leçon de philosophie à méditer. Enfin, il y a aussi une réalité à dénoncer : le chiffre ridiculement bas des donneurs de moelle à La Réunion.

La création du fichier des Donneurs Volontaires de Moelle Osseuse (DVMO) à La Réunion date de 1991. Elle est due à la volonté de Mme le Dr Colette Rafoux, directrice de France Greffe de Moelle. Depuis lors, le fichier est géré par l’agence de biomédecine. Environ 800 personnes sont inscrites à La Réunion. Depuis seize ans, ce fichier a-t-il servi ? La réponse est positive. Malheureusement, les trois fois où un donneur réunionnais avait été sélectionné, le receveur a vu son état de santé se dégrader trop fortement pour qu’un tel geste reste utile. C’est pourquoi, le don qui s’est déroulé hier est le premier à avoir lieu à La Réunion. Les méthodes de conservation sont tellement performantes que la greffe pourra tout aussi bien sauver un Américain ou bien un Réunionnais en métropole. Cependant, le destinataire ne sera jamais divulgué pour des raisons de déontologie.

Une geste simple pour le vivre-ensemble

Pour des raisons d’anonymat, la personne interrogée ne peut être prise en photo. Ses nom et prénom ont été gardés secrets. Pour le Docteur Ricard, responsable du laboratoire HLA (histocompatibilité) au CHD : « Si injecter des facteurs de croissance (voir article ci-contre) est devenu banal chez les malades, il en va autrement chez les gens en bonne santé. Les médecins devant toujours se rappeler un de leurs principes de base “D’abord ne pas nuire”, c’est un acte d’une grande responsabilité et presque contre-nature que d’injecter ainsi à quelqu’un de bien portant des principes dont on ne sait pas encore à 100% quels effets ils auront dans l’avenir. C’est pourquoi, par principe de précaution, nous suivrons, de façon légère, la personne pendant dix ans afin de voir si elle se porte bien. »
Par conséquent, comment ne pas être touché par cette personne qui fait un don de façon anonyme, et qui ne connaîtra jamais la personne à qui elle a peut-être sauvé la vie ? Derrière cette générosité, il y a aussi une belle leçon de vivre-ensemble. La personne ne se soucie pas du passé, de l’appartenance politique de la personne mais du présent et, surtout, de l’avenir. On pourrait d’ailleurs dire de chaque donneur qu’il suit la si belle phrase de Jean-François Deniau, récemment disparu : « Rien ne remplacera un homme qui connaît d’autres hommes et peut tenter de les comprendre ».

Une situation à dénoncer

Cependant, ce geste ne doit pas cacher l’autre réalité : le manque cruel de donneurs de moelle dans les DOM. Alors que, il y a deux semaines, nous louions le grand nombre de donneurs de sang à La Réunion, il en va tout autrement en ce qui concerne la moelle osseuse. En effet, il n’y a que 800 personnes sur le fichier de l’île, soit une proportion moyenne dix fois moins importante que celle observée en métropole !
Or, selon le Docteur Ricard : « Lorsqu’une personne a besoin d’une greffe de moelle, par exemple, si elle a une leucémie, la chance qu’elle trouve quelqu’un de compatible se monte à une sur quatre au niveau de ses frères et soeurs. Une fois qu’on est sorti de la fratrie, la probabilité est de une sur un million ! » Elle ajoute : « A La Réunion, puisque les familles sont encore nombreuses, sur les vingt-cinq patients qui avaient besoin d’une greffe, on a pu trouver treize donneurs au sein des frères et soeurs des personnes concernées. Mais pour ce qui est des douze autres, comment voulez-vous qu’on trouve des donneurs compatibles à La Réunion avec seulement 800 personnes dans le fichier quand la probabilité qu’un seul de ces donneurs trouve s’élève à un million ? ». En France, il y a environ 150.000 personnes inscrites sur le fichier national des donneurs. Au niveau mondial, le nombre de gens enregistrés s’élève à dix millions.
Il peut alors se poser la question de l’urgence que nécessite la prise en charge de certains malades et le temps pour traiter cette demande. Pour Mme Ricard : « La donneuse qui réalise ce geste aujourd’hui a été sélectionnée à la mi-décembre. Notre objectif est de réduire le délai à un mois, voire trois semaines. En effet, si on prolonge trop cette procédure, la personne en attente peut connaître de gros problèmes de santé, si ce n’est plus. C’est pourquoi, il est vraiment important que les gens qui s’inscrivent sur le fichier soient motivés et qu’ils indiquent tout changement d’adresse pour qu’on ne mette pas deux mois avant de les retrouver. »
Interrogée sur le chikungunya, elle répond : « Une personne qui a été victime de cette arbovirose peut tout de même faire l’objet d’une greffe de moelle osseuse, après avoir reçu un avis favorable de la part de l’équipe greffeuse. Pour les autres, les personnes non touchées par le chik, un test est réalisé afin de savoir si la personne n’est pas en période d’incubation sans le savoir. » La docteure Ricard conclut par ces mots : « J’appelle tous les Réunionnais qui remplissent les conditions pour être donneur, c’est-à-dire, avoir entre dix-huit et cinquante et un ans, être en bonne santé et accepter de participer à un entretien médical à s’inscrire sur le fichier des donneurs de moelle. En priorité, il faudrait des personnes originaires de l’Inde du Nord et de la Chine car ils ont des groupes tissulaires rares et nous ne comptons aucun donneur ou presque de ces aires géographiques. Voilà les coordonnées, avec un répondeur qui fonctionne tout le temps : 02 62 98 68 68. »

M. D.


L’utilité de la moelle osseuse

La moelle osseuse est responsable de la fabrication des cellules souches dans le corps humain. Celles-ci produisent : les globules rouges qui véhiculent l’oxygène ; les globules blancs qui défendent contre les infections ; les plaquettes qui stoppent les saignements. On voit donc à quel point le bon fonctionnement de la moelle osseuse est vital.
La greffe de moelle osseuse sert dans la guérison de deux maladies graves. Tout d’abord, il y a, pour 80% des cas, les deux types de cancers que sont les leucémies ou les lymphomes (atteintes du système ganglionnaire). Pour le reste, il s’agit de maladies non malignes. Plusieurs possibilités existent alors. Il y a celle où la moelle, à la naissance, ne fonctionne pas. Ce sont des aplasies. Puis, il a celle où la moelle donne des tissus de mauvaise qualité. Cela se manifeste par deux maladies génétiques : la thalassémie et la drépanocytose homozygote. Enfin, il reste la possibilité où la moelle produit des cellules souches de moins bonnes qualités du fait de la pollution. Les cas de Tchernobyl ou de surexpositions des travailleurs dans les usines chimiques sont des cas d’école.

M. D.


Interview de la donneuse de moelle osseuse

Depuis combien de temps êtes-vous inscrite sur le fichier des donneurs de moelle osseuse ?

- Depuis deux ans. J’ai accompli cette démarche parce que j’ai une très bonne amie de vingt-sept ans qui a été atteinte d’une leucémie. J’ai sauté le pas à ce moment-là.

D’après ce que je sais, vous êtes une donneuse de sang régulière. Pourquoi n’avez-vous donc pas accompli cette démarche plutôt ?

- En fait, j’étais mal informée. En plus, je croyais qu’un tel don allait être douloureux et nécessiter une opération lourde. Ce n’est pas du tout le cas pour moi.

Quel est, pour vous, le sens du geste que vous accomplissez ?

- J’ai souhaité faire quelque chose pour les autres et ne pas penser qu’à moi. Nous vivons dans un monde très égoïste. La vie professionnelle n’est pas altruiste. Là, j’ai la possibilité de faire un geste qui peut sauver une vie, alors je le fais.

Comment s’est déroulée la phase qui va de votre inscription à votre sélection ?

- Il y a six phases ! Premièrement, je me suis informée comme je vous l’ai dit. J’étais motivée et je me suis décidée. Puis, je me suis rendue au Centre Hospitalier Départemental de Félix-Guyon et j’ai été prélevée afin que mes caractéristiques génétiques soient connues. Troisièmement, je me suis inscrite sur le registre national des donneurs de moelle osseuse. Ensuite, il fallait être disponible, - ce qui signifie dans mon cas, par exemple, que je ne sois pas enceinte - et joignable - si je déménage, il faut que j’indique mon changement d’adresse. Cinquièmement, la personne qui s’occupe du fichier des malades regarde s’il “dispose” de quelqu’un qui a des caractéristiques génétiques proches des miennes. Enfin, si c’est le cas, il appelle.

De quelle manière se passe la seconde phase, celle où vous vous trouvez maintenant ?

- Tout d’abord, j’ai commencé à recevoir deux piqûres jeudi à mon domicile : une le matin, une le soir. Il s’agit d’injections de facteurs de croissance qui multiplient les cellules souches dans mon sang. Je suis entrée aujourd’hui [hier] à l’hôpital. J’ai eu une prise de sang pour vérifier que tout allait bien. Enfin, cet après-midi, j’ai une cytaphérèse de trois heures, qui va permettre à cette machine de trier les cellules dont elle a besoin dans mon sang [NDLR : Pour les lecteurs donneurs de plaquettes, il s’agit de la même machine]. Ce soir, je suis de retour à la maison !
[A cet égard, le Docteur Ricard précise qu’un tel mode d’intervention concerne deux tiers des greffes de moelle. Pour le reste, il s’agit d’une ponction lombaire, qui nécessite plus de soin et une fatigue accrue.]

Vous ne ressentez aucun effet secondaire ?

- Si, j’ai des maux de tête et des petites courbatures, mais ce n’est pas bien douloureux. [Mme Ricard indique que ces symptômes d’état pseudo-grippal sont tout à fait normaux et qu’ils s’estompent très vite.]

Quel serait le message que vous souhaiteriez transmettre aux lecteurs ?

- Le geste que j’ai fait est loin d’être surhumain. C’est un acte facile que tout le monde, en bonne santé, peut faire. Il suffit d’un tout petit peu de courage. Il faut que les Réunionnais s’inscrivent dans les fichiers des Donneurs Volontaires de Moelle Osseuse !

M. D.


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