Vivre avec le VIH/SIDA

’On a une petite vie, mais une vie quand même’

13 juin 2005

Dans le cadre de la campagne de prévention du SIDA qui a lieu cette année du 6 au 19 juin, nous reproduisons ci-après le témoignage d’une personne séropositive.

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Douze comprimés et une injection le matin, 10 comprimés et une injection le soir, c’est la dose de traitement que Pierre prend tous les jours pour combattre la maladie. (1) Séropositif depuis la fin des années quatre-vingt, il était le premier à La Réunion à bénéficier de la trithérapie en 1996, et depuis juillet 2003, il est le premier patient réunionnais à prendre le T-20, cette nouvelle classe de traitement, destinée aux patients en échappement thérapeutique aux antirétroviraux classiques. Rencontre avec un éternel optimiste, car plus ça va mal, plus il a de la force intérieure.

o Depuis début juillet, tu prends le T-20, cette nouvelle classe de traitement. Ça se passe bien ?

- J’espère que ça va marcher cette fois-ci, parce que j’en ai essayé des traitements ! Mon VIH est très virulent, la plupart des antirétroviraux classiques ne marchent plus après un certain temps. Pour le moment, je me sens bien, je suis un malade bien portant. Ce qui est nouveau pour moi, c’est que le T-20 ne se prend pas sous forme de cachet, ce sont des piqûres. Tout commence par la préparation : il faut injecter de l’eau dans une sorte de poudre, puis attendre une demi-heure environ, le temps que ça se dilue. Puis, deux fois par jour, à une heure précise, je me fais des piqûres intradermiques. Mais je continue tout de même à prendre ma dizaine de cachets matin et soir.


o Beaucoup de patients séropositifs se plaignent d’un côté du nombre de cachets qu’ils doivent avaler, de l’autre côté des effets secondaires.

- Quand je prends des cachets, je me dis que c’est de la vie que j’avale. Ça facilite la chose. Et concernant les effets secondaires, j’ai de la chance actuellement, je n’en souffre pas. Mais j’ai connu ça, et c’était horrible. Pendant plus d’un an et demi, la trithérapie provoquait chez moi des diarrhées incontrôlables. C’était très dégradant sur le plan humain, je n’osais plus sortir et quand cela devenait indispensable, j’avais toujours du linge de rechange sur moi. Ce qui est gênant c’est que le VIH fait disparaître les muscles, au niveau des cuisses, des tempes et des joues. Ça me donne un visage grave, sérieux.

o Tu es séropositif depuis une vingtaine d’années, tu dois connaître tous les hauts et les bas de la maladie ?

- C’est vrai, malheureusement... Ma femme est morte juste avant l’arrivée de la trithérapie. Sur le plan physique et moral, elle n’était pas suffisamment forte. Au moins 50% se passe dans la tête, comme pour chaque maladie, il faut se battre. Moi, j’avais perdu 17kg, je ne mangeais plus, et puis, en 1996, la trithérapie a tout changé.
Au début, j’allais très bien, puis après un certain temps, mon virus a commencé à être résistant aux médicaments. Je ne sais pas combien de fois j’ai changé de traitement, aujourd’hui je suis au T-20. Je ne sais pas non plus pendant combien de temps je vais le prendre. Ça dépendra des résultats, on verra dans la durée. De toute façon, une fois par mois, je viens à l’hôpital pour faire un contrôle.


o Sur le plan médical, la situation s’est beaucoup améliorée ces vingt dernières années. Est-ce que les mentalités elles aussi ont évolué ?

- Pas beaucoup. À l’époque, ma femme ne cachait pas que nous étions atteints du SIDA. Résultat : La plupart des gens que nous considérions pourtant comme nos amis se sont détournés de nous, nous ne les avons plus jamais revus. Moi, je ne parle pas ouvertement de ma séropositivité. Ça ne sert à rien. Surtout ici, à La Réunion, la stigmatisation, la discrimination et le tabou règnent toujours par rapport au SIDA.
Une partie de la population diabolise le VIH, l’autre l’ignore complètement. Et rares sont les gens qui se protègent - c’est grave ! On en parle moins, parmi les jeunes qui vivent aujourd’hui une sexualité plus facile, comparé à mon adolescence, le SIDA n’est pas un sujet d’actualité. Je suis sûr que dans les années à venir, le nombre de nouveaux cas VIH va augmenter dans des proportions galopantes, ici tout comme en Métropole.

o Quel est ton rêve aujourd’hui ?

- Mon rêve, c’est que les médecins trouvent un médicament qui permettrait de guérir du SIDA. Comme ça, je pourrais mener pendant quelques années au moins une vie normale. Car malgré les avancées thérapeutiques, le VIH reste une maladie très handicapante. Ceux qui ne sont pas atteints ne voient pas la galère que ça représente.
Nous ne sommes pas comme les autres, il y a un tas de choses que les personnes séropositives ne peuvent plus faire. Moi, par exemple, j’aimerais bien retourner vivre en Afrique, mais vu les conditions d’hygiène, ce n’est pas possible. Bon, je m’y suis fait, mais de temps en temps, j’en ai quand-même ras-le-bol.

Propos recueillis par S. H.

(1) Le nom de la personne a été changé par la rédaction du journal “Rivage” de décembre 2003 d’où est extrait ce témoignage.


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