Journée nationale de dépistage du SIDA
Pas de honte à être responsable
29 janvier 2005
Au même titre que Paul Vergès mardi, avant son départ pour Bruxelles, personnalités politiques, artistes, médias, sportifs de La Réunion ont répondu massivement à l’appel de RIVE et de la journée nationale de dépistage pour un test HIV au centre d’immunologie de l’hôpital Bellepierre. Une mobilisation à valeur d’exemple pour que l’ensemble de la population prenne conscience de sa responsabilité face à la maladie. 3 millions de personnes sont mortes du SIDA l’année dernière dans le monde.
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Ils étaient plus d’une centaine, dans la matinée d’hier, à passer entre les aiguilles expertes de Béatrice ou de Bruno pour accomplir ce que beaucoup d’entre eux ont qualifié de devoir citoyen.
Catherine Gaud se réjouit d’une telle mobilisation : "Tout le monde a joué le jeu, s’est montré très engagé en faveur de cette grande cause nationale qu’est la lutte contre le SIDA."
Qu’il s’agisse du maire du Port, du préfet, de la présidente du Département, de Rocaya, ou encore de Malik Unia : personne n’a ressenti de honte à se laisser prélever un peu de sang pour la bonne cause. Et ce, malgré la présence des médias, qui se sont également prêtés au test. L’objectif de cette médiatisation vise avant tout à banaliser le geste dépistage car comme le souligne le docteur Gaud, "tout le monde est à risque".
Parlons-en
Au même titre qu’un frottis régulier chez les femmes, ou une visite chez son dentiste, le test VIH est "un geste d’hygiène, de santé". Le docteur Gaud déplore que "les gens (aient) encore honte, peur d’être vus". De nombreuses études psychosociologiques ont révélé que les gens n’osaient pas faire le dépistage car ils craignent d’être identifiés, ils ont peur que le secret professionnel auquel est tenu l’équipe médicale ne soit pas respecté. L’anonymat qui accompagne le test vise justement à inciter le public à faire la démarche, et quand bien même vous croisez des personnes en salle d’attente, "il n’est pas écrit sur votre visage ce que vous avez", souligne Catherine Gaud.
Il reste encore beaucoup à faire pour changer les perceptions, comme celle qui consiste à stigmatiser les homosexuels comme population à risque. À La Réunion, 70 à 80% des nouveaux cas sont des hétérosexuels, originaires de La Réunion et qui n’ont jamais quitté l’île. Les personnalités publiques considèrent donc comme un devoir de changer ces fausses idées, de se placer en exemple pour essayer de stopper la propagation de la maladie, de montrer que tout le monde est égal face à la maladie et à ses risques. Et l’on peut espérer que cette médiatisation portera ses fruits, au même titre que les campagnes de dépistage ont permis de tripler la fréquentation habituelle du centre d’immunologie de l’hôpital Bellepierre.
"Une vie de gâchée, c’est déjà trop"
Grâce à un diagnostic précoce, l’on peut vivre plus longtemps avec le SIDA. En effet, l’on peut être porteur du VIH et en bonne santé pendant plusieurs années. Apparaissent ensuite zonas et champignons qui marquent la phase de pré-SIDA avant d’arriver au stade ultime du SIDA.
C’est donc un double gâchis que de ne pas effectuer le test. D’une part, parce qu’un diagnostic précoce conduit à un traitement relativement léger (2 comprimés par jour au lieu de 20 à un stade avancé) et d’autre part, parce que des milliers de gens qui n’ont pas accès, comme nous, au traitement, meurent chaque jour de la maladie. Et pour le docteur Gaud : "une vie de gâchée, c’est déjà trop".
Pour les pays développés, la notion de l’infection VIH n’est plus aussi grave que dans les années 80. Ces idées fausses, ajoutées à une certaine lassitude du préservatif, constituent tous les risques face à la maladie. "Il y a une indifférence incroyable et scandaleuse des pays riches", se soulève Catherine Gaud qui rappelait hier sur les ondes de RFO-radio que 57% des femmes africaines sont atteintes par le virus. Des femmes rurales qui meurent dans l’indifférence la plus totale, "de morts atroces et injustes".
Estéfany
Seulement 1 ado sur 2 utilise le préservatif
Le test VIH, plus qu’une démarche médicalisée, est un véritable geste de responsabilité et d’amour envers les siens, conjoints et enfants. "Si l’on ne se fait pas dépister, c’est un suicide", estime le docteur Gaud. Il ne faut pas plus de 5 minutes entre le temps d’arrivée dans le service et son prélèvement et entre 5 à 8 jours pour obtenir le résultat, 100% fiable. C’est peu d’effort.
Le dialogue avec les enfants est également nécessaire. Il y a deux ans, une enquête conduite par RIVE dans les collèges et lycées a révélé qu’un adolescent sur deux utilise le préservatif. Certains comités de parents d’élèves croient naïvement qu’à 15 ans, leurs enfants n’ont aucune appréhension du sexe, qu’ils n’ont aucun rapport. Les programmes d’éducation sexuelle du rectorat, le travail de terrain des associations, les infirmières et chefs d’établissements : chacun a son rôle à jouer dans la prévention des risques. Bien que RIVE fasse de la prévention depuis des années, Catherine Gaud estime qu’il y a "encore à retravailler, toujours à améliorer".
Zot la di
Jean-Yves Langenier, maire du Port : "C’est un acte civique important. Notre région, au vu de l’ampleur de la maladie dans la zone, doit être une locomotive dans la lutte contre le SIDA, elle doit être au premier rang pour montrer l’exemple."
Maya Césari, conseillère régionale : "Autant dans les années 80, les jeunes étaient extrêmement sensibilisés, inquiétés, avaient conscience de la maladie, autant aujourd’hui, ils croient qu’on peut en guérir. On n’en guérit pas, on peut juste atténuer la progression de la maladie. Il est très important de s’en préserver. Le dépistage est capital pour soi et sa famille. Nous sommes les enfants de la génération 68, nous avons été élevés dans la liberté de parole et d’esprit. Cela va certainement nous permettre de mieux communiquer avec nos enfants sur les précautions à prendre face à la maladie."
Béatrice, infirmière au service d’immunologie : "Il faut aller chercher le public, s’adapter. Le centre de dépistage installé dans la rue le 1er décembre, nous a permis de faire le test à plus d’une soixantaine de personne en 4 heures. L’année prochaine, nous pensons faire la journée complète."
Malik Unia, sportif de haut niveau : "Je profite de l’occasion pour faire le test pour la première fois. C’est un geste civique important. Je ne trouve rien de déshonorant ou de dramatique à la faire et je pense que cela doit rentrer dans les mœurs, devenir une habitude. Maintenant et régulièrement. C’est la vie qui est en jeu."
Gilbert Pounia : "C’est un acte fort, même si j’ai la frayeur de l’aiguille."
Emmanuel Lemagnen, conseiller régional : "C’est à ceux qui ont une appréhension de faire le test. Ne pas le faire, c’est ne pas vouloir savoir. Cela n’est pas logique."
René-Paul Victoria, député-maire de Saint-Denis : "Il faut que les politiques s’investissent vraiment. Nous sommes des citoyens comme les autres, pas des intouchables. Le SIDA concerne tout le monde. Si ma présence peut être utile, j’invite tous ceux qui doutent à venir faire le test, cela prend 5 minutes."
Nassimah Dindar, présidente du Département : "Il n’y a pas de honte à avoir, bien au contraire, c’est un acte responsable. Pour ma part, j’en parle à mon fils, mais ce ne sont pas les jeunes qui ont des problèmes avec le préservatif, mais les autres générations."
Yves, 52 ans, porteur du virus : Il y a 18 ans que Yves vit avec le virus du SIDA et 15 ans qu’il est sous traitement. Il a décidé de se faire dépister, alors que la maladie venait de se faire connaître et qu’il menait une vie remplie de voyages, de rencontres multiples, d’un peu de "débauche" et de beaucoup de folies. "Ceux qui pensent que ne pas savoir les protège ont tout faux, comme ceux qui s’imaginent que l’on ne meure plus du SIDA." On lui a souvent conseillé de ne pas en parler à ses partenaires, de prendre un préservatif, voilà tout, mais pour Yves, "c’est presque une fierté de l’avouer, une certaine force que de vivre avec. La maladie fait partie de ma vie, je ne vais pas tourner autour du pot". Il se veut aussi honnête dans sa recherche d’emploi. Une sincérité qui ne paye malheureusement pas. Une maladie toujours excluante.