Réactions du Docteur Olivier Collard

Qui suis-je pour pouvoir décider, juger de ce qu’est, de ce que pense, de ce que croit, de ce que veut autrui ?

16 mars 2007

Médecin spécialiste de la prise en charges de la douleur et des soins palliatifs, responsable de la structure douleur/soins palliatifs à la Clinique Sainte Clotilde et d’une Hospitalisation à domicile spécialisée en soins palliatifs : HAD ASDR.
Le Docteur Collard est un spécialiste de la douleur, mais au-delà de cela, il est un humaniste qui a su impulser une politique de soins palliatifs dans notre département. Tous ceux qui le connaissent savent son attachement aux valeurs de la vie et son dévouement pour tous les malades atteints de maladies incurables. Il est un des piliers de ’l’Association de Soins à Domicile de La Réunion’. Il représente pour moi un de ces médecins que j’appelle ’Les Passeurs de vie’ ! Ces hommes et ces femmes qui nous aident à aborder l’autre rive du fleuve sont le rouage essentiel d’une société humaniste qui regarde en face son passage sur cette terre.

Docteur, vous êtes responsable d’une unité de soins palliatifs, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l’appel dit, des "2 000 soignants", qui demandent et réclament la fin des poursuites envers les soignants et une réforme qui inclurait une dépénalisation encadrée de l’euthanasie, inspirée des modèles suisse, belge ou néerlandais ?

- Docteur Collard : La Loi Leonetti de 2005 et ses décrets ne sont toujours pas correctement appliqués, cette loi me permet de :
1- désigner une personne de confiance qui, au cas où je n’aurais plus les capacités de décider, décidera pour moi. En gros, s’il m’arrive une maladie grave, que je préfère être ou ne pas être réanimé ou que je ne veux pas rester handicapé, cette personne de confiance sera ma voix auprès des soignants.
2- rédiger des DAP (Directives Anticipées Personnalisées) sur lesquelles il est écrit ce que je demande s’il m’arrive quelque chose de grave et que je n’ai plus mes facultés mentales ;
L’application effective de cette loi et de celle du Dr Neuwirth de 1999 sur l’accès aux soins pour tous aux soins palliatifs, permettant de respecter le choix d’une personne, aurait permis peut-être de ne pas en arriver là.
Les modèles que vous me citez sont différents, et notamment en Belgique et en Hollande, on s’aperçoit qu’il existe de plus en plus d’actes euthanasiques dits non volontaires, c’est-à-dire sans avoir eu l’assentiment du malade ou de sa famille.
Sachez que l’euthanasie est considérée comme un crime et donc, c’est 30 ans de réclusion criminelle. Et de toute façon, qui je suis pour pouvoir décider de la mort d’autrui. En tant que médecin, j’en ai le pouvoir, mais certainement pas le devoir et ni l’intention, (cf articles 35 à 38 du code de déontologie médicale).
Qui je suis pour pouvoir décider de la vie ou de la mort d’autrui ?
Légiférer sur la dépénalisation de l’euthanasie serait la porte ouverte à des dérapages, et aucune civilisation si “civilisée” soit elle n’est à l’écart de débordements eugéniques ; vous vous souvenez de “Mein Kampf” ?
Il y a des cas particuliers où l’euthanasie pourrait sembler être la “bonne solution”, mais ces cas particuliers ne peuvent raisonnablement établir le fondement d’une politique qui exclurait les plus faibles, les non communicants, les comateux... et qui aurait des répercussions aussi graves et étendues.
De plus, mourir n’est pas seulement une affaire personnelle ou privée. La mort d’une personne affecte la vie de ceux qui restent, et souvent de façon telle que les conséquences (parfois tardives) ne peuvent être prévues. Imaginez-vous prendre une décision de donner la mort pour un de vos proches, et les répercussions dans votre vie future ? N’y a-t-il pas par la discussion, l’écoute, la compréhension et les techniques actuelles de soulagement existantes (les soins palliatifs) une moins mauvaise solution à trouver ?
L’énergie et l’argent actuellement dépensés dans : pour ou contre une loi (qui existe déjà, mais n’est pas appliquée), devraient l’être dans la formation et le soutien des soignants, et l’information du public, plutôt que de profiter d’une période électorale où tout le monde fait des promesses pour glaner des voix et faire d’un sujet grave une polémique qui n’a pas lieu d’être avec des conséquences qui peuvent être fatales à notre République démocratique.

Les 2.000 soignants demandent enfin le développement des soins palliatifs. Pensez-vous que dans notre département, les soins palliatifs soient suffisamment développés ?

- Les soins palliatifs sont la réponse à ces demandes d’euthanasie qui ne sont en fait que des appels au secours de personnes souffrantes au bout du rouleau, et si on soulage leurs souffrances, la demande d’euthanasie disparaît dans plus de 99% des cas.
Les soins palliatifs sont des soins actifs, dans une approche globale de la personne humaine en phase évoluée ou terminale d’une maladie grave potentiellement mortelle, ils prennent en compte et visent à soulager les souffrances physiques, psychologiques, sociales et spirituelles. Sont contraires à leur philosophie l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.
Le but des soins palliatifs n’est, et ne sera jamais, de tuer, l’intention est de soulager, en préservant l’autonomie du patient au maximum. Alors, au lieu d’être tuants, soyons aidants et soulageants. Tuer est fondamentalement différent que d’accepter la mort comme naturelle et laisser mourir.
Les soins palliatifs ne sont évidemment pas assez développés sur l’île, mais tipatipa narivé. Les choses se mettent en place, mais il faut du temps et consacrer son énergie. C’est un devoir de citoyen que de s’engager contre l’euthanasie, qui est une erreur éthique, culturelle, morale, traditionnelle dans notre société occidentale obnubilée par le profit, où la mort n’est plus considérée comme naturelle et donc refoulée, cachée, occultée.

Deux soignants sont, en ce moment, face à un jury populaire parce qu’ils ont voulu abréger les souffrances d’une malade dont le diagnostique était fatal à brève échéance. Sans préjuger, ni juger de la teneur de ce procès, peut-on imaginer qu’on laisse reposer sur les seules épaules des soignants la décision d’abréger ou non la vie d’un mourant ?

- S’il y avait eu formation et soutien de ces personnes, décision collégiale autour de la personne malade, ce genre de solution finale ne devrait pas arriver.

Doit-on, comme dans certains pays tels que les USA, la Suisse ou le Danemark, légiférer en reconnaissant les "Testaments de vie" déposés chez un homme de loi et inscrits dans un fichier médical national, consultables par les soignants, protégeant ainsi tous les médecins de toutes poursuites en cas de pratique de l’euthanasie ?

- L’interdiction de l’euthanasie constitue la pierre angulaire des relations humaines, juridiques et sociales. Elle protège indistinctement chacun de nous, évite les débordements et nous conforte dans la réalité de notre égalité d’être humain.
Trois arguments sont généralement avancés par les partisans de l’euthanasie :
1- Démontrer que ce n’est pas un meurtre, alors que s’en est un.
2- Augmenter la liberté des choix pour un patient (autonomie) et le droit d’être assisté par un médecin ; c’est le but des soins palliatifs.
3- Prétendre que légiférer serait un gage de transparence en évitant les dérapages ; mais les exemples de légalisation ont entraîné des dérapages par augmentation des cas d’euthanasie sans assentiment des patients ; c’est grave non ? Voulez-vous en arriver là ?
Où sont donc passés les concepts de dignité, d’égalité, de liberté, de fraternité dans le concept d’euthanasie ? Qui suis-je pour pouvoir décider, juger de ce qu’est, de ce que pense, de ce que croit, de ce que veut autrui ? L’euthanasie est synonyme de tourner le dos à notre véritable condition d’être humain et d’Être Humain.

Propos recueillis par Philippe Tesseron

http://pht974.blog-reunion.com/


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