Huguette Bello intervient à l’Assemblée nationale

’Abroger un article qui nous condamne à la violence’

30 novembre 2005

Huguette Bello a plaidé hier pour l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui reconnaît ’en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer’. On lira ci-après l’intervention de la députée de La Réunion, seule parlementaire de notre île à s’être exprimée hier dans ce débat à l’Assemblée nationale. Les intertitres sont de “Témoignages”.

"Il en coûte toujours à une société de ne pas être au clair avec son histoire, de tenter d’en contourner les difficultés pour éluder les enseignements qu’elles comportent. La grande tragédie de la colonisation, de même que cette autre grande tragédie qu’est l’esclavage, mérite d’être considérée dans toute sa complexité, mérite aussi, quand elle est examinée par notre assemblée, d’être traitée autrement que par l’introduction subreptice d’un sous-amendement chargé de passion qui, sans oser l’avouer, fait le jeu des interprétations partisanes et extrémistes du fait colonial. Cette raison suffirait pour que nous votions l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005.
Mais il en est beaucoup d’autres. Une des deux puissances coloniales majeures revient sur des événements, des rêves, des aberrations, des conflits qui l’occupèrent pendant plusieurs siècles. Elle le fait à un moment de l’histoire où les anciens peuples colonisés, dont beaucoup durent arracher leur indépendance, nourrissent des sentiments ambigus, complexes, méfiants à l’égard d’un monde occidental où la folie et l’ignorance des responsables irresponsables vont jusqu’à réveiller le fantasme des croisades.
Cette puissance, mes chers collègues, ce pays qui, se tournant vers son passé encore tout proche, en feuilletant avec gravité les pages les plus raturées de commentaires, va faire se tourner vers lui les regards de tous les peuples, c’est la France.
Il n’y a place en cet instant, en ce lieu, pour aucun intérêt particulier, pour aucune stratégie particulière, pour aucune rancœur particulière, pour aucune satisfaction particulière. Il y a place seulement pour la largeur et la générosité. Il y a place seulement pour ce souffle qui animait Charles de Gaulle comme Pierre Mendès-France, et dont le grand orientaliste Jacques Berque a su entendre le message simple et puissant : "C’est le vaste qui commande".

Contre "une insupportable incitation à l’archaïsme"

Cet article 4 que nous voulons abroger, et qui nous condamne, lui, à l’étroitesse, constitue une insupportable incitation à l’archaïsme, c’est-à-dire, nécessairement, à la violence.
Faut-il, après les événements que nous venons de vivre, aggraver encore pour nos compatriotes issus de l’immigration la difficulté de vivre français ? Les plaies qu’ils portent encore en eux, et que leurs conditions d’existence, l’accueil détestable qu’on fait à leurs noms et à leurs prénoms eux-mêmes ne cessent de rouvrir, faut-il vraiment les infecter ? Préférons-nous au renforcement de l’amitié avec eux la jouissance solitaire du ressentiment ? Voulons-nous que nos refus les fassent se replier, pour leur malheur et le malheur de tous, dans les ghettos des communautés ? La France doit se chercher en eux. Ils doivent se chercher dans la France. N’est-ce pas mieux que d’élever, encore et toujours, les barrières des souvenirs tronqués ? La lente éclosion d’une société composite satisfait, à la fois, et au mouvement du monde et au sentiment français de l’universel.

"Dangereux pour nos relations avec le monde"

Dangereux pour nous-mêmes, cet article 4 l’est encore plus pour nos relations avec le monde. Au moment où le président de la République a le courage d’aborder publiquement, et à deux reprises, à Madagascar, une des pages les plus sombres de la colonisation française, la représentation nationale ne peut lui répondre par la régression. Le progrès des relations que le monde occidental entretient avec les pays anciennement colonisés, à une époque de bouleversements mondiaux et d’immenses inégalités, suppose que soit relue ensemble, une fois pour toutes, dans la franchise et la loyauté réciproques, l’histoire entière de la colonisation.
C’est tout particulièrement vrai, tout particulièrement nécessaire, tout particulièrement urgent quand il s’agit des relations entre la France et l’Algérie, dont aucune tragédie n’a pu dénouer les liens. Le Traité d’Amitié que les deux États ont l’intention de signer n’est pas seulement un trait d’union entre deux nations, c’est un pont décisif entre l’Europe et la Méditerranée.

"Résistons à cet enfermement"

Au-delà même du champ politique, cet aggiornamento de notre réflexion sur la colonisation ne doit pas être entravé. Le fait colonial - nous voyons que Tocqueville lui-même y cédait - s’est inscrit dans la logique de cette volonté de puissance que le 20ème siècle a disqualifiée. Il est vrai que des nostalgiques de la violence nous suggèrent, pour lire le monde moderne, la grille du choc des civilisations, à la fois préalable et cache-misère du nouvel ordre mondial qu’on veut nous imposer. Le temps n’est plus de céder au fantasme. La guerre d’Irak nous a montré, une fois pour toutes espérons-le, ce que signifient les égoïsmes masqués en exaltation nationale, les intérêts vernis de religiosité, la violence déguisée en défense des valeurs : ils signifient le refus de la réalité, la négation de l’autre, le mensonge à soi-même.
Résistons à cet enfermement. Parlons avec simplicité de la colonisation avec tous ceux qu’elle a concernés et qu’elle concerne.
L’ouverture de la réflexion et de la parole nous donnera les meilleures chances de comprendre ce qu’elle a signifié pour les colonisateurs et pour les colonisés. En revenant sereinement sur ce passé, cherchons pourquoi il est si difficile de reconnaître la diversité des autres et la pluralité des sociétés, et trouvons, dans un monde qui l’exige, le moyen d’y parvenir.


Refusant l’abrogation de l’article 4 qui reconnaît "en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer"

Les députés de l’UMP persistent et signent

L’Assemblée nationale a examiné hier matin une proposition de loi visant à abroger l’article 4 de la loi du 23 février 2005.

Cet article 4 est ainsi rédigé :
"Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.
"Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
"La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée".

Cet article, et plus précisément son 2ème alinéa, a suscité émotion et indignation bien au-delà de la France. En effet, si de nombreuses personnalités se sont manifestées, au niveau national, pour demander l’abrogation de cet article 4, les réactions à l’étranger et particulièrement en Algérie ont été très vives.
À la suite de la discussion générale, un vote a eu lieu au cours duquel les députés de l’UMP ont refusé la discussion sur l’article unique demandant l’abrogation de l’article litigieux.
Huguette Bello est intervenue, à la tribune de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la discussion générale pour plaider en faveur de l’abrogation de cet article. Elle est la seule députée de La Réunion à avoir exprimé son point de vue dans ce débat au Palais-Bourbon.


SNES : une loi "à abroger d’urgence"

Le Syndicat national de l’enseignement secondaire explique les raisons pour lesquelles il faut annuler l’article 4 de la loi du 23 février 2005, dans un communiqué dont nous reproduisons ci-après de larges extraits.

Dès son adoption, le SNES s’est ému de l’article 4 de la loi du 23 février 2005. À l’occasion de son congrès national en avril 2005 au Mans, les délégués du SNES Réunion et des autres DOM ont proposé une motion approuvée à l’unanimité exigeant l’abrogation de l’article 4 du 23 février 2005.
Cette loi du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" a des implications sur l’exercice de notre métier et engage les aspects pédagogiques, scientifiques et civiques de l’enseignement en histoire-géographie (...)
Aussi, il faut abroger d’urgence l’article 4 de la loi du 23 février 2005 :

- parce qu’il impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au cœur de la laïcité ;

- parce que, en ne retenant que le "rôle positif" de la colonisation, il impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres, allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé ;

- parce qu’il légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé.
Le SNES rappelle son attachement à ce que les historiens et les enseignants aient une responsabilité particulière pour promouvoir des recherches et un enseignement :

- qui confèrent à la colonisation et à l’immigration, à la pluralité qui en résulte toute leur place ;

- qui, par un travail en commun, par une confrontation entre les historiens des sociétés impliquées rendent compte de la complexité de ces phénomènes ;

- qui assignent pour tâche l’explication des processus tendant vers un monde de plus en plus unifié et divisé.


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