« Marche de détermination » pour la libération d’Ingrid Bétancourt

Accord humanitaire plus qu’action militaire

24 mai 2007

Le comité de soutien pour la libération d’Ingrid Bétancourt, séquestrée par les FARC depuis 5 ans, organisait hier à Paris une grande « marche de détermination » pour défendre la voix d’un accord humanitaire et rejeter fermement l’éventualité d’une intervention militaire de l’armée colombienne du président Alvaro Uribe qui mettrait sa vie en péril.

Mercredi dernier, le policier colombien John Franck Pinchao, qui soutient avoir échappé aux FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), après 8 ans de détention, apportait la preuve, tant attendue par sa famille, qu’Ingrid Bétancourt est encore en vie.

«  L’échange est l’obligation morale d’un État démocratique  »

Deux jours après, vendredi, Nicolas Sarkozy recevait les proches d’Ingrid Bétancourt pour les assurer de sa détermination à obtenir sa libération. Selon Mélanie, sa fille, le chef de l’État français aurait personnellement décroché le téléphone pour inviter le président colombien, Alvaro Uribe, à accepter le dialogue avec les FARC, avançant même avoir des propositions de négociation. Mauvaise interprétation ? Incompréhension ? Mais quelques heures après cet entretien, lors d’un rassemblement public à Bogota, Alvaro Uribe ordonnait, avec emphase, à l’armée colombienne de libérer Ingrid Bétancourt des mains de la guérilla marxiste. « Généraux ! Nous allons porter secours à Ingrid Bétancourt. Il n’est pas question de jouer avec ces hors-la-loi », entonnait-il, sans manquer de rassurer les États-Unis sur le « sauvetage militaire » des trois Nord-Américains également détenus depuis 2003 par les FARC. Suite à cette déclaration et à l’émoi qu’elle a suscité au sein de la famille Bétancourt, le soir même, le Quai d’Orsay rappelait dans un communiqué l’opposition de la France « à toute action militaire qui pourrait mettre en danger la vie des otages. » Déjà en mai 2003, la guérilla révolutionnaire assassinait 10 otages suite à une intervention de l’armée colombienne visant à les libérer. Comme le soutenait Ingrid Bétancourt dans la cassette vidéo (dernière preuve officielle de sa survie) réalisée une semaine après cette exécution et transmise par ses geôliers le 30 août 2003 à la télévision colombienne Nocicias Uno : « l’échange est l’obligation morale d’un État démocratique. » La candidate à la Présidentielle de 2002 préconisait alors la solution humanitaire plus que l’intervention armée, rappelant qu’« une opération de sauvetage doit être une réussite sinon elle n’a pas lieu d’être. »

«  Show médiatique  »

Alors que ses proches ont toujours plaidé pour un accord humanitaire, sous l’égide d’observateurs nationaux, entre le gouvernement d’Uribe et les FARC, l’appel à une intervention armée a suscité les plus grandes inquiétudes. La crainte de la mère d’Ingrid, Yolanda Pulecio, ancienne sénatrice colombienne résidant à Bogota, était que le policier Pinchao révèle à l’armée colombienne son lieu de détention et qu’elle intervienne par milice mettant ainsi en danger la vie de sa fille et d’autres séquestrés. À Paris, Mélanie Bétancourt déclarait que la réaction publique du président Uribe était une provocation, un « show médiatique » au service de ses ambitions politiques personnelles, allant jusqu’à soutenir qu’il « se moque de la France ». « Soyons logique, quand vous voulez libérer quelqu’un, vous l’annoncez comme ça au monde entier ? », déclarait-elle sur TF1 et France2.
Nouveau rebondissement le lendemain, samedi. Lors d’une visite dans le sud du pays, le président colombien annonce finalement prendre en compte la position française. « Nous sommes respectueux et réceptifs aux propositions qu’il (Nicolas Sarkozy) pourrait formuler et nous devons réitérer notre volonté d’éradiquer les terroristes. » Le même jour, en France, les proches d’Ingrid Bétancourt ont réaffirmé leur hostilité à l’usage de la force face à la guérilla marxiste. La grande « marche de la détermination » conduite hier entre Notre Dame et l’Hôtel de Ville de Paris avait pour objet d’inviter les Français à la mobilisation en faveur de la libération rapide de la franco-colombienne, sans que ses jours ne soient mis en danger. Nicolas Sarkozy doit pour sa part recevoir dans les jours qui viennent un envoyé spécial d’Alvaro Uribe, Luis Carlos Restrepo, Haut commissaire pour la paix en Colombie.

Stéphanie Longeras


- An Plis Ke Sa

Elle a tenu sa parole

Fille d’un ancien ministre qui deviendra un temps Ambassadeur de Colombie à l’Unesco, Ingrid Bétancourt a passé une partie de son enfance en France où elle est retournée à 19 ans pour suivre ses études à Paris. Diplômée de Sciences Po, elle épouse Fabrice Delloye, diplomate français avec lequel elle aurait deux enfants, Mélanie et Lorenzo. C’est en 1989 suite à l’assassinat de Luis Carlos Galan (dont la mère d’Ingrid, Yolanda Pulecio, travaille à la campagne électorale) après qu’il se soit positionné en faveur de l’extradition des narcotraficants vers les États-Unis, que Ingrid Bétancourt décide de quitter la France pour s’engager dans le combat politique en Colombie.
Élue députée en 1994 avec la volonté de lutter contre la corruption qui gangrène la vie politique de son pays depuis très longtemps, puis sénatrice en 1998, c’est avec son propre parti, Partido Verde Oxigeno, qu’Ingrid Bétancourt décide de se présenter à la Présidentielle.
C’est au début de la campagne qu’elle est enlevée, le 23 février 2002, alors qu’elle se rendait, par la route, dans la municipalité de San Vincente de Caguan, en compagnie de sa collaboratrice Clara Rojas. San Vincente se situait alors au centre d’une zone démilitarisée, grande comme la Suisse, enclave concédée aux FARC dans le cadre des négociations de paix, mais qui depuis quelque temps était la proie des paramilitaires, des enlèvements et des assassinats. Interpellée par les habitants qu’elle avait déjà rencontrés à plusieurs reprises, Ingrid Bétancourt s’était engagée à les soutenir dans les bons et les mauvais moments. Elle a tenu sa parole.

Déjà une tentative de négociation sans suite

En décembre 2005, la France, l’Espagne et la Suisse avaient décidé « d’unir leurs efforts » pour « favoriser une rencontre directe » entre les FARC et le gouvernement colombien pour permettre un accord humanitaire qui rendrait la liberté à une soixantaine d’otages dont Ingrid Bétancourt. Mais la négociation, proposée dans le village de El Retiro, dans la commune de Pradera, n’a pas abouti. La guérilla des FARC demandait la démilitarisation d’une vaste zone rurale en échange de l’ouverture de discussions pour la libération de leurs otages et l’assurance que ces derniers ne seraient pas tués une fois libérés. De son côté, le président colombien voulait la garantie que ces otages ne s’enrôleraient pas de nouveau dans la guérilla. Finalement la négociation n’a pas eu lieu, la campagne électorale en cours dans le pays n’a pas favorisé l’aboutissement de la tentative de dialogue initiée par la France, l’Espagne et la Suisse.

SL


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