Retour sur les errements sécuritaires de la présidentielle de 2002

Accusée... à tort : la présomption d’innocence

28 décembre 2005

Jeudi dernier, un tribunal a innocenté Mohamed Benamara et Jean-Claude Bonnal du braquage d’un bureau de change, crime dont ils étaient accusés depuis 1998.

Cela ne doit pas dire grand-chose à nos lecteurs, sauf à leur rappeler que Jean-Claude Bonnal est surnommé "le Chinois". En octobre 2001, 6 mois avant la campagne pour l’élection présidentielle, "le Chinois" est mis en cause dans une tuerie. Circonstance "aggravante" aux yeux des policiers et des partisans du tout répressif, "le Chinois" avait été remis en liberté 1 an plus tôt, en novembre 2000, par le juge d’instruction Jean-Paul Laurens en plein accord avec le président de la Chambre d’accusation Gilbert Azibert, tous deux estimant que, dans l’affaire du braquage du bureau de change, les charges retenues à l’encontre de Mohamed Benamara et Jean-Claude Bonnal, dit "le Chinois" manquaient singulièrement de consistance.
Le juge avait donc respecté la loi et remis ces 2 hommes - qui ne sont pas des anges - en liberté. Survient la tuerie d’octobre 2001. Aussitôt le syndicat de policiers proche du Front national invente la fable des juges irresponsables qui ont remis en liberté les braqueurs du bureau de change. "Juges assassins qui remettent en liberté des bandits que les policiers ont eu tant de mal à arrêter", etc... Et voilà que, jeudi dernier, 7 ans après les faits et une enquête entièrement et minutieusement recommencée, un tribunal reconnaît que ces deux-là n’étaient pour rien dans le braquage et qu’en les libérant, les magistrats Laurens et Azibert avaient pris la décision que la loi leur imposait de prendre.

Malheureusement, en octobre 2001, on a vu nombre de leaders des écuries présidentielles joindre leur voix à celles qui hurlaient "au loup !". Compétition présidentielle "oblige", les principes essentiels de l’État de droit furent remisés dans le placard à balais. Pour ces candidats, il était plus important d’apparaître plus "sécuritaires" que les plus "sécuritaires" même s’il leur fallait pour cela piétiner les fondements de la morale républicaine. Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin accusa publiquement le juge Laurens d’avoir commis une "effroyable erreur d’appréciation" et annonça qu’il était intervenu pour que le nom du président de la Chambre d’accusation, M. Azibert, soit retiré du tableau des promotions.
Dans cette veine si peu républicaine, son ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, rejoindra le chœur de celles et ceux qui - dans les faits - s’époumonaient à crier "mort à la loi", "non à la présomption d’innocence" et ces gouvernants iront jusqu’à se renier en décidant de remettre en cause les garanties qu’ils venaient tout juste de faire voter en faveur des justiciables. Un reniement calculateur mais qui ne leur profitera d’aucune manière, renforçant au contraire le camp de certains, qu’ils soient policiers, magistrats, politiques ou journalistes, pour lesquels l’argument sécuritaire allait servir de rampe de lancement pour une campagne d’affolement de l’opinion publique. Avec le résultat que l’on sait dès le 1er tour de la présidentielle d’avril 2002.

Rappelons qu’à La Réunion, en pleine campagne présidentielle, André Hoarau - injustement emprisonné - entamait une grève de la faim car, profitant de la situation, un authentique malfaiteur menaçait la vie de Mme Hoarau et de ses enfants. Saisis de cette injustice, ni le Premier ministre, ni sa Garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, ne voulurent intervenir. Leur excuse était qu’en pleine campagne électorale, il ne fallait pas donner d’arguments à ceux qui accusaient le gouvernement de laxisme en matière de lutte contre l’insécurité.
Ce fut donc l’épouse du président de la République, Mme Bernadette Chirac, de passage à La Réunion, qui, en pleine campagne présidentielle également, fit le geste public de recevoir, d’entendre Marie-Andrée Hoarau, puis d’intervenir.

Jeudi dernier, au terme du procès du braquage du bureau de change, Me Témime, l’un des avocats de Mohamed Benamara, a fait un constat d’évidence : "l’acquittement de [mon] client inflige a posteriori la démonstration la plus cinglante de l’irresponsabilité de ces policiers, magistrats, politiques qui avaient dénoncé [la décision de remise en liberté provisoire prononcée par] les juges".

À Paris, la justice a lavé 2 malfaiteurs notoires d’un crime qu’ils n’avaient pas commis. Pourtant, la pression médiatique avait été portée à son comble et les méfaits commis depuis par Jean-Claude Bonnal auraient pu faire pencher la balance en sa défaveur.
À La Réunion, André Hoarau n’est pas un malfaiteur et n’a commis aucun des faits qui lui ont été reprochés dans le cadre de l’affaire dite du Comité des fêtes de Saint-Pierre. Pourtant, aujourd’hui encore, après 2 fois 4 mois passés en prison, décisions 2 fois cassées par la Cour de Cassation, il est toujours sous le coup d’accusations jamais étayées.

Aimé Habib


Lionel Jospin et la présomption d’innocence

Extraits du compte-rendu intégral de la séance du 6 décembre 2001 au Sénat.

Dominique Braye, sénateur des Yvelines (RPR) : "Il y a 1 an, Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, responsable de 6 morts, dont 2 policiers, était remis en liberté par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris. [...] Monsieur le [Premier] ministre, les forces de l’ordre sont abasourdies en voyant ainsi leur long et dangereux travail réduit à néant en 1 seconde par des décisions aberrantes. [...] Mais les juges sont-ils les seuls en cause ? La loi sur la présomption d’innocence, dans certains cas, est aussi responsable de ces bavures judiciaires [...] qui incitent les criminels et les délinquants à poursuivre leurs exactions en toute impunité."

Lionel Jospin, Premier ministre : "Monsieur le sénateur, [...] s’agissant [de la libération de Jean-Claude Bonnal (...)] nous ne sommes pas restés inactifs. Le président de la formation judiciaire qui a mis en liberté M. Bonnal, dit le Chinois, [...] devait recevoir, le mercredi suivant, en Conseil des ministres, une promotion [...]. Il m’a semblé alors impossible que cette promotion lui soit accordée. C’est pourquoi j’ai demandé au président de la République que son nom soit retiré du mouvement prévu pour la nomination de procureurs généraux. [...]
Quant à la loi sur la présomption d’innocence, [...] j’ai demandé à un député [Julien Dray] de conduire une mission pour examiner ce qui, dans les procédures, est effectivement susceptible de compliquer la tâche de la police. Nous en tirerons des conclusions pratiques de manière que rien ne puisse, au nom de la présomption d’innocence, favoriser les délinquants ou les criminels."


Pour ou contre la modification de la loi sur la présomption d’innocence

Extraits de “Le Monde” du 9 janvier 2002.

Lionel Jospin a "approuvé", mercredi 9 janvier [2002], à l’Assemblée nationale le dépôt d’une proposition de loi modifiant la loi sur la présomption d’innocence, en expliquant que "la sécurité de nos concitoyens et la lutte contre l’impunité sont des devoirs d’État". [...] Pour le conseiller politique du RPR, Patrick Devedjian, la proposition de loi constitue "un petit aménagement purement gesticulatoire". [...] Le Parti communiste s’est dit "opposé à toute remise en cause de la loi" sur la présomption d’innocence. [...] Le député Noël Mamère a, pour sa part, déclaré qu’"accepter le principe de son aménagement, c’est déjà cautionner tous ceux qui tiennent un discours sécuritaire". [...] Le Syndicat de la magistrature est "consterné par l’orientation que prend le gouvernement pour casser ce texte alors que c’est une loi qui a mis 20 ans à émerger", [...] Pour la Conférence des bâtonniers, qui regroupe tous les barreaux de France [Paris excepté], "la modification législative ne réglera pas le principal problème, qui est celui du manque de moyens". "Je suis un peu déçu et inquiet. On oublie que cette loi est un bon texte, qui existe d’abord pour renforcer la présomption d’innocence et les droits des victimes", [...]. Le Conseil national des barreaux, [...] le nouveau texte, constituerait "un recul complet", selon son président, Jean-René Farthouat. (Fin des extraits)

Notre commentaire :

Et pourtant, à partir de cette décision justifiée de remise en liberté provisoire du “Chinois”, la loi sur la présomption d’innocence sera modifiée.
“Périsse un principe plutôt qu’une chance d’accéder à la présidence de la République” ? La remise en cause d’un principe fondateur de l’État de droit n’a pas empêché un candidat antirépublicain et liberticide d’accéder, pour la première fois, au 2nd tour de la présidentielle.
Moralité : en reniant ses idéaux, on perd son âme et aussi le rendez-vous électoral le plus important.

A.H.


La défense du “Chinois” se met en grève par Marc Pivois

Extrait de “Libération” du mardi 13 septembre 2005 : Jean-Claude Bonnal dit "le Chinois".

Le 6 octobre 2001, 4 personnes sont abattues dans un bar-tabac d’Athis-Mons (Essonne). La police interpelle, le 19 octobre, 3 personnes, dont Jean-Claude Bonnal. Mais entre-temps, une autre affaire a défrayé la chronique. Le 16 octobre, soit 10 jours après l’affaire d’Athis-Mons, une famille de bijoutiers est séquestrée et dépouillée dans son pavillon au Plessis-Trévise, dans le Val-de-Marne. Au cours de la fusillade avec la police, 2 gardiens de la paix sont tués et 1 autre blessé. Rapidement, les enquêteurs sont persuadés que Bonnal est dans les 2 affaires et qu’il a tiré sur les policiers. Ce fait-divers entraîne une mobilisation syndicale sans précédent des policiers et un malaise dans le monde judiciaire. En effet, Jean-Claude Bonnal, multirécidiviste, sous le coup d’une mise en examen pour un braquage qui avait tourné à la fusillade, est alors en liberté provisoire*.

* Mesure dont le récent procès vient de démontrer qu’elle était justifiée car en novembre 2000, lorsqu’il avait été remis en liberté provisoire, Jean-Claude Bonnal n’était pas coupable des faits qui, en 1998, l’avaient conduit en prison.

A.H.


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