Les époux Dodakia interpellés puis relâchés

Arrestation médiatisée : le mal est fait

23 octobre 2004

Après son mari interpellé lundi en France, Mme Dodakia a été arrêtée manu militari à son domicile saint-paulois mardi. Hier, elle a été remise en liberté : aucune charge n’a été retenue contre elle. Outre la méthode, ce sont les conséquences qui peuvent être dangereuses, avec une composante de la population réunionnaise montrée du doigt.

Secret... et médiatisation. Mardi matin, au lever du jour, Mme Dodakia était arrêtée par les policiers de la DST (Direction de la surveillance du territoire) à son domicile de Saint-Paul, en présence des élèves de la médersa où elle enseigne et de ses propres enfants. Elle était emmenée menottes aux poignets.
La veille, c’est son mari, Ibrahim Dodakia, qui était arrêté par des policiers de la DST dans le Sud-Ouest de la France. Dans les deux cas, les policiers agissaient sur instruction du juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguières.
Que dans le cadre d’une enquête, fut-ce dans une affaire de terrorisme, la police veuille entendre une personne, il n’y a a priori rien de choquant.
Qu’on interpelle manu-militari, en plein ramadan, à une heure de prière, une femme devant des enfants, cela dénote pour le moins un manque de tact et de respect des convictions religieuses.

Le précédent de Daïd Gdoura

Après tout, Mme Dodakia était, comme on dit dans le jargon policier, “logée”. On savait parfaitement où la trouver et sans doute faisait-elle déjà l’objet d’une certaine surveillance. Pourquoi alors une intervention aussi abrupte et choquante ?
Comme toujours, dans ce qui est rangé par les médias dans la catégorie des “faits divers”, il y a ce qui se dit, ce que l’on veut bien laisser transpirer dans la presse et puis, il y a tout ce qui ne se dit pas. Pourquoi les époux Dodakia ont-ils été arrêtés ? Que leur reproche-t-on ?
Comme le laisseraient entendre certaines voix, dans cette affaire on est davantage dans le domaine de la suspicion que d’autres choses. Au terme de 96 heures de garde à vue, soit le maximum légalement autorisé dans une affaire de terrorisme, Mme Dodakia a été remise en liberté, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elle...
À ce stade, bien des interrogations subsistent. Que l’on se rappelle une affaire similaire, avec l’arrestation et le placement en garde à vue durant 80 heures de Daïd Gdoura. Aucune charge n’avait été retenue contre lui. Pourquoi la DST s’était-elle intéressée à Daïd Gdoura ? Simplement parce qu’avant de venir s’installer dans l’île pour goûter à sa retraite, cet homme avait été concierge d’une mosquée parisienne fréquentée en son temps par un certain Richard Reid, sujet britannique qui avait été interpellé à bord d’un vol Paris-Miami avec des semelles contenant une substance explosive. Dans cette affaire, c’était un peu l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours...
À ce tarif, il faudra sans doute se méfier de ses voisins, de ceux à qui on a un jour serré la main, de l’automobiliste auquel on a cédé le passage ou du voisin de restaurant auquel on a passé le sel. A fortiori s’ils sont barbus ou portent une djellaba. Faute de quoi on pourrait bien un jour se retrouver menotté au saut du lit et devoir répondre, 96 heures durant, de cette poignée de main suspecte ou du sel passé machinalement à ce voisin de table dont on ne s’était pas aperçu qu’il était zarab...

On joue avec le feu...

Ces interpellations et surtout la publicité qui en découle sont dangereuses car elles risquent de semer la confusion et de stigmatiser la composante musulmane de notre population. Comme le soulignait Issop Banian, responsable de la mosquée de Saint-Paul, le risque est grand de contribuer à un amalgame entre “zarabe”, musulman, islam, islamisme et terrorisme.
Encore plus à La Réunion où sans se draper dans la sacro-sainte formule selon laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et cohabite en toute harmonie, il faut avant tout rester vigilant sur ce fragile équilibre entre les différentes composantes de notre population.
Gardons-nous bien de ces comparaisons faciles et de ces amalgames dangereux. Surtout lorsque, sous couvert de lutte anti-terrorisme, et même en restant dans le cadre voulu par le législateur, certaines méthodes utilisées sont à la limite des droits humains élémentaires.
Dans cette affaire où la montagne a accouché d’une souris, il reste la suspicion. Il se trouvera certainement des voix pour se dire qu’il n’y a peut-être pas de fumée sans feu... La méfiance est là.
Il y a quelque temps de cela, un ministre en visite dans l’île avait visité une mosquée. Il se dit qu’une semaine avant la date prévue pour cette visite, les Renseignements généraux insistaient lourdement auprès des responsables de cette mosquée pour avoir le texte du discours qui serait prononcé à cette occasion. Une insistance qui avait quelque peu irrité certains dignitaires.

S. D.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus