Lutte contre les discriminations : construire un réseau européen d’aides

« Dans un monde civilisé, il faut se comporter comme tel ! »

6 septembre 2007

Avec le programme Equal, l’Union Européenne veut expérimenter et développer dans ses 27 pays membres différentes méthodes pour promouvoir l’intégration sociale et professionnelle des individus. À La Réunion, depuis 2 ans, “Floraisons” œuvre en faveur de l’intégration des nouveaux migrants. En Slovaquie, “DAFNE” conduit des actions de prévention et d’aide aux victimes de trafics sexuels. Une délégation slovaque est arrivée mardi dans notre île pour échanger méthodes et outils de travail avec son partenaire européen à La Réunion.

Les équipes des projets slovaque et réunionnais “DAFNE” et “Floraisons”.
(Photo SL)

Aux côtés de la Suède, de la Finlande, de l’Ecosse et de la République Tchèque, la Slovaquie est le cinquième pays européen partenaire de la France dans le cadre du programme Equal. Le pilote du projet “Floraisons” à La Réunion, Filippo Ferrarri, a accueilli mardi avec son équipe 5 acteurs du projet slovaque DAFNE, orchestré par Marian Kolencik, ainsi que Vanda Smatanova, élue du Conseil régional de la Région autonome de Zilina, qui a rencontré hier les élus de la Région Réunion.

Le projet MCUR interpelle la Région de Zilina en Slovaquie

L’année dernière déjà, l’équipe de DAFNE était venue à La Réunion pour prendre fait du travail engagé par Floraisons auprès des populations migrantes. Un travail d’intégration qui s’articule autour de trois axes :

- former et accompagner l’insertion professionnelle des femmes isolées dans les bidonvilles (40 sont suivies à ce jour) ;

- mettre en place dans les écoles des ateliers d’échanges avec des écrivains et dessinateurs locaux (Daniel Honoré, Danièle Moussa, Wilfred Cadet...) autour du respect de la différence et des discriminations pour réaliser des supports pédagogiques (6 livrets ont été édités et distribués dans les classes) ;

- valoriser et développer le savoir-faire des migrants par l’entreprenariat (7 projets ont déjà abouti).
Lors des séances de travail, les deux partenaires ont convenu de concentrer leurs efforts sur l’échange des méthodes et outils exploités par chacun. Filippo Ferrari retient, entre autres, du travail de DAFNE, la technique du théâtre forum et des BD pour engager des actions de prévention grand public. Ces outils ont été présentés hier aux élus du Conseil régional, partenaire de Floraisons. Pour sa part, la représentante du Conseil régional de Zilina est très intéressée par le projet de la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR). Le pays a en effet connu ces dernières années d’importants mouvements de population qui ont bouleversé son visage culturel. Des minorités se trouvent aujourd’hui exclues, des tensions raciales se font ressentir. « La Réunion a beaucoup d’expérience en matière de diversité culturelle », expliquait Marian Kolencik, mardi au saut de l’avion.

« Lutter contre l’esclavage moderne »

Une visite donc pour approfondir le travail engagé l’année dernière, rencontrer les élus de la Région Réunion dans la perspective de consolider un partenariat direct avec la collectivité de Zilina, mais aussi, de façon générale et non moins fondamentale, « travailler en commun pour changer l’opinion publique, des professionnels et des citoyens, sur les discriminations à l’encontre des femmes et des minorités culturelles, lutter contre l’esclavage moderne, la traite des femmes et les discriminations au marché du travail ».
Avant d’élargir son action au cadre européen, Marian Kolencik présidait l’association DAFNE (Union des centres de la prévention et de l’aide aux victimes) qui, en 1995, travaillait sur la prévention de la toxicomanie et du SIDA. Interpellé l’année suivante, en 1996, lors d’une conférence à Paris, par des associations françaises qui lui ont signalé plusieurs filles slovaques arpentant les trottoirs de la capitale, il a décidé de se pencher sur le trafic humain. « Les réseaux de trafics humains sont très bien organisés, explique-t-il. On estime à 2.000 le nombre de filles slovaques achetées chaque année en Slovaquie et mises sur les trottoirs du pays et d’Europe, France, Italie, Espagne... La minorité Rom, plus fragile, qui n’a pas de pays d’origine, constitue 90% des victimes. Beaucoup de filles tombent dans la drogue, contractent le VIH/SIDA, se font tuer ».

« Il faut dénoncer, responsabiliser... »

« On est dans un monde civilisé, poursuit Marian Kolencik. Il faut se comporter comme tel. Il faut dénoncer, responsabiliser et pas seulement les acteurs, les prostituées, mais aussi les clients potentiels. Ok pour avoir une vie sexuelle, mais il faut savoir que les filles ne veulent pas faire ça. Il existe une prostitution qui n’est pas libre, qui détruit des vies ». A La Réunion, on soupçonne l’existence de tels trafics, de réseaux de prostitution avec les îles voisines, mais rien n’est encore clairement avéré. La rencontre prévue avec Sophie Eliséon, la Déléguée aux Droits des Femmes, sera l’occasion peut-être de faire un point sur cette question, savoir si les autorités travaillent sur ce dossier. Pour sa part, DAFNE a mis en œuvre différentes actions préventives et de formation pour lutter, dans sa mesure, contre les trafics sexuels et venir en aide aux victimes. Prévention dans les écoles contre la discrimination et la traite des femmes, à travers différents supports écrits ou filmés. Pour le grand public, DAFNE occupe les rues avec des théâtres forum où sont mises en scène des histoires vraies de femmes vendues. La particularité de ces théâtres, qui intéressent beaucoup Floraisons, est qu’ils sont ouverts au public, qui intervient dans l’histoire quand il le souhaite. Une méthode qui fait ses preuves. Enfin, DAFNE intervient, avec le soutien d’experts français, auprès des professionnels du secteur social, de la police, des psychologues par des modules de formation permettant de savoir comment mieux appréhender, prendre en charge et aider une personne victime de la traite. « Il faut déjà l’aider à reconnaître que c’est une victime, sinon il sera difficile de l’aider humainement et sur le plan législatif », explique Marian. Une professionnalisation des acteurs défendue aussi en France s’agissant de la prise en charges des femmes victimes de violences, mais...

« En l’absence de politique sociale européenne... »

En l’absence de politique sociale européenne, le programme Equal a le mérite de permettre à chaque Etat membre d’expérimenter des outils de lutte contre les discriminations, d’engager des actions en faveur de l’intégration des minorités, des “souffre-douleur” de nos sociétés. Ce souhait de constituer un réseau d’aides basées sur l’échange des méthodes entre les pays partenaires est peut-être la première pierre de l’édifice social européen qui ne sera posé que parce que des femmes et hommes de volonté ont décidé d’agir ensemble. Le projet Floraisons entamé en mai 2005 prendra fin en décembre de cette année. Il sera ou non poursuivi par ses partenaires locaux, avec le soutien de L’Europe. La Région Réunion réaffirme son soutien au niveau de la formation, la CAF semble aussi partante, de même que le Rectorat, reste encore en retrait le Conseil général, dont on rappelle que la compétence première est le social.

Stéphanie Longeras

Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

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