Pour l’indemnisation des enfants réunionnais transférés en France -1-

Enfants de la Creuse : réparer le crime contre l’Enfance

16 avril 2018, par Manuel Marchal

Dans son rapport rendu public le 10 avril dernier, la Commission d’information sur l’affaire dite des Enfants de la Creuse propose des mesures. Il s’agit notamment de la création d’un espace mémoriel et de la prise en charge partielle d’un billet d’avion et d’un séjour une fois tous les 3 ans à La Réunion. Est-ce suffisant pour indemniser les victimes d’un acte réprimé par le Code pénal sous le titre de « traite d’êtres humains en bande organisée » ?

Extrait de Témoignages du 22 septembre 1968.

Le 10 avril dernier, la Commission d’information sur l’affaire des Enfants de la Creuse a rendu son rapport. Cette instance a été créée voici deux ans à la suite du vote en février 2014 d’une résolution présentée par Ericka Bareigts. Le texte reconnaissait la faute morale de l’État dans le transfert contre leurs volontés et celle de leurs familles de plus de 2.400 enfants réunionnais en France. Entre 1963 et 1983, l’objectif était d’utiliser ces jeunes pour repeupler des départements français touchés par l’exode rural.

Si de tels faits ont pu être commis, c’est parce que pour les gouvernements de l’époque, les Réunionnais n’étaient pas considérés comme des citoyens à part entière. Les faits sont terribles. Les services de l’aide sociale à l’enfance ont été mis à contribution pour repérer les enfants susceptibles d’être transférés en France. Puis ils ont utilisé des méthodes peu scrupuleuses pour les arracher à leur famille. Soit il s’agissait de fausses promesses d’un avenir radieux en France, soit les enfants ont été enlevés sans autre forme de procès. Les Réunionnais qui ont connu cette époque ont encore en mémoire la sinistre réputation de la 2CV fourgonnette qui parcourait les quartiers pauvres à la recherche de victimes potentielles de cet odieux trafic.

L’organisation de la traite

Ces enfants étaient ensuite officiellement placée sous la garde de l’État, enfermé dans un centre de transit avant d’être convoyés vers la France. Là, un centre de répartition avait été implanté à Guéret dans la Creuse. Il servait à dispatcher les enfants vers leur destination finale qui pouvait être dans 83 départements.

Non seulement ces enfants étaient arrachés à leur famille sans espoir de retour, mais en plus les fratries étaient séparées. Nombreux sont ces enfants qui n’ont plus revu leurs frères, sœurs et autres parents pendant des décennies. Certains ont même tellement souffert qu’ils n’envisagent plus de rentrer à La Réunion. En effet, pendant qu’ils étaient en France, notre île a changé sans eux. Elle n’a plus rien à voir avec les souvenirs de leur enfance. Ce temps leur a été volé, sans compter les souffrances physiques et psychologiques causées par la maltraitance dans les centres de rétention et les familles d’accueil.

Michel Calteau du Collectif Enfants 3D a adressé à Témoignages un compte-rendu de rencontres qui ont eu lieu à Guéret avec des victimes :

« Nous sommes sans racines »

« Quand les auditions commencèrent. Ce que nous avons entendu sur les témoignages de personnes présentes, ayant eu le courage de surmonter leur pudeur pour raconter leurs souffrances - même si nous en avions une idée - dépasse parfois l’entendement. La charge émotionnelle était très forte.

Nous avons retenu parmi les témoignages bouleversants qui émergeaient de la mémoire de ces personnes et particulièrement de femmes naufragées de cette histoire, les mots suivants :

Ebranlées, cabossées, meurtries, blessées, fracassées… révoltées…

Des phrases relevées également pour l’essentiel, et qui viennent renforcer les mots précédents :

« On nous a coupés de nos racines… nous sommes sans racines… on a profité de la misère matérielle et intellectuelle de nos familles indigentes… Nous demandons à la Commission d’instaurer un climat de transparence pour connaître la vérité sur cette histoire… Il y a crime contre l’Enfance… Les promesses qui nous ont été faites, n’ont pas été respectées »

Révélations courageuses

A la réunion de Guéret, les termes pour raconter la souffrance vécue ont le même sens, la même résonance émotionnelle, et ne peuvent être différents en termes de perception. Nous avons pris soin de les relever. Nous avons entendu les mots ou expressions suivantes :

« On m’a tuée… On m’a assassinée… On a volé notre enfance… C’est la mort à l’intérieur de moi même… Je suis fatiguée de tout ça… J’ai du être une mère de substitution pour ma fratrie… J’ai tout perdu… famille pas accueillante pour des enfants placés… On a évité de transmettre nos souffrances à nos enfants ou alors tout le contraire pour certaine femmes qui parlent du transfert de leur mal être par la souffrance accumulée, à leurs enfants… »

Des révélations courageuses ont été faites sur des cas d’abus sexuel dans des familles d’accueil… des cas de punition tenant de la torture dans des familles d’accueil…

Les mots récurrents sur les deux réunions :

« Mensonge de l’administration… Mal vécu… Maltraitance… Séparation de fratrie… »

Toutes ces personnes ont été victimes d’actes perpétrés par l’État. La faute existe, elle a été reconnue puisqu’une Commission a été chargée d’enquêter. Se pose alors la question de la réparation. La prise en charge partielle d’un billet d’avion et d’un séjour à La Réunion tous les 3 ans, est-ce suffisant pour indemniser les victimes d’un acte réprimé par le Code pénal sous le titre de « traite d’êtres humains en bande organisée » ?

(à suivre)

M.M.

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Messages

  • Encore 1000 remerciements pour vos articles qui me laissent à chaque fois sans voix car l’émotion est bien présente. Nous ne devons jamais accepter ce rapport final en guise de reconnaissance car le contenu ne reflète pas la vérité tout simplement. Sur ce rapport final, on se base sur 150 témoignages ça ne représente même pas 10% des ex-mineurs exilés de force. N’est-ce pas ridicule ?
    Soyez conscients mes compatriotes de cette réalité, on veut nous museler. Attention, c’est un SCANDALE d’ETAT. Avez-vous trouver logique que l’on ne vous accorde pas la prise de parole après la conférence du rapport final. Prétextant les grèves, c’est un peu trop facile de se faufiler et partir... Je pense sincèrement que c’est un manque total de respect et de considération envers nous. Que les choses soient dites.
    Nous avons tant espéré de ce rapport final mais le résultat est bien trop maigre à mon goût. D’ailleurs en ce qui concerne les billets d’avion n’en parlons pas cela devient presque insultant et le reste ne vaut pas mieux... C’est vraiment une part de lâcheté de certaines personnes qui commencent bien leur travail mais en route comme par enchantement perdent de toute crédibililté. VRAIMENT ma déception est à son comble, on m’avez prévenue mais là c’est totalement revenir en arrière et jouer avec nous. C’est INTOLERABLE !!! Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour que l’ Etat répare le MAL qui subsiste toujours en moi. L ’ETAT a fauté d’où des réparations financières. Alors ceux qui ressentent la même chose, lâchez-vous et dites le : haut et fort. D’ailleurs ça fait un bien fou de l’écrire. Je vous dit RDV tous ensembles "Chers compatriotes" pour continuer notre combat pour un indemnisation à la hauteur des traumatismes subits et constatés. Ne laissons jamais l’espoir ternir notre motivation. Par contre choisissez le bon camp... car nous nous laisserons plus faire, nous sommes adultes et pas manipulables comme à l’époque lorsque nous étions enfants donc vulnérables !

    Merci à toutes et à tous de m’avoir lue ainsi qu’au soutien de Témoignages et de Monsieur Manuel MARCHAL (enfin un journaliste d’un grand professionnalisme).


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