Enfants réunionnais déportés : « Faire ce travail de mémoire pour que la population réagisse »

4 mai 2013

Suite à la parution mardi d’un article ’Enfants de la Creuse : déportation et réparation’, Marie-Thérèse Gasp, « transférée » à Guéret dans la Creuse en 1966, a fait parvenir à ’Témoignages’ la contribution suivante.

Je me présente, mademoiselle Marie-Thérèse Gasp, ex-pupille transférée à Guéret en avril 1966 à l’âge de trois ans. Vous avez certainement lu les journaux depuis 2002, je suis autant médiatisée que Jean-Jacques Martial. Dernière médiatisation sur ce sujet en avril 2012 pour le reportage de l’émission “Histoire en série” sur France 2 (où Jean-Jacques Martial intervient également). Je suis également auteure du film documentaire "Arrachée à son île" diffusée sur France 5 en 2002. Diffusion pendant 5 ans. Mon film va se trouver dans le programme de ARTE à ma demande.

A la suite d’une enquête, la gendarmerie n’avait pas trouvé la trace de ma mère, et la justice a tranché « enfant abandonné ». J’ai été transférée en métropole (Guéret) en 1966 après avoir fait un séjour de trois ans à la pouponnière "La Providence" à Saint-Denis. Juste après mon départ, la gendarmerie trouve ma mère à Saint-Leu alors qu’elle y avait toujours vécu après ma naissance. Ce qu’on ne s’explique pas (Monseigneur Aubry ne m’a pas donné d’explication), c’est que j’ai été baptisée trois fois. La première fois, c’est ma mère naturelle qui l’a fait. Ma mère n’a jamais vu d’assistante sociale, et n’a jamais signé un acte d’abandon. Ma marraine est madame Hoareau de La Plaine des Cafres (tenant un salon de coiffure). Ma mère s’explique dans le film documentaire "Arrachée à son île".

Soirée-débat à Paris

Je donne suite à votre article concernant la commémoration du cinquantenaire de la déportation des Réunionnais. C’est l’histoire de La Réunion et de la France. J’en conclu que "c’est une des histoires de la Vème République".

L’association KABAR, dont la présidente est madame Laurence Détruir-Bihkir, et moi-même avons organisé une soirée-débat dans une salle parisienne (café associatif – “Le Moulin à Café” dans le 14ème arrondissement) sur le thème de la célébration de la commémoration de la déportation des enfants réunionnais. En ouverture de ce débat, il y avait la projection du film-documentaire "Arrachée à son île" ; Madame Détruir-Bihkir tenait absolument à faire cette rencontre avec le public parisien pour qu’il puisse avoir devant eux des témoignages d’ex-déportés et leur avis afin d’échanger par la suite.

Nous avons commencé ce "devoir de mémoire" avant la date officielle (mois de mai) pour des raisons de planning. Sudel Fuma en était informé ainsi que l’association Rassin enlèr qui doit s’occuper de cette célébration.

« Aux mères à qui on a volé leurs enfants »

Dans le programme, il y avait des Réunionnais ex-pupilles qui n’ont pas été transférés dans la Creuse, car ils sont autant représentatifs que "les Réunionnais de la Creuse". Marie-Josée Virapin transférée dans le Gers, Jean-Charles Pitou dans le Cantal et bien d’autres encore que j’ai eus au téléphone. Ma lecture du mail de Lydie Cazanove et Simon Apois (la Creuse) a ému le public et a été applaudie. Ce mail disait tous les différents travaux qu’ils ont faits depuis de nombreuses années. Leurs revendications auprès de la Cour européenne n’ont pas été entendues. Maître Emmanuel Daoud (qui plaide également à La Réunion) était convié à intervenir, mais il a eu un empêchement. Monsieur Jean-Marc Savoye (éditeur de Martial avec l’ouvrage "Une enfance volée") nous a donné un avis très percutant. Brigitte Peskine, auteure de l’ouvrage "L’île de mon père" ed. Casterman, nous a dit pourquoi elle avait écrit ce roman sur les Réunionnais de la Creuse. Celui de Josette Seguin également (volontaire du BUMIDOM et intervient dans le film de William Cally). Avec son témoignage, elle a pu donner quelques notes en plus sur l’effet BUMIDOM (le public connaissait à peine). Elle a été fortement applaudie.

Le témoignage de Marie-Josée Virapin est très fort. Elle dit dans un verbe clair et tremblant à la fois devant le public : « ... ce que je tiens à vous dire ce soir, c’est qu’en vous parlant, j’ai l’air d’être détachée de cette histoire, mais c’est que j’ai fait un très gros travail sur cette histoire pour justement mieux l’imprégner... et aussi pour les enfants... ».

Marie-Josée a pensé aux mères à qui on a volé leurs enfants. Marie Jo est mère d’un enfant. Elle intervient également dans le film-documentaire de William Cally "Une enfance en prison".

La ferme-école de Rouvroy-les-Merles

Trois animateurs (Franck Détruir, Serge Azoulay, Bernadette Viollard) très dynamiques ont pu réveiller des consciences endormies.

J’ai décidé également cette soirée pour avoir l’opinion du public de métropole. Pour ce débat, celui-ci était homogène venant de plusieurs départements et désireux de mieux être informé sur "l’histoire des enfants réunionnais envoyés de force en métropole". Maintenant, ce public est beaucoup plus conscient du comportement de ces victimes et, je pense, sera plus présent pour les prochaines manifestations sur ce sujet qui s’est passé dans leur pays.

Mon avis : Cette histoire a été trop médiatisée dans différentes périodes et a été étouffée en même temps. L’effort des ex-pupilles réunionnais est de se réunir, car bien longtemps ils se sont dispersés et deviennent moins crédibles (l’avis d’un public). Ce n’est pas qu’un ou deux témoignages médiatisés qui vont faire entrer dans la conscience de la population réunionnaise et métropolitaine cette "déportation". Tout comme les ex-pupilles, nous voulons une reconnaissance de cette histoire, de nos blessures, de nos parcours, de notre devenir, de nos réussites et de nos échecs que nous avons vécus en métropole. Enfin, la reconnaissance de nos efforts face à cette histoire. Je pense avant tout à ces jeunes Réunionnais qui sont partis en 1963, les premiers de la liste, pour atterrir à Rouvroy-les-Merles, un petit village dans l’Oise. Ces apprentis réunionnais étaient affectés dans une sorte d’abbaye (une ferme-école). Cet endroit est effrayant, beaucoup plus que Guéret. 

« Nous avons des projets »

Tout comme les histoires lontan de La Réunion, il y a des questions à poser. Je veux dire à la population réunionnaise : pourquoi vous nous avez laissé partir autant de temps sans notifier au gouvernement de l’époque cette hémorragie de "voyage sans retour" ? Bien sûr, à qui cela a profité. Les raisons ont été données, mais elles deviennent monstrueuses devant les souffrances de tous ces jeunes enfants que l’on a fait disparaître sur leur territoire de naissance.

Si vous désirez d’autres informations, je suis présente.

A savoir que depuis ma connaissance, de cette histoire, je fais des recherches (tout comme les historiens). J’ai de nombreux ouvrages — dont celui de Yvan Jablonka (historien) qui me semble être le plus complet —, des émissions audiovisuelles, des témoignages d’élus de l’époque, tous ces documents sont en ma possession. Je m’imprègne de cette histoire pour mieux comprendre le comportement des antagonistes. Car rester juste un témoin avec une souffrance et la raconter à tout va, nous devenons nombrilistes et entrons dans la victimisation sans secours.

Avant tout, je dirais que c’est à nous ex-pupilles de faire ce travail de mémoire pour que la population réagisse. Et ce travail passe par des manifestations culturelles et intellectuelles. Nous avons des projets après la célébration de la commémoration pour que cette histoire ne reste pas que sur la stèle.

Je remercie vivement Sudel Fuma, historien et professeur d’Histoire à l’Université de Saint-Denis, que vous devez connaître, William Cally, cinéaste réunionnais, qui m’ont demandé d’intervenir dans le film-documentaire, à tous les intervenants de la soirée du 29 mars (ils méritent bien un article dans les journaux) et à ce public qui a été très chaleureux.

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