Des prévenus sans raison embastillés sans jugement

Guantanamo : le sommet de l’arbitraire

13 juin 2006

Trois prisonniers ont été découverts morts dans leur cellule à Guantanamo. Le scandale de ce camp de détention hors de toutes les lois dure depuis déjà plus de quatre ans. Le gouvernement des Etats-Unis, pays qui se veut un modèle de démocratie, va-t-il enfin mettre un terme à cette dérive qu’il entretient ?

Guantanamo : ce mot signifie pour beaucoup la représentation de l’arbitraire. Ce camp militaire est une prison d’un âge que l’on croyait révolu, avec des prisonniers qui subissent des conditions de détention inhumaines. Ils sont des centaines à être retenus, sans avoir été présentés à un juge, sans contact avec un avocat, sans savoir ce qu’on leur reproche.
Détenus à Guantanamo depuis quatre années pour la plupart d’entre eux, ils sont la cible de tortures et d’humiliation. Beaucoup ont été capturés en Afghanistan depuis le début de la guerre déclenchée au lendemain de l’attaque du 11 septembre 2001, aucun n’est considéré comme un prisonnier de guerre, malgré un arrêt de la justice des États-Unis (1), ni comme un détenu de droit commun. Guantanamo est le lieu de l’exception. Il est le point culminant d’un édifice répressif qui commence sur les champs de bataille de la “croisade contre le terrorisme” décrétée par le gouvernement américain.

Sans droit ni loi

Dès leur capture, les prisonniers sont soumis à un traitement inhumain. Entravés, les yeux bandés, ils sont jetés dans un avion militaire avant de débarquer à la porte de leur geôle.
Ils sont alors enfermés dans des cages sur la base navale américaine de Cuba. Enchaînés, les yeux bandés et le visage recouvert d’un masque : voici comment sont présentés au monde les prisonniers de la “croisade”.
Le camp de Guantanamo pourrait être le lieu ultime de l’arbitraire de la dictature, mais c’est le gouvernement élu d’une démocratie qui a mis en place et qui perpétue ce scandale. Pour le justifier, le ministre américain de la Défense a affirmé que les prisonniers de Guantanamo figurent "au nombre des tueurs les plus dangereux, les mieux entraînés et les plus retors de la planète" qui ont joué un rôle dans les attentats du 11 septembre 2001. Le vice-président des États-Unis explique lui que se sont les "pires éléments d’un groupe d’individus extrêmement malveillants. Ils sont très dangereux. Leur objectif est de tuer des millions d’Américains".
"Malgré ces allégations dénuées de nuances, plusieurs détenus ont été libérés de la base navale sans être inculpés", relève Amnesty International, et "aucun dédommagement ne leur a été proposé pour les nombreux mois passés en détention illégale à Guantánamo".
Des mois, voire des années, passées dans des conditions qui poussent les êtres humains dans ses limites les plus extrêmes. Jusqu’en avril 2002, ils étaient confinés dans des cellules grillagées, ils sont enfermés dans des cellules de haute sécurité très petites, jusqu’à 24 heures par jour, sans exercice physique. "Ils sont soumis à des séances d’interrogatoire répétées qui peuvent durer plusieurs heures, en l’absence d’un avocat", constate Amnesty International, qui parle d’aveux arrachés sous la torture.

Les méthodes de l’Inquisition

Pour le moment, la seule issue au terme de cette interminable détention est la comparution devant des commissions militaires, suite à un décret signé en novembre 2001 par le président des États-Unis. Ce sont des cours qui peuvent aller jusqu’à prononcer la peine de mort. Leurs sentences sont sans appel. Les organisations de défense des droits humains mettent en doute la capacité de ces instances à garantir un procès équitable. Un juge fédéral des États-Unis a d’ailleurs déclaré leurs règles illégales. Devant une commission militaire, le prévenu ne peut pas choisir son avocat, il ne peut pas assister à toutes les audiences, des preuves ne sont pas communiquées, et ces commissions ne sont pas indépendantes du pouvoir politique. Par ailleurs, elles acceptent que des aveux obtenus grâce à la torture aient force de preuve.
C’est un point commun avec une juridiction issue d’une autre croisade, celle menée contre le Sud de la France, il y a plus de 750 ans. À cette époque fut créée l’Inquisition, tribunal d’exception qui acceptait aussi que les aveux extorqués par la torture soient considérés comme preuve.
Comme tous ceux qui défendent le respect des droits humains, Amnesty International s’indigne de l’attitude des responsables de cette politique, et écrivait l’an dernier à propos des prisonniers que "privés des droits qui sont les leurs en vertu du droit international et détenus dans des conditions qui pourraient s’apparenter à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant, ils se trouvent dans une profonde détresse. De nombreuses tentatives de suicide ont été signalées".
Samedi, trois d’entre eux ont été retrouvés pendus dans leur cellule...

Manuel Marchal

(1) Le 8 novembre 2004, un juge fédéral des États-Unis, répondant à une requête en habeas corpus déposée au nom d’un ressortissant yéménite comparaissant devant une commission militaire, a décidé que la Troisième convention de Genève "s’applique à toute personne détenue en Afghanistan pendant les hostilités". Le juge a décidé que Salim Ahmed Hamdan devait être considéré comme un prisonnier de guerre présumé, sauf si "un tribunal compétent", comme le prévoit la Troisième convention de Genève, en décidait autrement. (Source “Amnesty international”)


Les familles ne croient pas au suicide

"La version américaine présentant le décès" de deux Saoudiens et d’un Yéménite à Guantanamo "comme un suicide soulève chez nous d’énormes doutes", a déclaré dimanche Me Kateb al-Chammari, l’avocat des familles des deux ressortissants saoudiens. Il note que les autorités pénitentiaires américaines présentes sur la base "exercent un contrôle rapproché et continu sur les prisonniers par une surveillance individuelle ou par des caméras opérant 24 heures sur 24".
"Leurs familles ne croient pas qu’ils se sont suicidés et les considèrent comme des martyrs", a déclaré l’avocat, en contact avec les parents des deux Saoudiens.


"La torture n’est pas acceptable"

En juin 2004, le secrétaire général de l’ONU a insisté sur la prohibition absolue de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a souligné que l’interdiction avait force obligatoire pour tous les États "sur tous les territoires qui relèvent de leur juridiction", en temps de guerre comme en temps de paix. Cela visait notamment les exactions qui se déroulent à Guantanamo.
"Même sous un autre nom, la torture n’est pas acceptable : les euphémismes ne peuvent servir à contourner les obligations juridiques", a-t-il affirmé.
Ces euphémismes sont notamment employés par l’armée américaine : les civils tués et blessés deviennent des "dommages collatéraux", les actes de torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants des techniques "de stress et de contrainte", et les prisonniers "disparus" des "détenus fantômes". Cette dérive du langage risque de rendre plus “acceptable” par l’opinion des pratiques qui peuvent valoir à leurs auteurs l’inculpation a minima pour crime de guerre.


Un incroyable scandale se poursuit

Le déclenchement de la “croisade” contre le terrorisme s’est accompagné de la création d’un camp de détention à Guantanamo, enclave américaine sur l’île de Cuba.

o 11 septembre 2001 : Attaques contre le World trade center et le Pentagone.
o 7 octobre 2001 : Les États-Unis attaquent le gouvernement des talibans et les membres du réseau Al Qaida en Afghanistan.
o 11 janvier 2002 : Les premiers détenus sont transférés d’Afghanistan vers la base navale américaine de Guantanamo, à Cuba, dans des conditions équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
o 7 février 2002 : La Maison blanche annonce que les Conventions de Genève ne sont pas applicables aux suspects liés à Al Qaida capturés en Afghanistan, et que ni ceux-ci ni les talibans ne bénéficieront du statut de prisonnier de guerre.
o 28 juin 2004 : La Cour suprême fédérale conclut que les tribunaux américains sont compétents pour juger les prisonniers de Guantánamo, dont plusieurs centaines sont détenus depuis plus de deux ans en l’absence de réexamen judiciaire de leur statut, sans inculpation ni jugement, et sans être autorisés à entrer en contact avec leurs proches ni avec un avocat.
o 2001:2004 : L’armée américaine procède à l’arrestation de plus de 50.000 personnes au cours des opérations militaires en Afghanistan et en Irak. En Afghanistan, les États-Unis gèrent quelque 25 centres de détention et 17 autres en Irak. Plus de 750 personnes ont été détenues à Guantánamo ; le Pentagone affirme que 202 de ces prisonniers ont été libérés ou transférés, il en restait donc "environ 549" le 22 septembre 2004. Un nombre indéterminé de personnes sont détenues par les États-Unis dans des lieux secrets ou ont été transférées dans d’autres pays.

Afghanistan

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