Geneviève Payet, Psychologue clinicienne

’L’accueil de l’enfant migrant dans une structure petite enfance’ - 3 -

6 juillet 2006

Voici la 3ème partie de notre article sur la conférence qu’a tenue la Psychologue clinicienne Geneviève Payet sur ’L’accueil de l’enfant migrant dans une structure petite enfance’.

C’est généralement dans les lieux d’accueil que les parents côtoient leurs premiers interlocuteurs réguliers au sujet de leur enfant. De ces rencontres quasi quotidiennes vont se nouer des relations multiples : parents/professionnels/enfants. Et, accueillir un enfant à l’âge de sa grande dépendance à l’adulte, c’est accueillir sa mère et son père.

Les liens avec ces parents, par leur fréquence et leur intensité auront dès le départ une importance particulière. À travers ces échanges par l’intermédiaire de l’enfant, des émotions, des confidences, des questionnements, des doutes, des plaintes même... vont apparaître dans un double mouvement de continuité et de discontinuité.

La démarche professionnelle qui consiste à aller vers l’autre, comme on dit, n’est pas toujours facile, ni même possible, mais toujours nécessaire dans le but de se découvrir réciproquement. Mais, afin de maîtriser la séparation parents/enfants et de trouver le meilleur ajustement parents/professionnels, pour que le dialogue s’instaure et que la confiance s’acquiert, il faut de la volonté et du temps (qui soit bien sûr institutionnellement reconnu comme un temps de travail), mais il faut surtout - et vous le savez sûrement mieux que moi - beaucoup de patience !

L’équilibre est gagné lorsque entre la maison et le lieu d’accueil se crée une véritable complémentarité, car savoirs parentaux et savoirs professionnels ne sont pas opposables les uns aux autres. Ils sont ensemble indispensables pour l’épanouissement et le développement du jeune enfant qui passera des uns aux autres, d’un lieu à l’autre.

Lieu d’accueil et non lieu de garde, car la notion d’accueil s’articule autour de la séparation tandis que la notion de garde implique la rupture ; laquelle s’accompagne généralement du sentiment intense d’une menace pour l’intégrité de soi et de brèches dans la capacité d’être porté et contenu.

Par ailleurs, on le sait bien, toute séparation est potentiellement source de difficulté voire de souffrance pour les uns (enfants) comme pour les autres (parents). Et, du côté des professionnels, ouvrir l’espace qui sépare les parents et leur enfant pour qu’un jour il lui soit possible d’accéder à son autonomie, c’est un vrai Travail, pour ne pas dire dans certains cas un véritable Chantier !

Pour situer, sur un plan clinique, le champ d’intervention des professionnels de la petite enfance confrontés au vécu de la séparation parents/enfants, regardons de plus près ce qui se passe lors de la constitution précoce de cette relation afin de pouvoir ultérieurement faire face aux éventuelles difficultés de communication avec les familles.

Ce qui noue le rapport parents/enfant est en fait le résultat d’une "double opération" :
* de lien, d’une part
* de séparation, d’autre part.

Pour comprendre ce processus, prenons la métaphore du tissage : pour devenir adulte l’enfant doit se tisser ce qui deviendra la cotte de mailles de sa subjectivité. C’est-à-dire, tisser un ensemble composé de trous délimités par un nouage. Ce tissage, propre à chacun, permet au fil du temps de se constituer comme un être séparé de l’autre.

Ce sujet est tout entier à lui seul un nouveau maillon qui va s’articuler à la double chaîne généalogique et fantasmatique. Ainsi, ce qui fait lien entre la mère et son enfant est un lien de présence et d’absence, mais de rencontres surtout. Si la mère assume cette absence, l’enfant pourra trouver hors d’elle l’objet de son désir, sinon il se retrouve comme assujetti au caprice maternel.
De manière générale, tout enfant s’inscrit psychiquement vis-à-vis des autres dans une dynamique de substitution, de partage mais aussi de perte.

En quels termes cette problématique de la substitution, du partage et de la perte va-t-elle prendre forme sur le terrain, plus particulièrement dans les relations avec les familles migrantes ?

1) La substitution symbolise le temps dans lequel l’enfant s’inscrit et s’enracine dans la vie. Car notre propre vie n’est qu’une suite de substitutions : l’enfant occupe à sa manière une place que nous avons occupée avant lui et ainsi de suite... Il peut représenter la réincarnation d’un ancêtre, il peut se positionner au plan imaginaire à la place d’un autre, il peut se retrouver investi d’un destin particulier, etc... Quoiqu’il en soit, inévitablement va se creuser un écart entre les attentes à son endroit et ce qu’il va réellement devenir. Interpellés par le caractère énigmatique de ces éléments (perceptibles à travers des signes extérieurs, des paroles tenues à son sujet, etc... dans une dimension intergénérationnelle et parfois transgénérationnelle), les intervenants peuvent se sentir personnellement déstabilisés et professionnellement inquiétés. En réaction à ce vécu, ils peuvent aussi développer des contre-attitudes défensives sous la forme de rejet, de compassion, de protection, d’indifférence... qu’il conviendra de gérer au plus vite.

2) II n’y a pas d’enfant qui ne soit à partager, avec ce que cela sous-entend comme déchirement parfois. Partager son corps, son nom, sa parenté, sa vie... Ce lien imaginaire permet à l’enfant de créer son propre espace psychique. Que penser alors des éprouvés de culpabilité et de rivalité de parents migrants, fragilisés ou meurtris par leurs expériences de vie, qui ont le sentiment d’abandonner leur enfant en le confiant à des professionnels ?

Afin de tisser des liens et de créer des passerelles pour éviter les ruptures entre les familles et les professionnels, il est important d’utiliser au mieux la répartition du personnel au sein des équipes en fonction de l’identité professionnelle et du statut de chacun. Alors les rivalités, les rapports de force, les prises de possession vis-à-vis des enfants, comme de leurs parents du reste, laisseront place à un véritable partage, avec des manques et des excès soit, des projections et autres manifestations imaginaires, mais un partage qui offrira au sujet un espace nécessaire pour prendre les marques de son devenir.

3) La question enfin de la perte me semble particulièrement à l’œuvre dans les représentations des professionnels lorsqu’ils renoncent à leurs sentiments de toute-puissance vis-à-vis d’une situation ingérable, d’un dossier à problème, d’un cas particulier. Et bien des fois, ces difficultés concernent des familles migrantes. Le seul fait d’entrevoir la possibilité de travailler avec d’autres, de ne pas se laisser envahir fantasmatiquement par ces enfants perçus comme différents, c’est savoir protéger, c’est aussi savoir autonomiser, responsabiliser, déléguer... en somme, c’est savoir gérer ses rapports à ceux dont on assume une part de responsabilité dans un espace qui échappe à l’emprise. Concrètement, cela se traduit par des échanges, des écrits, des projets élaborés en commun avec d’autres professionnels, du symbolique donc dans un esprit de partenariat et déjà de relais.

À suivre...


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