Geneviève Payet, Psychologue clinicienne

“L’accueil de l’enfant migrant dans une structure petite enfance” - 4 -

7 juillet 2006

Nous publions aujourd’hui la 4ème et dernière partie de l’article “L’accueil de l’enfant migrant dans une structure petite enfance”, sujet présenté par la Psychologue clinicienne Geneviève Payet dans la conférence qu’elle a tenue lors du Colloque pour une Anthropologie médicale appliquée à La Réunion.
À partir de demain nous publierons “Quelle aide possible pour l’enfant / l’adolescent de migrants victime de maltraitances ?”, un autre sujet de la conférence.

Dans la pratique quotidienne

La réalité vécue du phénomène migratoire ne peut être niée dans notre pratique professionnelle. Il m’apparaît même indispensable de prendre en compte cet événement déterminant de l’histoire de chacun, ce d’autant que la démarche des personnes concernées s’inscrit globalement dans la quête d’un mieux-être.

Pour réaliser cet objectif porteur d’espoir, les personnes migrantes se soumettent à d’inévitables contraintes (financières, affectives, familiales, sociales...) qui ne peuvent que fragiliser leur équilibre interne, mettre à l’épreuve leurs repères avec le monde extérieur et leurs rapports aux systèmes de croyances. Sur le plan psychologique, la migration peut être considérée comme une “situation limite” et, de manière générale, si la culture permet le codage de l’ensemble des expériences vécues par un sujet, toute fracture du cadre culturel constitue un facteur de vulnérabilité et risque d’entraîner des dysfonctionnements à tous les niveaux.

Au quotidien, il s’agit de situations parfois bien délicates à manier dans la prise en charge précoce éducative, sanitaire et pédagogique. Il s’avère bien souvent nécessaire de revisiter régulièrement avec la famille :

1) les rapports concernant l’enfant à la nourriture, au sommeil, au registre vestimentaire, aux croyances, à la santé, à l’hygiène, au corps (portage, câlins...), à l’éducation, aux acquisitions, à la nomination,

2) la composition et la délimitation de l’entourage qui intervient dans l’accompagnement de l’enfant, la définition de la parentèle, la différenciation et la répartition des rôles parentaux,

3) les règles institutionnelles de la structure, la perception du rôle et des responsabilités de chaque professionnel, le rapport à l’argent,

4) les fondements théoriques d’une nécessaire complémentarité entre la continuité des rituels et la discontinuité des rythmes au quotidien dans la collectivité, les consignes et les conseils,

5) etc...

Dans la distance qu’il opère inévitablement par rapport à “avant” et par rapport à “l’autre”, affectant ainsi tous leurs repères, le processus migratoire constitue un potentiel facteur de bouleversement de ces familles. Or, perdre du lien c’est aussi perdre du sens. Le danger est bien là !

Concrètement, comment peuvent se manifester sur le terrain leurs difficultés, sinon leurs souffrances ?

1) Elles peuvent se caractériser au niveau des professionnels par des problèmes pour poser le cadre d’accueil, de soin, d’enseignement. Les temps de concertations avec les familles peuvent être espacés, irréguliers, déroutants, l’enfant étant souvent accompagné par des personnes différentes, mal identifiées.

2) De plus, j’ai l’impression que certaines de ces familles ne peuvent sans soutien investir l’espace d’échanges qui leur est proposé. Cela se traduit par un manque apparent de mobilisation et de disponibilité, une sorte de résistance aux différentes stratégies mises en place pour nouer des liens de qualité. Derrière ces problèmes de contact, ces attitudes d’évitement, un grand malaise persiste sous la forme d’un manque de communication et de confiance, indispensable pour poser les bases de toute relation.

3) Je constate un décalage important entre les besoins de socialisation et d’acquisition de ces jeunes enfants et les réactions de leur entourage proche (les parents expriment peu de demandes aux différents professionnels, ils ont tendance à se replier très facilement sur la dimension communautaire face à la moindre difficulté).

4) Au-delà de la barrière linguistique (qu’il est maintenant plus facile de contourner, entre autres avec l’installation de médiateurs interculturels), c’est la communication elle-même qui achoppe concernant les problèmes spécifiques de ces enfants et notamment leur vécu. Cela se traduit par une difficulté, comme un refus d’en parler.

Quelques recommandations en guise de conclusion

Partant de ces constats, comment mettre en adéquation, d’un côté les représentations, les attentes et les besoins de ces personnes migrantes, d’un autre, les propositions et les moyens mis à la disposition des professionnels ?
S’il n’y a pas bien sûr de solution magique, car toute situation problématique nécessite un traitement à part entière, il faut surtout se garder de vouloir tout expliquer à partir du culturel (à travers des discours dénaturés par des stéréotypes et des généralisations tels : ("les Comoriens, les Malgaches ou les Mahorais sont...") au risque de chuter dans une explication carrément anthropo-illogique.

À l’opposé, en niant la place et l’impact du registre culturel chez tout sujet, on peut projeter, interpréter puis livrer une lecture des phénomènes qui soit totalement déformée, voire erronée, sinon violente !
Dans toute intervention professionnelle, il nous faut éthiquement vis-à-vis de chaque personne : préserver sa dignité, respecter son intégrité physique, morale, psychique, sociale, garantir ses droits (liberté, sécurité, expression, information), garantir également la confidentialité de nos démarches.

Il nous faut donc penser la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, se poser toujours la question du sens et des finalités que nous donnons à nos actes et, globalement, à la vie.
En cas de malaise ou de doute, certains professionnels peuvent toujours se retrancher derrière la notion d’intimité et de secret, en voulant respecter la vie des autres. Mais attention derrière le masque de la prudence peut se cacher celui de l’incompétence. Le vide, la faille, la fracture qui se créent alors entre soi et les autres, peuvent nous placer en position de ne pas voir des réalités déshumanisantes, de ne pas entendre des appels de détresse, donc de ne pas réagir face à des situations inacceptables et injustes alors qu’il était peut-être encore temps...


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