Enquête au C.H.D. de Bellepierre : brimades sans ordonnance - 2 -

La direction de l’hôpital est-elle malade ?

9 mars 2005

À l’hôpital de Bellepierre, “Témoignages” a rencontré des agents qui dénoncent des pratiques discriminantes, voire harcèlements. (voir notre édition d’hier) Des cas extrêmes - dans un complexe de près de 2.000 salariés - mais qui n’ont trouvé de recours ni auprès de “syndicats représentatifs” ni auprès de la direction. Pourquoi ? Et quelle est la part de responsabilité de la direction de l’hôpital dans ce problème ?

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L’Hôpital est-il, comme Dallas, un univers impitoyable ? C’est en tout cas, et malheureusement, le signal renvoyé par les quelques dizaines de rencontres faites pendant une enquête de plusieurs semaines, au début de cette année, sur des cas d’atteintes aux droits humains signalés au CHD de Bellepierre.
Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une enquête “sur” l’hôpital départemental, dont certains services sont réputés pour promouvoir d’excellentes relations au sein du personnel et entre personnel soignant et malades.
C’est encore moins une enquête sur le milieu hospitalier, à laquelle nous aurions dû associer l’hôpital du Sud, même si l’on peut penser qu’une telle enquête aurait son utilité, après les dérives graves révélées par la canicule d’août 2003 en France : sommes-nous ici à l’abri des carences mises au jour par ce drame ?
Ce qui est en jeu ici est d’une autre nature. Les cas signalés sont des exemples de souffrance au travail dont certains nous semblent relever de ce que Marie-France Hirigoyen, docteur en médecine spécialisée en psychiatrie, a qualifié de "harcèlement moral" dans la vie professionnelle (1) .

Souffrance au travail

Un hôpital est en principe une entreprise très structurée, très hiérarchisée, dans laquelle, si une saine démocratie s’exprime, des instances de régulation - instances paritaires décisionnelles ou consultatives - peuvent jouer un rôle d’arbitre ou de contrepoids.
Considérés superficiellement, ces quelques cas de souffrance au travail - qui ne prétendent à aucune exhaustivité, hélas ! - peuvent passer pour des symptômes de “dysfonctionnement”, des anomalies dans un ensemble somme toute plutôt sain. Mais en ce cas, pourquoi ces dysfonctionnements n’ont-il pas reçu les réponses qu’un bon fonctionnement est normalement en mesure de leur apporter ? Pourquoi le rôle d’arbitrage évoqué plus haut ne s’est-il pas exercé ?

Questions

“Témoignages” a bien sûr cherché les réponses à ces questions auprès de la direction de l’hôpital, entre autres. Le rendez-vous pris avec le directeur a été annulé par celui-ci le jour de la rencontre. En raison d’une "réunion urgente et totalement imprévue", le directeur que nous espérions pouvoir interroger en présence de sa directrice des ressources humaines, s’est dérobé.
La DRH est, depuis, passée au Service Économique et le directeur, plutôt que de proposer une autre date (il prenait l’avion le soir même pour aller régler à Paris quelques problèmes urgents...) a laissé le soin à l’un des directeurs adjoints, en charge de l’Économat, de répondre à sa place. Le directeur adjoint, M. Deveaux, a très vite expliqué qu’il ne pouvait répondre que partiellement, sur les seuls services relevant de ses prérogatives - ce qu’il a fait très consciencieusement. Mais une direction fuyante est-elle le gage d’une bonne gestion ?

Réponses décalées

Ensuite, les réponses apportées par l’encadrement intermédiaire sont vite apparues comme totalement décalées par rapport aux problèmes posés : on nous répondait “normes”, “organisation hiérarchique” “déroulement normal de carrière” là où les questions soulevées faisaient apparaître des perversions de la hiérarchie, des dérapages par rapport aux règles établies et, comme nous le disions plus haut, aucun contre-pouvoir.
On nous a soutenu par exemple que "M. Sautron (voir "Témoignages" d’hier) a progressé normalement dans sa carrière", sans tenir compte de l’environnement : les deux agents passés contremaîtres en décembre 2004 viennent d’être nommés agents-chefs aux cuisines deux mois plus tard seulement, alors qu’ils ont moitié moins d’années de service que M. Sautron. Et des cas de maîtres-ouvriers “calés” dans cette qualification pendant près de 30 ans, voire plus, ne sont pas rares au CHD.
Lorsqu’il y a huit ans le cuisinier a voulu changer de qualification sur concours - il y avait quatre candidats pour deux postes - il a été écarté pour... insuffisance en français !

Instances entachées

Interrogé sur le choix du jury, son chef hiérarchique, M. Cazanove, s’est étonné de nos soupçons : "est-ce qu’il pense que des syndicats ont fait pression pour que les postes soient attribués à d’autres ?"
Nous ne lui avons pas soufflé ce remord tardif et ingénu, mais le fait est que ceux qui ont changé de qualification à l’époque étaient soutenus chacun par l’un des syndicats admis à siéger dans les instances représentatives. Des instances entachées depuis les élections de 2003 d’un soupçon de “pagaille” au moins aussi manifeste que celle qui vient d’être sanctionnée à la CCIR. Mais c’est une autre histoire...

Pascale David

(1) Lire “Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien” (t.1, 1998) et “Le harcèlement moral dans la vie professionnelle” (t.2, 2001). Les deux volumes, parus aux éditions La Découvert-Syros, existent en Pocket.


3 - Josiane* : “Salie” et licenciée dès ses débuts

À l’inverse du garagiste-ambulancier de l’hôpital (voir "Témoignages" d’hier), la jeune femme qui m’expliquera très vite qu’elle a trop peur pour témoigner à visage découvert, est débutante à l’hôpital. Ce serait même son principal défaut, à en juger par les griefs d’une cadre proche de la retraite qui la harcèle depuis un an.
Après avoir été reçue au concours de la promotion d’infirmières 2000-2003, elle a été embauchée sur un CDD - "décision illégale" d’après la CGTR-Santé. La jeune femme est affectée début 2004 à un service, où très tôt, certains responsables ont entrepris de lui rendre la vie impossible. Vexations sans motif, propos blessants faisant allusion à sa couleur de peau, mises à l’écart, refus de l’assister dans certaines situations...
Après un an de ce régime, la jeune femme vient d’apprendre qu’il est mis fin à son contrat, sur "une décision unilatérale", dit-elle dans un courrier au directeur. Elle n’a fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire. À l’exception d’une personne acharnée à lui nuire, les autres collègues jugent la jeune femme plutôt "consciencieuse" et une assistante sociale du service de rééducation fonctionnelle fait d’elle beaucoup d’éloges.
Josiane* a fait tout récemment une lettre au directeur dénonçant la somme des vexations subies : "Tu n’es qu’une débutante... Tu ne vaux rien... Tu ne resteras pas ici... Je n’aime pas les noirs, ce sont des paresseux" etc. etc.
Une plainte au pénal pour "harcèlement" est dans son cas l’issue la plus probable.
Marlène Jeanne, secrétaire générale de la CGTR-Santé, appuie sa résolution à ne pas se laisser faire. La syndicaliste fait part de son inquiétude : "C’est injuste ! Dès le départ, on lui fait un dossier sale... Quelque chose qui va la suivre dans toute sa carrière. C’est inacceptable !"
Le manque d’infirmière est flagrant dans l’hôpital comme partout ailleurs. Les syndicats ont tous eu connaissance d’un courrier du directeur disant qu’il devra faire venir des infirmières de l’extérieur.
"Là, il en a une qui est d’ici, dont les parents se sont certainement sacrifiés pour payer le coût de ses trois ans d’études - plus de 53.000 euros (350.000 francs) - qui a obtenu un diplôme d’État... Et il la laisserait partir parce qu’une pisse-vinaigre en fin de parcours a décidé de lui rendre la vie impossible ?! C’est bizarre...", s’indigne la syndicaliste.

P. D.

Pseudonyme. La jeune femme ne veut pas apparaître à visage découvert avant d’avoir réussi à faire valoir ses droits et obtenu réparation des vexations subies.

(à suivre)


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