Djaanfar Salim Allaoui, ministre de l’Intérieur d’Anjouan

’La France ne peut filer à la française’

9 novembre 2005

’La France a une responsabilité historique vis-à-vis de l’archipel des Comores’, estime le ministre de l’Intérieur d’Anjouan, Djaanfar Salim Allaoui en affirmant que Paris doit ’trouver le cadre légal le mieux approprié pour que Mahorais et Anjounais vivent harmonieusement’. Il souligne également ’qu’une bonne partie des élus de Mayotte, par intérêt politicien, attise le climat xénophobe anti Anjouanais’. Interview.

o Mayotte et Anjouan ne sont distantes que de 70 kilomètres, on dit souvent que les peuples des 2 îles sont liés par le sang, l’histoire et la culture, alors comment a-t-on pu arriver à une telle tension entre les 2 communautés ?

- L’Histoire de l’archipel et en particulier la période de la colonisation portait en elle les germes de la situation actuelle. Elle était d’ailleurs prévisible.
Anjouan ayant demandé son rattachement à la France en 1997, nous respectons bien-sûr le choix fait par Mayotte en 1974 et 1976 de rester dans l’ensemble français. Il n’en demeure pas moins que nous avons été artificiellement séparés lors de la décolonisation. À Anjouan, la séparation avec Mayotte a été encore plus durement ressentie que dans les 2 autres îles comoriennes (la Grande Comores et Mohéli - NDLR). Nos 2 peuples sont en effet fortement métissés. Les Mahorais et les Anjouanais ont tous des parents ou des proches dans l’autre île. Des familles, des frères, des sœurs se sont ainsi retrouvés séparés à l’indépendance. En 1993 - 1994, le gouvernement Balladur a encore compliqué la donne en imposant un visa pour les ressortissants comoriens voulant entrer en territoire français.

o L’État comorien impose aussi un visa aux étrangers, y compris aux Mahorais, entrant sur son territoire.

- C’est vrai, mais il s’obtient en une minute à l’arrivée à l’aéroport. La réciproque n’est pas vraie. Pour les Comoriens et donc les Anjouanais, les demandes de visas doivent se faire des semaines voire des mois à l’avance. L’ambassade de France les distille aux compte-gouttes et les dossiers, si complets soient-ils, comporteront toujours une pièce manquante. Les Anjouanais ne peuvent qu’avoir le sentiment d’être victimes d’un comportement discriminatoire. De plus, alors que l’ancienne puissance coloniale entre autres laissait les Comores s’enfoncer dans la récession, Mayotte, grâce aux financements de la France, s’engageait dans la voie du développement. Au fil des ans, le décalage économique, en termes de pouvoir d’achat et d’emploi, ainsi que le décalage sanitaire sont devenus énormes. Il est évident que comparée au reste des Comores, Mayotte, entretenue artificiellement par les financements de la France, fait figure de terre promise.

o Les peuples anjouanais et mahorais sont métissés dites-vous, comment expliquez-vous le sentiment anti-anjouanais qui se manifeste fortement à Mayotte ?

- Une bonne partie des élus de Mayotte porte une lourde responsabilité dans cet état de fait. Ce sont eux qui, par intérêt politicien, attisent ce climat xénophobe. Certains le font alors qu’ils sont eux-mêmes à moitié Anjouanais, ce qui est le cas de Mansour Kamardine (député UMP de Mayotte et principal instigateur de la campagne pour l’expulsion des "sans papiers" - NDLR). Il est vrai aussi que beaucoup de Mahorais n’acceptent pas de reconnaître qu’ils sont métissés. À mon sens, la principale raison à cela est qu’ils se sentent écartés des circuits de décisions et des circuits économiques tenus par la France. Leur rejet de l’autre, en l’occurrence de l’Anjouanais, devient alors leur seul moyen de se prouver leur appartenance à la France.

o Selon les statistiques de l’INSEE, un quart de la population de Mayotte n’est pas ne nationalité française. Les Mahorais parlent de trop-plein...

- Là aussi, il faut se référer à l’Histoire. En 1974, il n’y avait que 60.000 habitants à Mayotte. On a alors encouragé les Comoriens et notamment les Anjouanais, traditionnellement durs à la tâche, à venir s’installer à Mayotte. Le fait qu’ils n’aient pas de papiers n’a posé aucun problème. Au contraire, comme il s’agissait d’une main-d’œuvre pas chère, les Anjouanais ont été employés et continuent à être employés clandestinement par tout le monde, y compris par les élus qui crient aujourd’hui au "trop-plein". Je le dis et je le répète, les Anjouanais ont la culture du travail. Ils sont agriculteurs, maçons, charpentiers, soudeurs... Ils ont de l’ambition. Malgré les bas salaires, beaucoup d’entre eux se sont élevés dans l’échelle sociale. Ils sont devenus un élément incontournable dans le fonctionnement de l’économie mahoraise.
Ils ont construit des maisons, acheté des voitures, leurs enfants réussissent leurs études et voilà brusquement qu’ils deviennent indésirables. C’est curieux.

o Au-delà de ces éléments, il se pose un problème bien réel d’immigration clandestine. Mansour Kamardine qualifie les 70 kilomètres de mer entre Anjouan et Mayotte de "4 voies à sens unique" pour les immigrés en situation irrégulière.

- Pour ma part, je qualifierais plus ce bras de mer de plus grand cimetière du monde tant sont nombreux les naufrages de kwassas kwassas chargés d’être humains en quête d’une vie meilleure. C’est dire s’il y a effectivement un problème. La France nous a demandé d’enrayer le phénomène en verrouillant nos frontières. Avec les moyens qui sont les nôtres, et ils sont très faibles, nous avons tenté de le faire en espérant que la France serait sensible à ce geste et qu’elle nous aiderait à fixer notre population chez nous. Nous avons recruté 487 agents municipaux spécialement chargés de la surveillance des côtes et payés sur le budget de l’État d’Anjouan, pas sur celui de l’Union. Nous avons organisé des patrouilles et procédé à des arrestations de passeurs, l’aide de la France n’est jamais venue. Nous avons fini par abandonner la surveillance après qu’un agent ait tiré sur un passeur.

o Pourtant, compte tenu du fort sentiment anti "sans papiers" qui agite Mayotte et des risques toujours possibles d’escalade dans la violence, il faudra bien trouver une solution.

- Absolument et nous estimons que c’est à la France de trouver le cadre légal le mieux approprié pour que nos 2 peuples puissent vivre harmonieusement. Nous ne disons pas cela pour nous défausser - nous sommes prêts à tous les efforts -, mais simplement parce que nous nous basons sur la réalité historique. Par son passé et son action dans l’Histoire récente de l’archipel, la France a de lourdes responsabilités dans la situation actuelle. De ce fait, elle ne peut "filer à la française" et assister en spectatrice au bain de sang qui en train de se préparer à Mayotte si on laisse les choses perdurer. Il y a un déficit de dialogue entre Paris et nous. Nous lui renouvelons notre appel à aider notre peuple à se fixer ici à Anjouan. Nous le faisons de manière d’autant plus pressante que nous sommes désormais confrontés à un nouveau problème, celui du retour massif dans l’île de notre diaspora chassée de Mayotte. Nous ne pourrons pas faire face longtemps à cet afflux de population.

o À quel type d’aides pensez-vous précisément ?

- Il faudrait nous aider à construire des hôpitaux, à développer notre système éducatif et notre agriculture. Il s’agirait non seulement d’une solution durable au problème de l’immigration clandestine, mais cela reviendrait moins cher à l’État français que d’affréter des avions pour reconduire les clandestins à la frontière.

o Vous parlez de déficit de dialogue, pourtant les contacts entre la France et l’Union des Comores existent. Il y a eu des rencontres, des échanges

- Effectivement, tout cela se passe entre la France et l’Union, pas entre la France et Anjouan. Or l’Union se fiche de ce qui se passe chez nous. Nous avons même l’impression que la situation actuelle la satisfait pleinement. Il n’y a qu’à écouter le silence assourdissant du président de l’Union sur la chasse aux Anjouanais qui a lieu à Mayotte pour s’en convaincre.

o Mais la mise en place d’échanges et de relations approfondies ne peut se discuter que d’État à État, donc de Paris à Moroni.

- Paris doit se rendre compte qu’Anjouan est son meilleur interlocuteur et son meilleur allié dans l’Union.


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