Justice

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L’affaire Théo Hilarion à nouveau devant la Cour d’appel

11 avril 2003

La dernière fois que le docker Théo Hilarion et les deux gendarmes inculpés de « coups et blessures » se sont retrouvés devant un tribunal, c’était à la fin de l’année dernière, à l’audience du 25 octobre 2002. Huit ans et demi après les faits qui ont laissé le docker gravement mutilé, un tribunal spécialement composé pour juger de faits commis par des militaires se réunissait pour examiner ces faits dans les mêmes termes où ils avaient été soulevés lors d’un premier procès, deux ans plus tôt, en octobre 2000 (voir chronologie).

Logiquement, le deuxième tribunal correctionnel a émis le même verdict que celui énoncé deux ans plus tôt, en déclarant son « incompétence » pour juger de faits criminels. Tout aussi logiquement, le militaire Gamet a fait appel de ce jugement, comme il l’avait fait la première fois. De sorte qu’après avoir subi un enlisement de l’affaire du 7 mars 1994 au 26 juillet 2000 - date de l’ordonnance de renvoi - le docker mutilé a dû assister depuis deux ans et demi à pas moins de quatre procès, qui ont tous répété plus ou moins la même chose, imprimant mois après mois dans l’opinion publique de nouvelles traces de ce « fiasco judiciaire », selon le mot d’un avocat.
Devant la cour d’appel hier, après deux procès de presse en diffamation, une histoire de divagation de cabris ayant causé d’importants dégâts matériels et un excès de vitesse de nuit sur la route littorale, l’affaire des violences du 7 mars 1994 a de nouveau retenu l’attention des juges. Les parties et leurs avocats - dont deux parisiens, Mes Najsztat et Bourdon, arrivés dans la matinée - ont une fois de plus présenté conclusions et plaidoiries sur la validité de la procédure d’instruction. Le président les avait invités en début d’audience à « évacuer vite tout ce qui peut être évacué » - par exemple, le désistement de l’appel du gendarme Gamet sur les faits de subornation de témoin - et l’incident soulevé sur l’exception de nullité visant la procédure a été joint au fond.

Des faits de nature criminelle

Pour le défenseur de Théo Hilarion, le tribunal est saisi par une ordonnance de renvoi qui évoque des faits de nature criminelle. Ils doivent donc être jugés devant une juridiction criminelle. Me Boniface a rappelé les souffrances endurées par le docker, plus de neuf ans après les faits, en raison de la nature de la cartouche utilisée, faite pour libérer en explosant un gaz lacrymogène aux effets dévastateurs.
Théo Hilarion a déjà subi plusieurs interventions chirurgicales, deux greffes et se prépare à une nouvelle hospitalisation, en France, à partir du mois prochain et jusqu’à l’année prochaine. Indemnisé par l’État, il a réaffirmé hier par l’intermédiaire de son défenseur qu’il ne venait devant le tribunal que pour maintenir la position de principe qu’il affiche depuis le début de cette affaire : obtenir justice et vérité. Il devra encore endurer les actes de procédure soulevés par le gendarme Gamet, défendu par Me Bourdon - constitué par ailleurs dans l’affaire Elf - qui, hier, a qualifié « d’acharnement » l’obstination de la partie civile à vouloir voir juger l’affaire devant une cour d’assises.
Me Bourdon a plaidé le caractère « accidentel » de l’enchaînement de faits qui a conduit son client devant le tribunal, interrompant brutalement la carrière d’un homme d’action. À l’inverse, et loin de « l’état d’esprit de guerrilla judiciaire », la défense de l’autre gendarme, représenté par Me Najsztat, a appuyé l’idée de l’incompétence juridictionnelle.

Un dur marathon post-traumatique

L’audience, somme toute, aurait presque paru morne si ne s’en détachait comme toujours la figure digne et intransigeante de Théo Hilarion, toujours droit dans sa requête malgré un dur marathon post-traumatique. Et si ne s’était pas fait jour un début d’explication franche et loyale entre ministère public et gendarmerie, au sujet des six années de « camouflage » imposées à l’instruction. « La gendarmerie a eu une attitude indigne vis-à-vis de l’institution judiciaire », a protesté, très courroucé, le ministère public. « Si la gendarmerie a paralysé l’instruction, c’est parce qu’elle a reçu "un message" de l’institution judiciaire », lui a rétorqué Me Bourdon.
Prévoyant que cette passe d’arme n’était qu’un avant-goût dans un grand déballage annoncé pour la suite de la procédure, l’avocat de la partie-civile s’est contenté d’évoquer l’isolement où l’avait confiné une "conspiration du silence" finalement brisée par les « déclarations stupéfiantes » du colonel de gendarmerie Guillaume, à la suite desquelles la partie-civile avait déposé une plainte devant le doyen des juges d’instruction de Bastia, en janvier 2000.

De Bastia à La Réunion, en passant par la case ministère, cette affaire a connu de nombreux "ratés" ces trois dernières années. Et Théo Hilarion n’a pas fini d’attendre...

Chronologie
Dates Faits
7 mars 1994 Une protestation des dockers contre le non-respect d’un protocole d’accord sur la mensualisation est contenue par un déploiement de pelotons mobiles de la gendarmerie. Un gendarme fait usage d’une arme et d’une munition proscrites en opération de maintien de l’ordre. Un docker est gravement mutilé.
10 mars 1994 Plainte de Théo Hilarion et de la CGTR Ports et Docks, partie civile.
30 juin 1994 Reconstitution. Charles Gamet dira plus tard : « Le procureur est au courant ; il m’a pris à part. »
1994-1998 La hiérarchie de la gendarmerie s’emploie activement à étouffer l’affaire et à faire entraves aux velléités de confidences chez les hommes du rang. Instruction au point mort.
Le 21 juillet 1998 puis le 5 août 1999 Après des aveux de gendarmes, le colonel de gendarmerie Guillaume, convoqué devant la juge d’instruction, déclare avoir alerté « les plus hautes autorités de l’île » sur les faits du 7 mars 1994.
Janvier 2000 L’avocat de Théo Hilarion porte plainte devant le doyen des juges d’instruction de Bastia pour « non dénonciation de crime ». La plainte vise Bernard Legras, procureur à La Réunion au moment des faits, en poste en Corse.
26 juillet 2000 Ordonnance de renvoi : l’affaire sera évoquée devant un tribunal correctionnel.
23-24 octobre 2000  Le « procès du mensonge » s’ouvre à Saint-Denis.
28 novembre 2000 Rendu du jugement : le tribunal se déclare incompétent. Me Boniface, avocat de Théo Hilarion : « Six ans après les faits, c’est le début d’une justice véritable... » - Procédure d’appel.
27 septembre 2001 Le jugement d’appel annule celui de première instance : le gendarme Gamet soulève une exception de nullité sur la qualification des faits - crime ou délit ? - et sur la composition du tribunal. Le jugement d’appel demande au ministère public de désigner un tribunal correctionnel habilité à juger des faits commis par des militaires.
2002 Pourvoi en cassation rejeté. Retour à l’ordonnance de renvoi de juillet 2000... qui renvoie l’affaire à l’audience du 25 octobre 2002 devant un tribunal correctionnel de composition militaire... qui se déclare incompétent, le 22 novembre suivant. Procédure d’appel.
10 avril 2003 audience de la cour d’appel : Le tribunal correctionnel est-il compétent ? Réponse le 5 juin 2003.
Présomption d’innocence
Le Doyen, le docker et les deux gendarmes
Vite, vite, il fallait agir vite ! Pensez un peu, la possibilité existerait que le Doyen de la Faculté de Droit de l’Université de La Réunion, M. Tramoni, aurait pu avoir joué le rôle d’hypothétique complice du Professeur Debbasch dans une affaire concernant la succession du peintre Victor Vasarely !

Alors, fallait surtout pas lésiner ! Jeudi dernier, toutes les gazettes - "Le Monde" et "Le Figaro" compris - se faisaient l’écho de l’interpellation du Doyen Tramoni. Gardé à vue, puis emprisonné, le Doyen ne pouvait être que coupable. Forcément !

L’un des journaux de La Réunion affirmait même que, du fait qu’il était un proche disciple du Professeur Debbasch, M. Tramoni était quasiment interdit de tout poste de Doyen en métropole et que c’était la raison pour laquelle il avait "atterri" à La Réunion ! Que M. Tramoni soit un enseignant compétent et un Doyen apprécié de ses étudiants et de ses collègues, cela importait peu ! Déféré à Paris devant un juge d’instruction après un transfert du style "on vous amène l’ennemi public numéro un", le Doyen est mis en examen, placé sous contrôle judiciaire et rendu à la liberté.

Bref, pour arriver à ce résultat, dans une affaire où il n’y a pas mort d’homme ni trouble à l’ordre public, on aurait sans doute pu, si on avait eu la volonté réelle de respecter la présomption d’innocence, agir tout autrement. Mais, voyez-vous, certains juges estiment que la justice ne saurait attendre et qu’il leur faut agir vite et frapper fort afin - avant tout jugement - de clouer au pilori l’innocent présumé.

Mollo, mollo, mollissimo, surtout prendre son temps ! Pensez un peu, depuis le 7 mars 1994, quelques ouvriers dockers accusent un adjudant de gendarmerie et son capitaine d’avoir délibérément visé un docker en grève à la tête, de lui avoir ôté un œil et bousillé sa vie à tout jamais.
L’affaire dure depuis 9 longues années. De hauts gradés, de hautes autorités ont organisé une véritable conspiration du silence pour berner les juges chargés de cette criminelle affaire. Des officier et sous-officier ont eu tout le temps d’organiser la destruction des preuves et de suborner des témoins.

Aucune mesure de garde à vue, encore moins d’emprisonnement provisoire n’a été ordonnée pour interdire que soit porté atteinte à la manifestation de la vérité.

La présomption d’innocence de l’adjudant-chef Michelot et du capitaine (aujourd’hui commandant) Gamet a été scrupuleusement respectée. On a pris le temps, tout le temps et on le prend toujours en cette année 2003 et sans doute pour quatre années encore.

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Aimé Habib

Théo Hilarion

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